— C’est pas vrai ! s’exclame-t-elle, et dans le privé ?
— Inouï !
— Non ?
— Parole !
— Il est tellement sexy ! bredouille la môme.
Mettre en doute pour mieux déclencher la louange, c’est classique. Faut que je lui en donne pour son émerveillement, à cette chérie. Que je lui fasse frissonner le monde extatique.
— C’est pire ! réponds-je.
— Comment ça ?
— Il a un potentiel de sensualité terrible.
Elle salive difficilement.
— On raconte qu’il a deux piscines…
— C’est lui qui fait courir ce bruit, par modestie ; en réalité, il en a dix-huit.
— Allons donc !
Je fais mine de compter sur mes doigts en remuant les lèvres, les yeux mi-clos. Au bout d’un temps de marmottement, j’élève progressivement le ton :
— … la piscine à champagne, ça fait quatorze, celle à nénuphars, ça fait quinze. La piscine du chauffeur, seize ; celle du pasteur quand il passe ramasser son chèque de cent mille dollars pour le denier du culte, dix-sept, et la piscine du chien, dix-huit ; mais oui, c’est bien ça !
— Et vous dites qu’il a un yesmaâme, lui aussi ?
— Franky n’a que des yesmaâmes. C’est son quatrième. Le précédent est mort des oreillons ; si je vous disais que je l’ai vu pleurer pendant l’enterrement ! Je le faisais remarquer au prince Rainier qui se trouvait à côté de moi dans le cortège : « Frank, lui disais-je, a une voix d’or mais un caca de velours. »
Un peu d’humidité fait scintiller le regard de ma camarade de Boeing. Elle embrasse son clébar, lequel lui file un petit coup de langue sur le nez.
Un qui se boyaute, c’est le steward. Il n’y tient plus, le camarade Air France. Il a tout essayé : de tousser dans son mouchoir, relacer ses godasses, ranger ses bouteilles. Il finit par s’évacuer de dos pour cacher un peu sa rifouille.
— Vous êtes dans le show-bises ? demande la fille.
J’aime bien qu’une greluse me questionne ; ça prouve que je l’ai acupunctée au bon endroit !
— Non, fais-je, je suis grand reporter.
— Quel journal ?
J’ai un rire supérieur :
— J’appartiens à une chaîne américaine, la Deconning Rewriting Conspiration.
— Et vous travaillez avec les journaux français ?
Je fais la moue.
— Au lieu de vider ma corbeille à papier à la poubelle j’expédie son contenu à France-Soir ou au Figaro afin de leur assurez de temps en temps une première page convenable…
Elle me regarde maintenant avec des yeux poussée à leur maximum d’ouverture.
— Qu’est-ce que vous venez de faire comme reportage ?
Je secoue la tête.
— C’est secret, mais à vous je peux bien le dire : je me suis assuré l’exclusivité mondiale sur l’opération du pape.
— Le pape a été opéré ?
— Surtout n’en parlez pas, car la nouvelle n’a pas encore été ébruitée. Figurez-vous que le Saint-Père a changé de sexe, phénomène d’osmose. Ça lui a pris à partir du moment où il a mis une robe blanche et l’anneau pontifical. Vous voyer le tableau : un souverain pontife auquel on écrit en ces termes : « Très Saint-Père et Chère Madame »…
Elle condescend à sourire.
— Vous êtes drôle, assure-t-elle avec la voix qu’on prend pour annoncer que grand-papa ne passera pas la nuit. Vous allez jusqu’à Santiago ?
— Oh ! Non, le Chili est trop étroit et j’aime trop mes aises. Je descends à Rio.
— Moi aussi, se réjouit-elle.
M’est avis, les gars, que j’ai très vite placé nos relations sur leur orbite. Un poil de vantardise, une mesure de calembredaine, un zest d’œil glauque, et embarquez !
— Vous voyagez toute seule ? — je demande.
— Oui, mère avait la migraine.
— Pour votre agrément ? insisté-je.
Elle fait la moue.
