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— C’ qu’y sont manches et dégonflards, ces gus ! déclare Marie-Marie, y m’écœurent !

Avant qu’on ait eu le temps d’intervenir, la môme a raflé le document et sauté par la fenêtre.

— Marie-Marie ! Reviens ici tout de suite ! meugle son oncle !

— Et ton cul, c’est bien du poulet, hein, m’n onc’, riposte l’effrontée en sautant à califourchon sur un vieux vélo qui se trouve dans la cour du quartier.

Elle s’enfuit à toutes pédales. Je tente de la courser, mais elle a agi si promptement que cette teigne me virgule du poivre. Au moment de notre discussion elle somnolait sur une natte de raphia. Et puis elle a bondi avec une telle promptitude…

Je cesse de courir.

Un véhicule, vite !

Hélas ! ils ont tous cramé à la suite de mon coup de bazooka.

Marie-Marie a déjà disparu dans un nuage de poussière ambrée.

Que Dieu la protège !

Penaud, je reviens au bâtiment, le front lourd d’appréhension.

Une immense clarté pourpre embrase l’horizon. Le jour se lève.

Que nous réserve-t-il ?

Vous le saurez dans la division suivante. Sinon, c’est que je serai en rade d’idées..

DIVISION CINQ

Rendez-vous compte, bande d’enfoirés à sec, comme la situation est affolante.

Marie-Marie, petite gamine innocente, lâchée dans une population noire, hostile et cannibale sur les bords, pour s’en aller porter à un tyran sanguinaire un message qui le fera sortir de ses gongs[57]. Songez combien cette perspective de la mignonne affrontant l’ogre serait épouvantable, combien elle guérirait les hoquets chroniques, flanquerait des crises de tachycardie paroxystiques et coagulerait les sangs les plus fluides, s’il ne s’agissait seulement, grâces m’en soient rendues, d’une histoire de fiction.

Une fiction au gant de crin, comme qui dirait, souate, mais fiction tout de même !

Et n’est-ce point là l’essentiel ?

Non, ne me remerciez pas, c’est tout naturel !

— T’as pas pu la rejoindre, cette petite conne ? grogne le Gros, en achevant sa boîte de singe — l’étiquette indique que c’est du macaque aux aromates.

— Hélas ! bous-je. Il ne nous reste plus qu’à espérer.

Pépère referme son couteau après l’avoir utilisé comme cure-dents.

— Attendons, évasive-t-il. Seulement, va falloir s’occuper des troupes.

— Qu’entends-tu par là, président ?

Mon ami hoche la tête.

— C’est mauvais de laisser les hommes inactifs, Mec. Surtout après la révolution. Faut les occuper séance tenante.

Je suis frappé par la clairvoyance de cet être d’exception.

— Tu as raison, Gros. L’inaction est la mère de tous les vices ! Que comptes-tu faire ?

— J’ai un tas de projets dont auxquels je préfère ne pas en causer.

Il se tourne vers le colonel Nhé.

— C’te base, elle comporte de combien d’hommes, Gros-Chibre ? s’inquiète-t-il.

— Quatre mille répond le brillant officier qui serait sans doute borgne si on lui avait enlevé son mauvais œil.

– Ça représente quoi t’est-ce de l’armée totale ?

— Les deux tiers, les deux autres mille étant disséminés dans le pays.

— La garde personnelle de Kelkonoyala, combien d’éléments ? coupé-je.

— Deux cents environ.

— Du nougat, jubile le Gros.

Nhé n’est pas convaincu.

– À voir !

— Qu’est-ce t’entends par là, vieille pédale ?

— Ils ne sont que deux cents, mais ils sont Blancs, il s’agit de mercenaires que Kelkonoyala paie à prix d’or. Ils possèdent une cinquantaine de mitrailleuses, deux vrais tanks, un monceau de mitraillettes et même un canon ; vous vous rendez compte, par rapport à nous !

L’énoncé de ce catalogue fait sourciller A.-B.B.

— Et ici, l’armement, consiste en quoi ?

Le colonel hausse les épaules.

