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N’écoutant que mon devoir, je libère Francesca de ma présence. Béru louche sur la partie fourrée que je viens d’abandonner et pousse un coup de sifflet modulé.

— Mazette, dit-il, la jolie p’tite maâme a un de ces emballages à trésor qu’elle peut supporter les chocs sans crainte de le casser ! Là, là ce scalp de bougnoule ! C’te crinière d’ours brun ! Tu parles d’un gazon, Ninette ! C’est la perruque à Louis Quatorze ou quoi-ce ?

Promptement rajusté, je fonce en direction de la sortie.

— D’où provenaient les détonations, Gros ?

— De cet étage, me semble bien.

Nous déboulons in the couloir. Pinuche se tient dans l’encadrement de la chambre du président. Il a les bras ballants, la moustache aussi tombante que le fond de son pantalon.

À notre bruit, il se retourne.

— Venez voir un peu cette catastrophe, bêle la Vieillasse. Ah ! mes pauvres amis… Mes pauvres amis…

On cavale sur les dalles sonores. D’en bas, la voix d’Alcalivolati égosille des interrogations :

— Que se passe-t-il ? Francesca, où es-tu ? Qui a tiré ?

Parvenu à l’entrée de la piaule présidentielle, je me fige. Les deux gardes du corps gisent sur le plancher. L’un et l’autre ont effacé une bastos dans l’oreille et ça doit être du gros calibre car leur boîte crânienne a éclaté. Y a de la cervelle sur les murs et du raisiné un peu partout. Savakoussikoussa n’est point dans les parages. J’enjambe les cadavres et j’explore l’appartement du leader noir. En vain, l’ex-homme d’État a disparu. Je passe alors dans un petit cabinet attenant à la chambre. Il comporte une fenêtre. Celle-ci est grande ouverte. Elle donne sur un étroit canal dont l’eau noire clapote contre les pilotis du palais. En face s’étend le mur aveugle d’une bâtisse plus vaste encore que la demeure des Alcalivolati. Cette venelle aquatique est déserte. Nulle embarcation à l’horizon. Pourtant l’eau est encore parcourue de frissons argentés, en forme de chevrons. M’est idée, les mômes, qu’une embarcation à moteur est passée par là tout récemment. J’évalue la distance séparant la fenêtre du petit canal. Environ six mètres. Il y a des fils de chanvre accrochés aux motifs de fer forgé de la barre d’appui, prouvant qu’une corde y a été fixée.

— Tu parles d’une merderie ! gronde Béru. On s’est laissé pigeonner de première.

— Et comment ! je soupire.

— On s’attendait à un assassinat et ç’a été un enlèvement, murmure Pinuche.

Il est futé, le Débile. Sa cervelle a beau faire la colle, il conserve son esprit de déduction intact.

— Quoi donc, un enlèvement ? s’effare l’Obtus, si vous trouvez qu’a pas z’eu assassinat, vous autres, c’est que vous avez de la peau de boudin sur les châsses ! Et ces deux gus, là, par terre, vous croyez qu’ils sont clamsés de la grippe Dom Kong ?

— Je parlais de ton copain, le président, rectifie Baderne-Baderne ! On l’a proprement kidnappé après avoir abattu ses deux sbires.

— En effet, approuvé-je. Des types sont arrivés en vedette automobile sous la fenêtre de ce cabinet. Ils s’y sont hissés à l’aide d’une corde munie d’un grappin. Sous la menace, ils ont obligé Magloire à les suivre, et comme ses matuches se pointaient, ils les ont effacés à coups de 9 millimètres. Ça c’est l’opération de classe, du boulot de professionnel…

– Ça n’a pas traîné, soupire Pinuchet. À peine le temps d’ouvrir sa valise…

Il montre le bagage du pauvre Savakoussikoussa sur le plumard…

Béru résume admirablement la situation.

— Un qui va pas aimer ça, prophétise-t-il, c’est le Vieux !

CHAPITRE 4

— Chez moi ! Sous mon toit ! Dans ma maison !