— Pas tellement, raisons de famille. Quand le devoir commande, n’est-ce-pas ? il faut savoir y mettre du sien.
— Je parie que votre famille a des intérêts au Brésil et que vous…
Elle m’arrête d’un énergique hochement de tête.
— Pas du tout. Je suis un peu, si vous voulez, dans la situation de M. Maufrais qui explorait l’Amazonie à la recherche de son fils disparu. Moi, c’est mon père que je pars chercher.
— Votre père ? m’étonné-je, à juste titre me semble-t-il.
— Je suis la fille de Martial Vosgien, l’homme politique réfugié au Brésil.
Un qui renverse son double scotch sur son double pantalon, c’est le fortichimo San-Antonio, mes très belles ! Me bousculer cette nouvelle juste au moment où je biberonnais, c’est dingue dans son genre, non ? Je risquait d’avaler mon glaçon, ni plus ni moins. Vous me voyez, ensuite, gobant des mégots incandescents pour le faire fondre ?
— Vous êtes Mlle Vosgien !
— Oui. Carole Vosgien. Figurez-vous que père a disparu. Il nous écrivait régulièrement, et puis, tout à coup, fini : plus de nouvelles. Ses amie de Rio sont incapables de nous dire ce qui lui est arrivé : inquiétant, non ?
Elle parle de ça comme elle parlerait du jeu des sept erreurs. Pour elle, c’est un simple fait divers, le prétexte à un beau voyage.
Je lui désigne Uku, qui joue toujours les manchons oubliée sur le bar.
— Et c’est sur votre molosse que vous comptez pour retrouver la piste à papa, demandé-je.
Moi qui raffole de la cuisine au beurre, j’aime que mes enquêtes baignent dans l’huile. Quand ça s’harmonise, d’emblée, c’est bon cygne, comme disait Saint-Saëns (dont le plus développé était celui de l’ouïe). Or, dans le cas qui nous intéresse (du moins j’espère qu’il vous intéresse également), tout s’emboite magistralement comme sur une fresque à la gloire de la sodomie. Mordez le topo, mes bons caves : le Vieux me propose une mission qui dépasse le cadre de mes activités, je la refuse. Là-dessus, un partisan de Vosgien me contacte pour me demander de retrouver icelui, preuve qu’il a bien disparu. Je prends l’avion et la première personne que j’y rencontre, c’est la fille du disparu. Mince ! y a de quoi se la léguer par testament au Musée de l’homme pour continuer d’épater les femmes après son trépas, non ?
Je m’en pourlèche la matière grise, mes chéries. Il se dit, votre San-A, que lorsqu’on est vergeot, c’est pour la vie. La chance a toujours fait mon ménage au poil, et voilà que ça continue ! Pour le coup, cette bergère qui me tentait devient un objectif professionnel. Faut que je me l’horizontalise pour l’avoir dans ma marmotte aven mes outils de travail. On dit toujours qu’il ne faut jamais mêler la bagatelle et le boulot. C’est peut-être vrai dans l’import-export, la charcuterie fine ou le trapèze volant, mais chez nous, les guerriers de l’ombre (oh ! que c’est bien dit !) il en va touautrement[7], et nous sommes bien souvent obligée de bâtir nos enquêtes comme les castors bâtissent leurs H.L.M. Dans la conjoncture actuelle, la chose n’a rien d’un pensum, croyez-moi.
— Vous n’aviez donc pas accompagné votre père dans son exil ? attaqué-je.
— Non, j’achevais mes études à Bouffémont, et mère a dû rester à Paris à cause de son kinési. Elle a un gars formide. Seuls ses massages particuliers la soulagent de ses violentes migraines.
Je vois ça d’ici. Je les imagine vachement particuliers, les massages en question. Plutôt que de jouer les proscrites, elle préfère se faire embrocationner à domicile, la dame Vosgien. Elle est peinarde pour se faire triturer la cellulite, et quand on sonne à la lourde, elle est au moins certaine que ça n’est pas son vieux qui radine à l’improviste.
7