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Ou plutôt, quelqu’un !

Je fais un pas en avant.

Et je découvre le comte Alcalivolati, un verre de whisky à la main.

Souriant !

Rasé !

DIVISION HUIT

S’il y en a qui ménagent leurs effets, je ne suis pas de ceux-là, convenez !

J’aurais pu garder ce coup de théâtre pour la faim, non ? Deux, coup sur coup, c’est gâcher la marchandise ! La fille Kelkonoyala qu’on me flanque dans les mandibules au beau milieu de mon numéro, c’était pas mal. Je pouvais développer là-dessus ; exploiter la situation sans trop tirer à la ligne. J’avais de quoi tartiner, gagner de la page honnêtement, tous mes confrères à la frère vous le diraient. J’en sais, ils en eussent fait leurs choux gras de cette renversée. En tout cas un chapitre entier. Deux à la rigueur (et sans trop de rigueur). Comment que la brusque réapparition du comte ils se la mettaient en réserve pour les jours sans phosphore. Emballage sous vide ! Ça ne mange pas de pain ! Quand tu mollasses des cellules, tu ouvres le sachet de cellophane et t’as ton petit coup de théâtre déshydraté à mettre tremper pour lui redonner consistance, l’intégrer à l’action en temps voulu.

On a toujours besoin d’un petit pois chez soi, mes gueux !

Seulement, avec San-A. c’est le respect du lecteur assuré ! Il pleure pas la camouze, le brigand ! Paie de sa personne et de sa gamberge ! Deux coups de vape en fin de chapitre ! Toc ! et toc ! Servez chaud ! On verra plus tard !

Vous avez déjà trouvé cette probité autre part, vous autres, grands malins ? Moi, jamais ! Unique en son genre ! Et son genre unique aussi ! Alors, vous repasserez !

Pas d’économies sur l’affabulation, jamais ! La fille Kelkonoyala, vlan !

Et puis, zou ! quelques lignes plus loin : retour d’Alcalivolati ! La cataracte ! Les chutes de Jambèse ! La licorne d’abondance ! Sucrez-vous, docteur ! Une générosité inégalable, San-A., je vous le dis ! La parcimonie ? Chez Plumeau ! Quand il sera clamsé, là là, c’te période de sécheresse, mes frelots ! C’t’aridité dans la littérature de mouvement ! Pauvres de vous !

— Tiens, v’là la rose ! je m’écrie, en essayant de mutiner pour cacher ma désespérance.

— Pourquoi, la rose ? dit le comte hautain (ça lui va bien au teint).

— Parce que l’impotent c’est la rose ! bécauds-je[67]. Alors on a largué sa petite tuture, comte ?

— Cette simple canne me suffit, avoue le ci-devant nourrisson de la dame Pronunciamiento. En Italie j’exagérais un peu mon infirmité pour justifier la petite pension que l’État me versait parcimonieusement. Que voulez-vous, je traversais une période grise…

— Qui est terminée, mon cher comte ! déclare le président Kelkonoyala. Grâce à votre esprit d’initiative, vous vous êtes assuré une vieillesse heureuse, car jamais je n’oublierai !

Alcalivolati exécute une légère courbette.

— Merci de me rassurer, président. Je constate avec plaisir que vous avez plus que votre prédécesseur le culte de la reconnaissance.

Kelkonoyala est de bonne humeur, cela s’entend et se voit.

— Vous n’aviez donné qu’un État à Savakoussikoussa, dit-il après avoir fait de la fumée, tandis qu’à moi, mon cher ami…

Il caresse d’une main frémissante l’épaule ronde de sa fille.

Elle n’a d’yeux que pour mézigue, cette Vénus ! Faut voir la manière qu’elle me défrime. Ce regard caressant, maâme la marquise ! Ce tendre éclat dans la prunelle ! L’exorbitance de son iris ! Bref, parlons le langage des garçons de bains : J’ai une touche, quoi !

Mais comme ce n’est pas la première, je décide de ne pas me liquéfier et de conserver la tronche froide, bien qu’il fasse quarante à l’ombre.

— Ainsi, on est passé à l’ennemi, comte ? je lui balance, on a changé de râtelier en cours d’action ?

