Le plus fadé, c’est le président !
Le sort fut pour lui bien cruel. Il gît, embroché sur une demi-douzaine de pics, la face tournée vers le sol. Il a un pieu dans le bide, un autre dans la poitrine, un troisième dans les roustons et un quatrième dans l’œil gauche, ceci pour la verticale.
Concernant l’horizontale, il s’est embroché un bras et une main. Un, deux, trois, quatre, cinq et un qui fait six ; le compte y est !
Mamma mia, son beau costard blanc ! Plein de sang, du revers de pantalon au col ! Heureusement pour lui, il est mort sur le coup, le président. Qu’est-ce qu’on peut souhaiter de mieux à un mort, sinon d’être mort très vite, hein, dites ? Et puis, bien sûr, d’avoir droit à la vie éternelle, slave a de soie.
Mais vous parlez, quand même, se rectifier de la sorte ! Quelle horreur ! Remarquez, il n’avait qu’à pas concevoir une geôle aussi vicelarde, après tout ! La justice immanente, quoi ! Vous pouvez pas savoir comme elle est fréquente dans les bouquins ! Le boomerang ! Sublime !
Pour ce qui est de Jo-la-gâchette-d’or, l’est pas prêt d’en actionner, ce foutre barbouzard. Lui, il est tombé assis ! On dirait le roi du Népal sur son trône ! Il en a pris trente centimètres dans le derche et il est presque évanoui. Ce qui lui reste de lucidité, il l’emploie à dégobiller comme un rat d’égout qui viendrait de bouffer le câble téléphonique du ministère des Affaires sociales.
Pour comble de malchance, en essayant de freiner sa chute, il s’est transpercé les deux mains, d’où la raison de mon affirmation quand je prétends qu’il n’est pas encore apte à tirer à la mitraillette, fût-ce par correspondance. Le troisième larron, lui, c’est un panard, seulement, qu’il est embroché. Comparé au président, c’est peu de chose. Ça suffit cependant à lui faire perdre son teint de jeune fille. Il pleure ! Il appelle sa mère. Il déclare qu’il aurait dû rester devant son Dubonnet[73].
On se figure… Mais la vie n’est pas toujours rose pour les mercenaires, vous savez ! Y a les impedimenta, comme disaient les Romains avant de parler couramment italien. D’accord, la solde est bonne, seulement faut arriver à la fin du mois ! C’est là qu’est le hic ! D’une fin de mois à l’autre, il s’en passe, des trucs. La preuve ! Il pouvait s’attendre à une foirade de cet acabit, le jaspé ? Dites, sérieusement ? Quèque chose lui aurait laissé prévoir cette méchante mayonnaise ? Lui, pas bêcheur, il montait la garde devant la geôle, sa seringue dans les bras. Vous lui annonciez que cent mille litres de flotte fortement chlorée allaient lui débarouler à travers les nougats, en pleine sécheresse qui plus est, il vous prenait pour un tarabusté de la coiffe, le guerrier mensualisé. Vous conseillait de forcer sur la quinine.
— Venez, dis-je à mes aminches.
Je ramasse une pétoire, puis une seconde, pour si des fois je me déciderais à commencer une collection. Ainsi nanti, je bombe dans le couloir.
— Prenez le président avec vous ! enjoins-je à mes sbires.
Le Gravos ricane.
— Tu sais, dans l’état qu’il se trouve, même l’estrême ponction du pape lui ferait nibe de nibe.
— Amenez-le, foutre merde ! tonné-je, emporté par l’esprit de commandement et voulant que mes peones le soient par celui de l’obéissance.
Une obéissance tellement aveugle qu’elle ne doit pas se déplacer sans canne blanche.
— Qu’est-ce tu veux branquiller de ce cadavre ? questionne la pipelette borgne. Le faire empailler !
Ils sont d’un cynisme, les mouflets, de nos jours, je vous jure ! À en récupérer le cercueil de leurs parents après l’enterrement pour s’en faire des Kayacs[74].
— La meilleure manière de prouver au peuple la mort d’un dictateur est d’exposer son cadavre, déclaré-je. Un mort sur un catafalque est préférable à tous les certificats de décès signés des noms les plus illustres. Lorsqu’on aura montré la carcasse du président, personne ne doutera de sa disparition et ses sujets se tourneront plus résolument vers l’avenir !
Sur ces paroles que m’aurait enviées Napoléon Bonaparte, j’essaie de refaire surface.
