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— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Elle rougit, ses yeux deviennent pointus comme des clous de tapissier.

— Tu m’en as laissé l’ temps, dis, Bois-scoute ! À peine redescendu de ton ascension, tu l’emportais à l’hosto, parce que toi, Santonio, ton drame, c’est que chaque fois qu’ t’as l’occasion de prendre une jolie fille dans tes bras, tu préfér’rais te laisser déguiser en chair à saucisse plutôt que d’y renoncer. Franchement, tu n’ serais pas le mauvais bougre, mais c’ que t’as, c’est qu’ t’as pas de pudeur !

DIVISION DOUZE[77]

Le Gros est sublime dans son habit noir.

(Il a dû abandonner l’uniforme de Flambeau, meurtri par les derniers événements.)

Il tient dans la main droite une balayette de chiottes en caoutchouc dont on a décoré le manche avec un ruban de velours bleu.

Toute l’armée est là, sur l’esplanade des Seins Valides, ex-place du marché aux esclaves de Kikadissa, rangée en ordre de parade. Elle rutile, ne se composant que d’officiers supérieurs.

— Ouvrez l’ banc ! mugit un lieutenant-colonel.

Pour lors, un gros capitaine armé d’une cognée de bûcheron s’approche d’un banc de bois provenant de surplus français cédés au Kuwa contre des diamants bruts et, d’un seul coup, d’un seul, le fend en deux.

Béru descend de l’estrade où il trônait et s’approche de son camarade Nhé, figé en un garde-à-vous presque britannique à l’avant des troupes.

— Mon vieux Nhé, déclare le Mahousse avec une emphase nouvelle.

Tous les leaders politiques l’acquièrent du jour au lendemain, car la fonction crée l’organe.

— … Mon vieux Nhé, t’as été un de mes premiers compagnons d’armes, les autrefois jadis, et t’as toujours été fidèle à notre amitié. Quand c’est que j’ai venu ici mettre un peu d’ordre dans ce foutu bled livré aux cageots et à l’Anna rechie, la première personne dont sur laquelle j’ai pu escompter, ce fut toi. J’t’ai dit alors qu’après la victoire finale, tu serais nommé maréchal. La victoire, on s’l’a remportée sans coup fait rire. Alors chose promise, chose duse. En vertu des pouvoirs que je m’ai confédérés, je te nomme maréchal de Kuwa !

Et il remet au maréchal Nhé son bâton de gogues.

Accolade.

— T’aurais pu te raser pour la circonstance, reproche Béru à mi-voix.

Il reprend, ayant illico contracté le goût des discours.

— Mon maréchal, fait-il, j’espère que vous serez digne de vos z’hautes ponctions auxquelles vous venez d’adhérer. Usez pas de vos pré-rotatives pour vous embourber les jeunots de l’armée nouvelle. Ça risquerait de contrecarrer les évocations militaires. Le p’tit gars qui veut faire sa carrière dans la coloniale, s’il sait qu’y lui faudra se respirer le méchant chibroque de son maréchal avant l’enrôlement, vous pensez qu’il se tournera de préférence vers l’import-export ; ou z’alors ce sera toutes les petites folles de la contrée qui viendront chiquer les cantinières et à c’tarif-là, on aurait vite une armée de gonzesses. Passons à présent au programme. J’voudrais vous causer de la France, Kuwiens, Kuwiennes. Pendant des années, elle vous a fait suer le boubou. Elle vous a ratissé la canne à sucre, le mobilier d’acajou, le diamant, la noix de coca-cola et tutti-consort. J’insurge contre ! Maintenant que les temps ont viré leur cuti, elle croit réparer en vous cloquant un peu de fraîche et des emplois de balayeurs à Paris. C’est insuffisant. Un homme qu’à l’esprit de justice chevillé z’au corps, comme moi, Béru-Béru, exige des dommages-intérêts radicals. En conséquence, je proclame aujourd’hui qu’à dater de tout de suite, le Kuwa considère la France comme un de ses territoires d’outre-mer et qu’il nomme le président de la république française résident général du Kuwa à Paris.

