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Béru scrute l’entrée du camp où tournoie un nuage de poussière.

Au cœur du nuage il y a une jeep.

Dans la jeep des hommes armés.

Et, sur le capot de la jeep, comme un émouvant bouchon de radiateur, Marie-Marie, attachée dans la position assise.

Le véhicule tangue sur le sol inégal. Il s’arrête. Les passagers interpellent un capitaine de la récente fournée lequel nous désigne du menton. Puis la jeep reprend sa marche dans notre direction.

Les quatre occupants, chauffeur y compris, sont des Blancs barbus, casqués, vêtus de tenues léopard et affublés de grosses lunettes de soleil aux verres extrêmement foncés.

Je n’ai d’yeux que pour la petite fille, cherchant à lire d’éventuels sévices sur son corps fluet. Je n’aperçois que de la poussière et, sur son front, de la sueur.

— Dis à ces grosses brutes qu’y m’détachent, Santonio ! me lance-t-elle du plus loin. J’ai les miches qui rôtissent sur c’te carrosserie !

Le gars placé au côté du conducteur plisse ses paupières de crapaud soucieux.

— Ah bon, c’est toi, San-Antonio ! dit-il. En effet, je te reconnais. Y avait ta binette dans Kuwa-Soir d’hier. T’étais avec ce connard de Savakoussikoussa qui te confiait sa flotte aérienne sur une base libyenne !

Il a l’accent belge. Sa barbe est plus fournie que celles de ses compagnons. Il est rubicond, le rubis-con. L’œil jaune de l’hépathique dont le foie ressemble à une semelle de croquenot éculé. Des veines en relief sinuent sur les pommettes. Une bouteille de scotch doit constituer son repas de midi, et une bouteille de gin son dîner. Alcoolique à bloc, Césarin. Va bientôt trimbaler sa cirrhose dans une brouette !

— Heureux d’avoir les honneurs de la grande presse, réponds-je sans me départir. À part ça, bouffi, tu me serais agréable en détachant la môme de ce capot.

Son regard en forme de crème au caramel se pose longuement sur moi.

— Monte avec nous, tête de lard, finit-il par déclarer. Le patron veut te parler.

— Quel patron ?

— Le président, quoi ! Kelkonoyala. Ta babille l’intéresse, mais comme il n’aime pas se déplacer, faut venir le voir à domicile. Si tu fais de l’obstruction, j’assaisonne la môme.

Il soulève légèrement le canon de sa mitraillette dont l’extrémité est posée sur le pare-brise couché de la jeep.

— La petite péteuse de mes burnes ! ronchonne Béru à l’adresse de sa nièce, nous mettre dans des béchamels pareilles ! Ah ! si je la tiendrais, j’y ferais fumer le prosibe, crois-moi !

— Seulement tu ne la tiens pas, et son pauvre petit derrière fume suffisamment comme ça, hé, Sac-à-Nouilles ! riposté-je en grimpant dans la jeep.

Les mercenaires se serrent pour me laisser de la place. Ils puent comme des boucs négligés et sont aussi gracieux que la vieille dame que vous venez d’éclabousser de boue très habilement à l’aide de votre bagnole.

Pour l’heure je ne me fais pas trop de soucis. Une rencontre avec le président en place, n’était-ce point mon principal objectif ? S’il demeure belliqueux, je me charge de lui rabaisser son caquet, au tyran !

Lorsque je suis dans la tire, au lieu de donner l’ordre de déhotter, le vilain barbouzard quitte sa place pour pénétrer dans l’épave du coucou. Il reste un bon moment dans l’appareil. Quand il en ressort, son visage est radieux :

— Van de Pute ! Van de Schishoun ! appelle-t-il.

Les mecs qui m’encadraient le rejoignent.

— Vous me gardez cet avion à vue, ordonne le mercenaire, il est plein de belle quincaillerie. Feu à volonté sur tout ce qui voudrait en approcher, compris ? Je vous enverrai du renfort un peu plus tard.

— Passe devant ! m’enjoint-il.

J’obéis.

