Выбрать главу

Illico, Kelkonoyala retrouve son sérieux.

— Vous supposez parfaitement bien, mon cher. J’ai besoin de vous. Cela dit, si vous êtes récalcitrant, j’ai, vous le savez, les moyens d’assouplir votre mauvaise volonté…

— Et en quoi puis-je vous être utile, mon bon président ?

— En faisant pression sur le gouvernement français pour qu’il me consente certaines… disons, heu… facilités dans le marché que je m’apprêtais à conclure avec lui.

— Concernant ?

— Rien de très original, monsieur… heu… San-Belmondo… L’achat de Mirage, comme tout le monde. Je crois qu’il s’agit là d’une mode. On est pro-Mirage comme les Occidentaux sont pro-mini ou maxi-jupe. Phénomène collectif, mais auquel un chef d’État avisé se doit d’adhérer lorsqu’il appartient au tiers monde.

— Et mon pays refuse d’enregistrer votre commande ? La chose m’étonnerait. Après le melon de Cavaillon et le Saint-Émilion, le Mirage est la denrée qui se vend le mieux, chez nous.

Kelkonoyala fait une petite moue insatisfaite.

— Entendons-nous, la France est d’accord pour nous céder la douzaine d’avions que je lui réclame, mais elle y met deux conditions difficilement acceptables.

— Vraiment ?

— La première, énumère le petit homme sombre, c’est qu’elle exige d’être payée, ce qui n’est pas dans ses habitudes lorsqu’elle traite avec des pays sous-développés. Et la seconde, c’est qu’elle veut nous livrer des Mirage standard, sans les modifier selon les normes que nous souhaiterions.

— Et quelles sont ces modifications envisagées, président, si ce n’est pas trop indiscret ?

Kelkonoyala se fait grave.

— Selon nos calculs, le dernier Mirage se trouvera à la casse lorsqu’un de mes Kuwiens sera capable de le piloter, en conséquence, nous souhaiterions que les appareils fournis fussent équipés de moteurs Bréguet 1921, seule mécanique aéronautique que mes techniciens les plus chevronnés soient capables d’utiliser avec quelque compétence. Vous comprenez, extérieurement ces fameux Mirage seraient inchangés ; seules leurs structures internes se différencieraient des structures normales. Nos voisins n’y verraient que du feu et notre suprématie aérienne resterait totale. Hélas ! pour je ne sais quelle sotte raison de prestige, les responsables français refusent de se rendre à nos arguments !

— Et vous comptez sur moi pour les faire changer d’avis ! m’écrié-je.

— Exactement. Vous êtes ici quatre ressortissants français. Vous, commissaire, occupez de hautes fonctions. Ce crétin de Savakoussikoussa vous a déjà compromis en vous faisant passer pour son chef guérillero. Je n’aurais aucun mal à créer un incident international grave ! À rameuter l’opinion de certaines grandes puissances contre votre pays. Nous sommes très sollicités, savez-vous ! Car, chose curieuse, les puissants de ce monde ne guignent que les faibles. Plus un pays est galeux, aride, démuni, plus il excite les convoitises. Consentez-vous à vous montrer coopératif, ou dois-je employer les grands moyens ?

— Attendez, patron, coupé-je. Et si, malgré mon intervention, notre gouvernement refusait de céder ?

Kelkonoyala lève les bras de l’impuissance vers un ciel inclément.

— En ce cas, vous deviendriez inutiles, vous et vos amis, donc superflus et par conséquent encombrants. Que fait-on des choses encombrantes. Monsieur… heu… San-Remo ? On s’en débarrasse ! Cela dit, si pour collaborer, vous avez besoin de l’acquiescement de votre conscience, je puis lui fournir un argument valable en plongeant cette enfant dans une termitière, ou bien en faisant sectionner les testicules de vos compagnons… Qu’y a-t-il de plus malléable qu’une conscience ?

Cette réflexion philosophique, en guise de question, met le point final à la carrière du président Kelkonoyala, mes amis. C’est une république terminale qui en vaut une autre. Il est bon qu’un destin national s’achève sur une interrogation. Que le dernier mot d’un homme soit « pourquoi ? » délimite parfaitement la faiblesse de cet homme.

