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— Rio de Janeiro ! murmure Félicie comme on récite un poème.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Notre taxi fonce dans une large avenue en klaxonnant comme un pompier. Il fait un temps magnifique et pourtant la population se balade avec un pébroque sous le bras. Félicie m’en fait la remarque.

— Le carnaval est commencé ? me demande-t-elle.

— Pas encore, pourquoi ?

— Tous ces gens ont un parapluie dont ils ne se servent même pas comme ombrelle.

— Tu sais, nous sommes dans un pays tropical, il y pleut souvent !

— Oh ! tout de même ! proteste ma brave femme de mère, regarde le ciel, comme il est bleu.

On longe de somptueuses demeures cachées par des palmiers et, après un tunnel, nous débouchons dans Copacabana. Ça n’est plus vraiment Rio, mais une ville nouvelle, étincelante, avec des magasins pimpants, des trottoirs tout en mosaïque noir et blanc, des buildings modernes.

Notre chauffeur chante à tue-tête, because le transistor accroché à son rétroviseur et qui diffuse un air de samba. Il paraît heureux de vivre, d’être brésilien et de conduire l’illustre San-Antonio et sa chère maman au Copacabana Palace. Le voici qui oblique à droite sur le bord de mer. Quel coup d’œil ! La plage à perte de vue, décrivant une légère courbe ! L’océan moutonne comme une brebis en chaleur. D’énormes vagues ne cessant de s’escalader dans un magistral éclaboussement d’écume. C’est plein de gens bronzés et de petits parasols multicolores. Des gamins jouent au football dans le sable. Des marchands de cerveaux-lents[8] se succèdent sur le bord de l’avenue. Ils vendent des oiseaux de toile aux silhouettes de rapaces et les laissent grimper très haut dans le vent soufflant du large.

— Je ne voyais pas cela ainsi, déclare Félicie. Je m’imaginais que c’était planté de palmiers. Tu ne trouves pas que c’est moins beau que la Promenade des Anglais ?

Elle a raison, m’man, et je trouve aussi que ç’a fait nu, cette interminable avenue bordée d’éblouissants buildings.

Le Caruso de changement de vitesse pénètre sur un terre-plein pelouseux et stoppe devant la porte tournante du palace.

Des mecs galonnés se précipitent. L’un d’eux veut s’emparer du gros sac de Félicie, mais ma vieille refuse ses services d’un attendrissant « Oh ! ne vous dérangez pas, monsieur, ce n’est pas lourd » qui déconcerte le bagagiste. Une fois dans le hall de marbre, m’man me souffle à l’oreille :

— Crois-tu que c’est raisonnable, Antoine, de descendre ici ? Je suis sûre que, près de la gare, on doit trouver de petits hôtels propres et pas chers.

Je la rassure.

— Au Brésil, la vie est pour rien, maman. Et avec ce que les gars m’ont voté comme défraiement, je peux t’offrir du caviar à tous les repas.

Je prends une suite : deux chambres-salon-dressing-room. Les pièces sont immenses, hautes de plaftard (ou basses de plancher), avec des meubles pompeux, des rideaux lourds, une moquette épaisse comme un green de golf.

— J’ai idée que tu vas prendre des goûts de luxe, ici ? dis-je à ma mère. Tu fais un peu souveraine en voyage.

Elle a un petit sourire effarouché. En fait de souveraine, elle est plutôt désemparée, ma Félicie. Dans le fond, je me demande si j’ai eu raison de la transplanter comme ça. Je suis certain qu’en ce moment, malgré sa joie de m’accompagner, elle regrette son pavillon de Saint-Cloud, son encaustique, ses confitures, les jérémiades de notre femme de ménage et le jardin qui fait la gueule dans l’hiver… La preuve, elle soupire :

— Je sais que j’ai dégivré le frigo, mais te souviens-tu si j’ai laissé sa porte ouverte ?

— J’en suis certain, affirmé-je effrontément, car du moment qu’on n’y peut plus rien changer, autant la rassurer.

Elle pousse un cri.

— Seigneur Dieu !

— Oui ?

Je me suis accoudé au balcon pour me gaver de soleil. La rumeur de la plage et l’âcre senteur de la mer montent jusqu’à moi, chavirantes.