La chose n’est point commode, mes pauvres gamins ! Ce chantier ! Après ce livre, les gus habitant dans un immeuble coiffé d’une piscine vont s’hâter de déménager, je prévois. Y aura du remous dans l’immobilier, mes sœurs ! Ah, mes petites grand-mères, je voudrais que vous puissiez jeter un œil sur le palais présidentiel after la tornade. Tout est démembré (sauf moi Dieu merci ; que deviendriez-vous si le cas échéait ?).
Les fenêtres sont arrachées ! Les murs lézardés ! Les lézardes noyées ! Les noyés déjà secs car c’est le terrific soleil qui, à présent, pénètre à flots in the masure. Je mate un larbin noir, lessivé, qui a la tête passée entre les barreaux d’un fauteuil. Deux mercenaires sont encastrés dans un mur, kif-kif les dessins animés qui, malgré ça, ont une âme[75].
Quelle cruelle dévastation ! Un tremblement de terre anatolien ! Un typhon jamaïcain ! Une avalanche savoyarde ! Le tout bien mélangé et agité avant usage !
Le hall est désert. Les mercenaires rescapés ont mis les adjas. Au loin, je vois la foule qui s’agglutine, comme des poissons attirés par une charogne.
Tout ce qui était encore vivant dans la résidence l’a évacuée vite fait. Ils courent encore, comme des furets, le dos rond, le cœur fou, craignant une nouvelle secousse. Panique générale ! Laissez passer les dératés qu’ont des ratés !
Béru exhale un soupir dont le mistral aurait à rougir.
— Bon, et à présent, Mec ? demande-t-il.
— Déposez le président sur les marches du perron, de manière que l’on sache que le pouvoir est vacant.
La Vieillesse flageolante use son dernier sursaut d’énergie à cette macabre besogne. Après quoi, avisant un transat de toile dans les décombres, elle s’en empare, le traîne à l’ombre d’un palais-laitue-évier-rose et s’y abat, comme un fonctionnaire venant d’accéder à la retraite après trente-cinq ans d’inaction rémunérée.
Pinaud dort pour longtemps. Si profondément que je doute qu’il s’éveille avant la fin de ce puissant récit.
— Mince, t’as vu ça ? grommelle le Mastar. J’ai cru que c’était une noix de coco.
De la pointe du pied il remue un objet rond assez volumineux par rapport à un œuf de pigeon, mais plutôt petit si on le compare avec l’invention des estimables frères Montgolfier. En bref, il s’agit de la tête du comte Alcalivolati. Non loin d’elle, y a un morcif du tronc du pauvre. Et encore plus loin, son slip de bain brodé à ses armes et contenant les accessoires indispensables à un homme soucieux de ne pas devoir léguer ses biens à ses neveux ou aux bonnes œuvres de la paroisse.
— L’était en train de se baquer au moment du boum-boum, assure Bérurier auquel rien n’échappe. Comme quoi, il a eu tort de ne pas jouer franco avec Pattemouille.
Je suis impressionné par cette nouvelle manifestation de la justice immanente dont nous parlions un peu plus haut et à droite. Sachez, mes chers petits, que, dans l’existence, l’homme qui ne marche pas droit va de travers ! Que bien mal acquis ne profite jamais et que malheur à celui qui par la gaine Scandale arrive[76] !
Un cri tombant des hauteurs me fait lever la tête. Ce que je vois me sèche la gorge. Remarquez, je dis ça, manière d’exprimer car j’avais déjà soif avant.
Dans une catastrophe, mes chers camarades, ce qu’il y a de plus étrange, ce sont ses bizarreries. Non, non : je ne plaisante pas. Tout sinistre s’accompagne d’une part de prodige, à croire que des éléments font joujou. Au cours d’une éruption volcanique, par exemple, on a vu courir des culs-de-jatte qui ne s’étaient même pas aperçus qu’ils n’avaient plus de jambes, et je connais à Persépolis un chapiteau qui tient par la grâce des dieux grecs au sommet de sa colonne, depuis je ne me rappelle plus quel tremblement de terre.
73
Mes collègues, eux, c’est le Cuty-Stark qu’ils promeuvent. Moi, j’suis chargé du département Dubonnet, ça va mieux avec mon style.
74
Kayac peut s’écrire également kayak, avec un k. Ça n’a pas d’importance, l’essentiel est qu’il ne soit pas percé.
76
Y a tellement de turpitudes dans ce bouquin que je suis obligé de déballer un petit coup de morale histoire d’arranger mes bidons avec les mecs d’En haut lieu. Teigneux comme des ânes rouges, ces bougres. Je vous dis ça parce qu’ils lisent jamais les bas de page ; c’t imprimé trop fin et tous les vieux cons ont mauvaise vue.