— Croise tes mains derrière la tête, reprend le gros vilain en s’installant sur la banquette arrière. Si t’as le malheur de les abaisser, je t’arrose et j’arrose la petite. Mon surnom c’est Jo-la-gâchette-d’or. J’ai déjà aligné tellement de bougres que si on les mettait bout à bout, ils iraient jusqu’à Bruxelles.

Je fais ce qu’il m’ordonne en m’efforçant de sourire.

— T’as pas intérêt à ce qu’il nous arrive du suif, Bouffi, préviens-je. Car alors t’assisterais à une Saint-Barthélemy en comparaison de laquelle la fiesta de la mère Médicis n’était qu’une surprise-party.

Jo-la-gâchette-d’or hausse les épaules.

— Me mets pas l’eau à la bouche, camarade commissaire, je suis né pour le massacre, moi. Et plus ça pète, plus je prends mon, pied.

Là-dessus, fouette cocher ! comme disait je ne sais plus qui à un driveur de fiacre qui avait forcé sur le cassoulet.

On déboule à fond de caisse sur la lande poudreuse.

Les trois mille six cents nouveaux « capitaines » ne nous prêtent pas la moindre attention, bien trop occupés qu’ils sont à coudre des galons sur leurs manches.

Sans baisser la lure, nous franchissons l’entrée du camp où deux sentinelles sont en train de sodomiser une chèvre à poils longs, aux yeux terriblement sexy. Plus exactement, il n’y a qu’une sentinelle qui fourbit la cabre, la seconde, quant à elle embourbe son camarade, ce qui donne une fresque saisissante, digne du burin de Rodin.

On continue sur une route nationale dès qu’on l’aura goudronnée. Elle s’en va, tout droit, dans une vapeur de chaleur tremblotante, vers la ville de Kikadissa, dont on devine les constructions, au loin. De temps à autre, on croise un Noir sur un bourricot. Parfois, près d’un maigre bouquet d’arbres blancs de poussière, on aperçoit une maigre cabane devant laquelle des grand-mères aux seins traînants pilent des céréales chétives dans des mortiers d’ébène.

Ça roule, roule.

— Merde, roulez doucement ! aboyé-je, en voyant la pauvre petite Marie-Marie dodeliner sur son capot. Si jamais une ficelle casse, la gosse va à dame !

— Et alors ? rigole Jo-la-gâchette-d’or. Ce serait divertissant, non ? Y a quelques mois, on est allés mater une révolte dans l’Oslo-Bouko, tu peux pas savoir ce qu’on s’est marrés avec les moutards. On les prenait par les pieds et on leur cassait la tronche contre des troncs d’arbres sauf aux petites filles. Elles, on les asseyait sur des pieux affûtés et on les faisait tourner comme des girouettes.

— Tu parles d’un Luna-Park, admets-je en serrant les poings derrière ma nuque. Vous étiez dans des asiles psychiatriques, je suppose, avant de prendre du service sous Kelkonoyala ?

Jo se gondole.

— T’es truffe, camarade commissaire. Plein d’idées reçues. Perclus dans une morale bourgeoise. La vie est une jungle. T’as déjà fait une virée en forêt vierge ? Vas-y voir un peu, comment ça se goupille là-bas dedans. Ça s’entretue à qui mieux mieux. Un vrai carnage permanent, mon gars ! Les uns bouffent les autres et les autres les uns ! Moi, à Bruxelles, si je te disais, j’étais employé de banque à mes débuts ! Service des titres !

Il éclate d’un gros rire qui trouve un écho sinistre chez le barbu du volant.

— Je me pelais l’haricot à cent sous de l’heure, en regardant par la fenêtre un morceau de ciel grand comme un mouchoir. Et puis un jour, j’ai plus pu y tenir. Nach le Congo ! Ça cognait, là-bas ! Un vrai régal ! La vocation m’est venue.

— La vocation de tueur ?

— Exactement ! On est bien trop de vivants sur cette planète, camarade commissaire. Plus tu en démolis, plus tu rends service à ceux qui restent ; voilà comment je conçois les choses désormais. Pour moi, écraser une mouche ou un gosse, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ; sauf que je m’excite mieux quand je bousille un garnement.