Il a pas peur du pléonasme, le comte ! Il en rajoute ! En découvre de nouveaux, les jette comme crachote l’Arabe ayant dégusté un copain ayant sodomisé un camarade ayant mangé des figues. Il expectore sa rage, son désespoir, sa malédiction, sa haine des sorts mauvais qui le rongent, le minent, l’érodent telle la mer impitoyable rongeant Venise.

— Scandale ! Emmerdements ! Je n’avais plus d’argent, je n’aurai plus d’honneur ! La police ! Appelez la police, par le sang du Christ-roi ! Qu’elle accomplisse sa basse besogne ! Finissons-en ! Je meurs désespéré ! Adieu, veau, vache, Francesca, couvée ! Adieu ma chère vieille Pronunciamiento ! Ô mes cieux figés dans votre gloire ! Pardonnez-moi cette infamie ! Ô noble sang qui irrigue mes veines, change-toi en vinaigre ! Ô mon palais ! Ô mes doges vénérables ! Ô mes pigeons de Saint-Marc et de Thou ! Fientez, fientez sur mon blason terni ! Esprit du mal, accourez et m’emportez dans les enfers !

Je lui tapote l’épaule.

— Hé ! Oh, mon cher comte, on ne joue pas Faust !

Il me regarde, ses yeux cernés à demi fondus sont chargés d’égarement. Il semble mécomprendre mes paroles et mes paraboles.

— Laissez-moi ! Silence ! La police ! Pronunciamiento ! Courez au commissariat !

— Minute ! fais je en produisant ma carte de matuche, la police est déjà sur place !

Il jette un regard à la pièce officielle barrée de tricolore.

— Hein ? Quoi ? Commissaire ? Et alors ? Français ! Négatif ! Ici république italienne ! Donc, police italienne !

— Comte, m’emporté-je, vous commencez à me cavaler sur la prostate !

Mon apostrophe embue sa particule. Il prend appui sur les mains pour se soulever de quelques centimètres dans son fauteuil mobile.

— Monsieur ! Je ne saurais tolérer…

Il en faut davantage pour m’assoupir la rogne.

— J’appartiens à l’inter-poule, armé-je, en prenant soin de lui celer l’orthographe du mot, nous savions qu’un coup de main se préparait contre le président Savakoussikoussa et nous étions chargés de veiller sur lui !

Mon affirmation véhémente le calme un brin ; cependant il murmure :

— Vous avez une façon de veiller sur lui !

Et vlan, dans les gencives ! Je passe outre.

— Béru, Pinuche, voulez-vous emmener ces dames dans une autre pièce et veiller à leur sécurité pendant que je vais m’entretenir avec le comte ?

— Certainement, sans aucun doute, rétorque le Mastar en bichant Francesca par une aile.

« Vous permettez, belle dame, que je vous accompagnarde ? ajoute le Galantin. »

Il m’adresse une œillade friponne et sort en fredonnant :

— Et vas-y donc, Mélina, Mélina, Et vas-y donc, sur le gazon !

Demeuré seul avec mon hôte, je m’accoude à la hotte de la cheminée, j’ôte ma cigarette et l’ayant jetée dans l’âtre, attaque :

– À moi, comte, deux mots !

Il relève sa tête ravagée par la vie. Ses longs cheveux gras forment des mèches qui ressemblent à des plumes mouillées.

— C’est dément, n’est-ce pas ? murmure Alcalivolati.

— Peut-être moins que vous ne le pensez ! réponds-je. Dites-moi, comment se fait-il que Savakoussikoussa, après être resté claquemuré pendant des années dans sa propriété vaudoise, soit brusquement venu chez vous ?

Ma question semble l’inciter à la méditation. Alcalivolati réfléchit avant de répondre. Puis, de sa voix de girouette mal graissée, il répond :

— Nous avions un projet dont il fallait qu’on discute. Or, dans mon état, les voyages me sont pénibles…

— Quel projet, comte ?

— Par la peau de mes couilles, s’emporte-t-il, vous êtes bien indiscret !

— Moins indiscret que les deux cadavres qui gisent à l’étage supérieur, rétorqué-je du tac au tac. Attendez-vous à subir bien d’autres questions indiscrètes, mon cher, de moi et de gens encore moins conciliants. Alors, ce projet ?