— Antoine, ça y est, je viens de penser à une chose : j’ai oublié les fruits dans le compotier de la salle à manger. Ils vont pourrir et la pièce empestera.

— C’est quoi comme fruits ?

— Des oranges et des bananes.

— T’inquiète pas, mieux vaut que ça soit ça que des melons ! Les oranges ont la vie dure, quant aux bananes, plus elles sont faisandées, plus je les aime. Et puis quoi ! Nous ne sommes ici que pour quelques jours…

— Je t’ennuie avec mes bêtises, hein, mon grand ?

— Pas du tout, mais laisse-toi vivre et oublie un peu la maison, tu n’en éprouveras que plus de joie à la retrouver. Tu es au Brésil, m’man, au Copacabana Palace. Des milliers de gens, de par le monde, rêvent d’être à ta place en ce moment, et toi tu cafardes à cause de quelques oranges !

— Tu dois me trouver ridicule, hein ?

Je la prends dans mes bras pour la bercer.

— Oh ! non, m’man, jamais je ne te trouverai ridicule. Tu es si rassurante, au contraire !

On se fait miauler deux ou trois bises, puis je réagis.

— Bon, c’est pas le tout, je suis ici pour travailler ; pendant que tu défais les valises, je vais aller changer un peu de fric et prendre mes premiers contacts. Si tu as besoin de quoi que ce soit, demande-le par téléphone.

— Mais je ne parle pas la langue.

— Dans un palace, tu trouveras toujours des employés qui parleront la tienne. À tout à l’heure.

Je l’abandonne à regret car il s’agit bien d’un abandon. Elle est complètement perdue dans cette immense boutique, la chère femme. Elle ressemble à une dame de la campagne en consultation chez un spécialiste dont le décor la terrifierait.

* * *

À l’instant même où je m’engage dans le couloir en direction des ascenseurs, je perçois les échos d’un terrible ramdam dans l’autre aile de l’étage. Ça vocifère, ça gronde, ça grogne, ça rogne, ça cogne avec fureur. Il y a des exclamations, des interjections, des supplications. Des coups sourds. Des coups pas sourds. Le personnel pasdecharge en direction de la clameur, du séisme. Il jaillit par toutes les portes de service. Des femmes de chambre noires, des femmes de chambre café au lait, des valets en livrée, des hommes de peine, des liftiers, des bagagistes, des réceptionnistes, des cuisiniers. Les clients itou radinent, se demandant, en anglais, portugais, espagnol, allemand, italien, français, néerlandais, suisse, russe, hongrois, monégasque, arabe, hindoustani, chinois, japonais, congolais, guyanais, finnois et en aparté, ce qui se passe. Ile supposent une révolution, redoutent un tremblement de terre, craignent un début d’incendie, espèrent un assassinat.

Je suis le flot, me laisse porter, emporter, transporter. Je veux savoir aussi. Je veux voir. Je veux assister. Nous fonctionnons vers la source du fracas. Je joue des coudes, parviens au premier rang, là où un barrage de maîtres d’hôtel interdit d’aller plus loin, délimite le terrain d’action du sinistre, le localise. Alors je vois. Et, ayant vu, m’étant assuré que je ne suis pas l’objet d’un mirage et que mes sens fonctionnent, je décide que je suis à bout de stupeur. Ce que je découvre fait un pied de nez à ma raison, la désempare, la désarme, la met en cale sèche, la stratifie, la désamorce, la flétrit, la déshydrate, l’immobilise.

La tornade, le raz de marée, le typhon, la révolution, l’incendie, c’est Bérurier, mes bons amis. Vous m’avez bien lu ? Bé-ru-rier en personne, en chair, en os, à poil ! Car, hormis ses chaussettes trouées, il est nu, Béru. Nu comme un goret à l’étal, il n’a, pour masquer sa pudeur, que ses poils personnels. Certes, ces derniers sont longs ; certes, ils sont bouclés, mais ils ne suffisent pas pourtant à camoufler les robustes accessoires dont la nature l’a doté ! Et ceux-ci ballottent au rythme de sa fureur ! Cloches de tocsin, ils sonnent à toute volée ; fouettent leur heureux propriétaire, le flagellent.

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8

C’est plus rigolo écrit de cette façon.