Il hausse les épaules.

— Je réprouve certaines méthodes. Peut-être que mon sang bleu n’a fait qu’un tour en apprenant le rapt de Mlle Kelmijoré.

— Ou peut-être que votre grosse cervelle bleue vous a laissé entrevoir le parti à tirer d’une pareille volte-face, non ?

Il ne se formalise pas.

— Qui sait ! répond-il. Voyez-vous, j’ai surtout été troublé par le comportement de Savakoussikoussa. Perdre la tête au point de flinguer sous mon toit ses sbires après s’être laissé coller par un trio de flics, voilà qui dénotait une perte de self-contrôle inquiétante. Son affaire s’engageait mal.

Il sourit, son visage oint de crème hydratante luit dans la lumière.

— J’ai toujours été du côté des vainqueurs, monsieur le commissaire.

— Vous étiez au courant du kidnapping de mademoiselle ?

— De tout, mon cher, de tout ! Si je vous disais que je m’envoyais personnellement les mandats que je recevais.

Bon Dieu, bien sûr… Le grand type maigre du bureau de poste, flanqué d’un Noir aux cheveux blancs… C’était le comte Alcalivolati soi-même !

Che bella combinazione !

Coups fourrés en chaîne ! Carambolage d’arnaqueries. Chacun fricotait à sa manière, prenait ses petites précautions pour se garer des courants d’air.

Comme chaque fois, en pareilles circonstances, ma pensée vagabonde, butine d’un fait sur l’autre, voltige d’un truand à l’autre, collecte les incidents de parcours, les réinterprète.

Pas étonnant que, dès le soir de l’embarquement, sur la rive italoche, le président ait été au courant de la mort de Francesca Fumaga. Avant de larguer Venise, le président a dû avoir un contact plus ou moins direct avec Alcalivolati. Probable qu’après notre départ de son palais pouilleux, le comte a prévenu les conjurés de ce qui venait de se passer. Ensuite il a pris les chocottes et a résolu de passer carrément à l’ennemi. La situation allait devenir intenable pour son blason mité sur le sol italoche. Il n’avait plus confiance en Savakoussikoussa…

Je n’arrive pas à détacher mes yeux de Kelmijoré. Incorrigible, le San-A. Dans les pires instants, suffit d’une pin-up pour qu’il s’envole. Je me rappelle des enterrements familiaux qui m’éprouvaient beaucoup. Derrière le corbillard, en réprimant des larmes, j’apercevais tout à coup une souris pas mal balancée et au sourire nostalgique à qui le noir allait bien. Illico le déclic jouait. Je me laissais couler, en queue de peloton avec la nana pour l’entreprendre, d’ores et déjà, entre deux coups de goupilloche. Mieux : en lui passant le goumi je m’arrangerais pour lui caresser furtivement la main. La vie qui continuait, quoi ! Obstinée ! Exubérante ! Pleine de sève, de fichtre et de foutre. De profundis, mon cul ! Après un coup de flou, il redressait la collerette, Popaul ! Se remettait à jouer « Les cinq sous pour l’avoir raide » à guichet fermé !

— Que vas-tu faire de lui, père ? demande la ravissante au tyran.

Kelkonoyala m’enveloppe, d’un regard implacable.

— Je l’ignore encore, tout dépendra de son esprit coopératif. Ce sera la fourmilière, le peloton d’exécution ou bien, qui sait, la liberté…

Ces paroles suffisent à me ramener à la notion de la dure réalité. Avouez qu’elles feraient réfléchir une glace sans tain ? Je me convoque d’urgence pour une communication de la plus haute importance et m’adresse, sans mâcher mes mots, la diatribe suivante : « Cher San-A., au lieu de rouler des yeux blancs à cette déesse gréco-noirpiote et d’admirer l’infamie du comte Alcalivolati, tu ferais mieux de te préparer un avenir meilleur. N’oublie pas, sombre crêpe, que tu as dans ta main moite un petit appareil qui risque de modifier le cours de ton destin. Peut-être serait-il temps de t’en servir ? »

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67

Note pour les jeunes romanciers : ne jamais se permettre des à-peu-près aussi pauvres, surtout quand on a déjà casé ce calembour quelque part.