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— Ma chère, ma toute belle, te v’là donc d’retour !

— Fallait bien, lance la Mégère flottante, là-bas, il en tombe comme buffle qui pisse ! C’était plus tenable…

Tandis qu’ils s’effusionnent devant la populace attendrie, je m’approche d’un grand diable de passager que je n’avais point remarqué de prime à bord (à bord du radeau).

Vous savez qui c’est ?

L’ami Tarzan, le lépreux de la forêt.

— Vous ici ! m’exclamé-je. Vous avez donc réfléchi, ou bien sont-ce les pluies diluviennes qui vous ont chassé de votre retraite verdoyante ?

Je cause bien même à la fin d’un livre, non ? J’en garde des réserves, mine de rien. Une sacrée autonomie, votre San-A. Je me serais écouté, aussi sec je vous balançais cinq cents pages de mieux ! C’est mon éditeur qu’a pas voulu. Biscotte le prix de revient. Il dit que ça ne serait plus rentable, vu les tarifs d’imprimerie, les charges sociales et tout ! Ou alors il faudrait vous le faire douiller combien, hein ? Vous ne marcheriez pas. Déjà là, j’sus au plafond. Plus chérot vous me suivriez plus. Vous comprenez, je serais San-Anmauriac, San-Ansartre, même San-Antroyat, ça collerait. Ces mecs, on y met le prix. Moi, si je m’écarte d’Uniprix, ma carrière s’écroule. M’a espliqué tout le topo, mon nez diteur. Crayon en main, avec des chiffres, des multiplications, des arguments financiers auxquels je pige ballepeau. J’ai cédé, comme toujours.

Tarzan secoue sa noble tête hirsute.

— Rien de tout cela, commissaire. En venant ici je n’ai fait que mon devoir de Français. Car, même au cœur de l’Afrique, et après des années de misérabilisme, je reste français !

— Votre devoir de Français ! m’étonné-je.

— Parfaitement. Figurez-vous qu’au lendemain de votre départ, j’ai aperçu un objet brillant, au pied de l’arbre où le python étouffait votre ami.

Il me brandit de son unique paluche un étui à thermomètre.

— Le message ! m’écrié-je.

— Parfaitement, LE message, renchérit Tarzan. J’ai pu le déchiffrer aisément, car avant mon aventure, je faisais tous les mots croisés de Max Favalelli. C’est vous dire que ce codage est un jeu d’enfant pour moi. Je me suis amusé à le mettre en clair, voulez-vous que je vous le récite pour vous faire gagner du temps ?

— Extrêmement volontiers, mon bon ami.

Il ferme les yeux et déclare, d’un ton net et ferme :

— Ultra-confidentiel. Au commissaire San-Antonio. Notre agent libyen ayant intercepté une demande de mercenaires adressée par la dangereuse aventurière Anabelle Mélodie à une officine de Hambourg, nous vous adressons des renforts sous la houlette de Bérurier. Stop. Méfiez-vous de Mélodie, elle est extrêmement dangereuse, et nous prévoyons qu’elle vise le stock de diamants kuwien. Stop. Ne tentez rien contre le président Kelkonoyala, mieux : protégez-le. Le gouvernement français est en pourparlers avec lui pour tenter d’obtenir quelques milligrammes de brindzinc, minerai rarissime dont notre pays a absolument besoin. Stop. Nous comptons sur votre diligence !

— Magnifique ! murmuré-je. Quelques milligrammes de brindzinc !

La bouille qu’il fera, le Vénérable, lorsque je déposerai tout le stock sur son burlingue, après être passé par Vevey, première et dernière escale de mon ahurissante équipée.

— Merci ! ajouté-je, en tendant la main à Tarzan. Vous avez bien mérité de la patrie.

Il secoue la tête, et de sa main restante fait « les petites marionnettes » au niveau de mon nez.

— Si vous permettez, commissaire, je ne vous serrerai pas la main car ma dernière donne déjà des signes de fatigue et comme je pratique l’onanisme, cette nouvelle ablation me priverait définitivement d’un plaisir certes relatif, mais qui n’en meuble pas moins mes soirées solitaires !

Il me sourit.

— Sur ce, je vous quitte. La route du retour sera longue !

Avant que j’aie pu intervenir, il s’est déjà englouti dans la foule.

Des éclats de voix me parviennent.

Ce sont les Bérurier qui, déjà, s’engueulent.

— Non ! Non ! Et non, n’y compte pas ! trépigne le Gros. Mon père était radical-socialiste, mon grand-père aussi, et encore mon arrière-grand-père, alors ce que t’exiges est impossible, t’entends, Berthe ? Impôt-cible !

La Berthe hurle plus fort que son julot :

— Si ce serait comme ça, je repars avec King-Kong.

Il me paraît judicieux d’intervenir.

— Voyons, mes amis, pas d’éclats, je vous en conjure. Que se passe-t-il ?

Béru-Béru se tourne vers moi.

— Il se passe que madame Chochotte a pris la folie des grandeurs, avec son macaque sacré ! Elle veut pas être présidente de la République, comme quoi ça a l’air con d’aller porter des nougats aux malades et de recevoir des pommes cuites à Chicago. Ce qu’elle exige c’est d’être reine ! Non, mais t’imagines ? Moi, Bérurier, roi ! J’oserais même plus descendre chez le bougnat d’en bas de chez nous après mes vacances.

— Quelles vacances ? sursauté-je.

— Ben, celles que je vais prendre ici ! Tu te doutes qu’à la fin de mes cinq semaines dont auxquelles j’ai droit, on rentre ! Je laisse le pouvoir à Pattemouille, ou bien à cette vieille pédale de Nhé, si l’autre a toujours de la frangipane à la place du cerveau laid.

Il a l’œil noyé.

— Ah, Paname… Le beaujolais de l’année. Il sera tout frais quand on rentrera…

Cette perspective l’incitant à la clémence, il prend sa bergère par la taille et murmure :

– Écoute ma poule, v’là ce qu’on va faire. Le Kuwa sera en république toute la semaine sauf le véquende où qu’il deviendra une royauté, de la sorte je serai président et toi reine. On t’a déjà fait des propositions plus honnêtes ?

FIN
(d’un chef-d’œuvre)