« D’ailleurs, je compte aller à l’Élysée un de ces quatre pour déblatérer de tout ça avec mou catalogue français.

« Une dernière chose encore, Kuwiens, Kuwiennes, comme vous l’aurez appris, je peux faire la pluie et le Bottin. Depuis deux jours, malgré qu’on soye en saison de pépie, votre fleuve qu’était à sec charrie une eau faite con, pardon : fait conde. Il vous apporte la preuve de ma puissance. Puisque vous aimez la flotte, vous en aurez. Et je vous la laisserai volontiers. Tout ce que je risque de m’accaparer, c’est de quoi troubler mon Ricard. Et maintenant, comme on dit à ses invités après leur avoir fait becqueter des flageolets : allez en pets !

Ces vivats ! Cette ovation ! De quoi fissurer les trompes d’Eustache les plus résistantes.

— C’est bien parti pour lui, hein ? murmure Marie-Marie.

— Pas mal, admets-je. Dans le fond, je viens de comprendre une chose, mon chou : c’est que les Bérurier sont faits pour gouverner le monde.

Brusquement, un mouvement de foule s’opère, qui disloque la belle ordonnance de ces minuscules pièces d’échec noires sur le grand quadrilatère de la place des Seins-Valides. Il convient de vous préciser, mes drames et mes essieux, que la place des Seins-Valides est limitée sur sa partie nord par la rive du Grosso-Modo. Or, ainsi que vient très habilement de le souligner Bérurier (pardon : Béru-Béru), le fleuve, pour la première fois depuis la préhistoire, coule d’abondance en cette saison. Son flot jaunâtre déferle à la vitesse d’un cheval emballé au milieu de la capitale de Kuwa-Béru, ex Kuwa-Kelkonoyalien.

Il bouillonne, il écume, il tourbille, il impétueuse dans un grondement rassurant. Les gamins de la ville se baignent avec délice dans l’eau couleur de safran éventé. Des lavandières, d’origine portugaise, nettoient leurs hardes et les animaux efflanqués boivent à longs traits, ce qui est beaucoup plus difficile que de boire à petits traits. Brusquement, ce petit monde ravi par cette anomalie hygrométrique s’est arrêté de nager, de frotter et de boire pour lancer des clameurs. Consécutivement, la foule alertée s’est précipitée le long de la rive.

Nous l’imitons.

Et que voyons-nous, descendant majestueusement le fleuve impassible ?

Un radeau, mes amis ! En effet ! Bravo de l’avoir deviné.

Un radeau qui nous méduse par son aspect. Un radeau grand comme une arche dénouée.

Et que transporte-t-il, ce radeau ? Je ne vous le donne pas en mille, ce serait trop cher. Ni même en cent. Tenez, je vous le laisse pour le prix du bouquin.

Berthe !

Eh oui, Berthy, Bertaga ! La Baleine ! La Gravosse ! Fleur de bidet ! Mimi-patte-en-l’air ! Mme Alexandre-Benoît Bérurier, quoi !

Elle trône sous un dais, l’altière bougresse ! Bizarre divinité du fleuve intempestif… Majestueuse, vraiment, sans superlatifs inutiles !

Assis près d’elle et la tenant par le cou, il y a le gorille. Jonchant le fond de l’embarcation, tous les blessés de notre première base : Savakoussikoussa, Stockburne, Alfred le coiffeur.

Les Noirs et les dames à plateau rament en cadence afin de freiner l’élan de l’embarcation et d’amener cette dernière à la rive.

— C’est tante Berthe ! C’est tante Berthe ! s’égosille Marie-Marie.

— Ciel, ma femme ! déclame Bérurier, qui, tout à ses pompes et à sa gloire, oubliait quelque peu son désaccouplement.

Il renifle ses larmes et, noblement, escorté du maréchal Nhé et de son état-major, il vient à la rencontre de sa belle, comme Louis XV s’en allant à l’avance de Marie Leszczynska dans la forêt de Fontainebleau.

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77

Histoire de faire un compte rond.