— On avait deux mitrailleuses, mais vous en avez détruit une. Nous possédons cent fusils dont quatre ont des munitions. Tout le reste est composé de lances.

— En effet, y a pas de quoi organiser le défilé du 14 juillet, admet Béru. Heureusement qu’on a pas débarqué ici les mains vides.

Il cligne de l’œil.

— Not’ zinc est plein de bazookas avec des caisses de munitions à n’en plus finir. Ta capitale, si on se fâche, on en fait de la poudre de riz, Gros-Chibre !

— Et qui manœuvrera ces armes modernes ? Elles feront bien trop peur aux hommes.

— Personne n’est capable de les utiliser, ici ? demandé-je, un tantisoit peu soucieux.

— Si, quelques officiers supérieurs à la rigueur, mais ils n’accepteront pas de s’en servir. Vis-à-vis de leurs hommes ça ferait mauvais effet.

Bérurier bondit.

— Ah ! ils n’accepteraient pas ! Tu veux me sonner le rassemblement dare-dare, Gros-Chibre, que je leur cause !

* * *

Vous n’avez encore jamais vu Bérurier en grand uniforme ? En ce cas, faut que je vous le raconte. En un temps record, l’efficace Nonœil lui a dégauchi une tenue qui ferait mourir de langueur un général haïtien.

Renseignements pris, la tenue que je vous parle proviendrait d’une représentation de « l’Aiglon », donnée à Kikadissa, voici quelques années, par les tournées Karsenty. À l’issue de la représentation, certains spectateurs, abusés par le titre de la pièce, crurent que l’acteur interprétant le roi de Rome était bel et bien un oiseau déguisé en homme, et le mangèrent assorti de petits pois, tout comme s’il s’agissait d’un pigeonneau. Bougez pas, bougez pas, c’est pas fini. Le jeune acteur en question était homosexuel, comme cela se produit quelquefois (très rarement) dans le milieu théâtral. Lorsque les crédules l’emparèrent pour le plumer et le faire rôtir, l’Aiglon était justement en train (c’est le mot) de donner des gages de sa tendresse au comédien qui jouait « Flambeau » dans les alexandrinades de M. Edmond Rose-Tendre[58].

Toujours victimes de leur logique élémentaire, les galimafreurs de volatiles se dirent « Y a qu’un aigle pour s’embourber un aiglon. Donc, l’autre est aussi un oiseau déguisé en homme. » Et ils bouffèrent également Flambeau dont l’uniforme devint, de ce fait, disponible. Vous me suivez bien ? Cet uniforme fut récupéré par un marchand juif habitant le Karo-de-la-case (fameux quartier marchand de Kikadissa) lequel marchand le loua pour les réceptions officielles à des dignitaires du régime. Et c’est lui que Bérurier a sur les côtelettes à l’instant même ou j’écris.

Je ne saurais clore cette digression, mes braves serins, sans avoir attiré votre attention sur un fait troublant. Avez-vous remarqué qu’un grand nombre de comédiens, plus ou moins vedettes, disparaissent un beau jour des affiches et des génériques ? On se dit, un soir, entre amis : « Tiens, qu’est devenu Dugenou ? On ne le voit plus nulle part. » Eh bien, cette innocente remarque est en quelque sorte une oraison funèbre. Nos comédiens, mes chéries, disparaissent au cours des tournées alléchantes que Messieurs Herbert, Karsenty et Baret envoient dans des pays dont le public goûte davantage la chair des interprètes que le texte de la pièce. Nos effectifs artistiques sont mangés ! Voilà la vérité ! Et je crois que le record des louches disparitions fut battu le jour où l’on donna Chantecler[59] dans des pays sous-alimentés. Il fallait que ces choses-là fussent dites un jour par un homme courageux, c’est chose faite ! Enfin !

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57

J’ai trop fait du porte à porte pour parler encore de gonds.

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58

Ça fait deux fois que je cause de lui dans ce livre, j’ai l’air de lui en vouloir, mais c’est pas vrai. Vous savez, mettre Napoléon II en vers (et contre tout) n’est pas plus déshonorant que d’écrire des San-Antonio.

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59

Du même Edmond Rosse-tant !