Remarquez que cet état de choses cessera un jour. Les bipèdes, dans le fond, manquent de confiance en eux-mêmes. Ayant déclaré insoluble le mystère de la création, ils s’en accommodent. Les plus orgueilleux prétendent que la question ne les intéresse pas. Foutaises ! Tous ne pensent qu’à ça, au contraire. Mais il est qui cherchent, furieusement. Et qui trouveront ! Après des millénaires de cocufiage spirituel, l’homme arrachera le voile. Il obtiendra la Vérité ! Fatalement : PUISQU’ELLE EXISTE ! Alors, il se retournera pour considérer la nuit des temps, et ce nouveau démiurge de la connaissance nous adressera, j’espère, une grande pensée apitoyée, à nous tous, les martyrs du doute, les œufs de l’opaque !

Mais ma tartine vous fait tarter. Vous m’avez enjambé le paragraphe pour aller au maillon suivant d’une action dont vous ne direz pas qu’elle n’est pas fertile en rebondissements.

Un badaboum effroyable vient de retentir ! Quéque chose de fabuleux ! D’apocalyptique ! De… De… Et de…[71]

La maison vacille, le sol tremble ! L’air est en furie ! C’est la fin of the world, le séisme ! La secousse simiesque dont parle Béru. On se tortille sur place. J’ai que le temps de cramponner Pinaud que le souffle allait chavirer. D’un coup de genou je retiens Marie-Marie !

— La bombe ! La bombe ! clame Béru.

Oui : la bombe. Je réalise brusquement une chose : elle était réglée sur le méridien de Greenwich, mes gueux. Alors elle a détoné avec trois heures de retard[72].

Quel tonus, cette bombinette ! La résidence périclite ! Les murs se fissurent ! Les étages s’effondrent ! Mais y a plus mieux encore ! Illico après la secousse, l’embrasement, la nuée ardente, v’là la flotte de la piscine qui déferle. Deux cent mille litres de flotte, tu parles d’une douche ! En petit, c’est la catastrophe de Malpasset ! Houyouyouïe, c’te trombe ! Le flot impétueux a des conséquences que je vais avoir l’honneur et le talent de vous décrire, mes chers vous tous, et toutes ! Imprévisibles ! Fantastiques ! Providentielles, aussi : faut bien, du moment qu’on est dans un livre d’aventures !

La flotte a chuté des étages jusqu’à notre sous-sol par des chemins multiples mais tous orientés de bas en eau. Floc, flaoutche, glouglou ! Ça se pointe en cataracte, en prostate, en hectolitres ! Juste comme le mercenaire de faction s’apprêtait à fuir, il est refoulé par la vague tempétueuse. Il recule, son talon bute contre un des dards. Il perd l’équilibre, s’accroche à Jo-la-gâchette-d’or qui à son tour part à dame ! Ce faisant, le chef barbu renverse le chétif président !

L’eau pénètre dans la pièce. Nous grimpe au mollet. Nous fouette. Heureusement qu’on se tenait en essaim au début de la scène (on peut même dire de la Seine). L’union fêle la force ! On s’arc-boute ! On serre les dents. On bande ce qui nous subsiste de muscles. Faut tenir. Le flot tourbillonne un instant et se retire en partie pour suivre la pente.

Ce que je viens de vous narrer avec un certain brio, vous savez combien de temps ça a duré ? Écoutez, j’ai pas regardé la trotteuse de mon ognasse, mais si ça excède quatre secondes, c’est moi qui suis excédé.

— Ben, tu vois qu’y fonctionnait, ton bidule ! gazouille Marie-Marie. T’étais déjà prêt à écrire des insultes au fabricant, Santonio !

Elle se tait car elle vient de découvrir les résultats du raz de marée-marée.

Ils sont impressionnants.

Si vous avez le cœur sensible, mes chéries demoiselles (ou prétendues telles) vous feriez mieux d’aller acheter votre vert-à-paupières ou votre soutien-loloches renforcé en caoutchouc-mousse pendant que je vais expliquer le topo aux messieurs-dames sadiques qui continueront de me lire en se pétrissant l’entre-deux.

вернуться

71

Travaillez un peu, que diable !

вернуться

72

Vous cassez pas le prosibe à faire le calcul pour connaître notre position, tout ça n’a aucune, mais alors aucune importance !