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— Vous me faites tarter, vous, votre colonel de mes deux et votre guenillerie de drapeau, que si j’avais le pareil comment-blême j’aurais honte d’être français ! Allez dire à votre monoculé que je l’attendrai demain matin sur la plage, à 6 heures puisque ça lui fait plaisir, et qu’il peut apporter les armes qu’il voudra, je suis preneur dans toutes les disciplines !

« Et puis aut’ chose encore, bande de pignouffes : quand j’y aurai fait sa joie de vivre, à Nonœil, je m’occuperai aussi de vos plumes à tous les deux, vu que vos frites pas fraîches me flanquent des cauchemars.

Il fait sonner une mandale fracassante sur la joue du jeune témoin.

— V’là un acompte, gamin ! Je te livrerai le solde demain. Quant à pépère, c’est un coup de pompe dans les noix que je lui vote, histoire de le faire décamper rapidos malgré son arthrite. Allez ! du vent, la choucroute ! Autrement sinon, je vous refais le coup de Stalingrad sans plus attendre.

Un ouragan ! Il les refoule brutalement jusqu’au couloir, relève la porte et revient, rouge, haletant, superbe. Il n’a que le temps d’ouvrir les bras pour recevoir Fernande qui se jette sur lui.

— O Alexandre ! roucoule-t-elle, un homme comme toi, tu sais, un homme comme toi !…

— Un homme comme moi…, dit Bérurier, qui ne rechigne jamais pour faire son autoéloge, un homme comme moi, Poulette, vaut mieux lui caresser les joyeuses que les lui casser !

CHAPITRE II

Je ne sais pas pourquoi, mais cet incident me sape d’un seul coup l’optimisme. Tout carburait bien, et puis voilà que la fantaisie bérurière nous fait du contre-carre.

— Tu es content de toi, dis, Aramis ? grommelé-je après que la lascive Fernande eut interrompu ses effusions.

— Parfaitement, affirme le Colérique. Et si tu eusses t’été à ma place t’aurais agi mêmement, gars. Non, mais sans blague, ces tronches qui viennent faire toutes ces giries pour leur bout de chiffon.

— Tu es ici en mission. Alors, non seulement tu arnaques ton chef suprême en amenant ta maîtresse à la place d’un coéquipier, mais de plus, tu te mets trois duels sur les bras avant que d’entreprendre quoi que ce soit ! Quand je dis que tu joues à d’Artagnan je cerne la vérité de très près, mon bon seigneur.

Il se gratte l’oreille.

— Écoute, San-A. Ça ne regarde que moi si je me détorchonne à six plombes du matin, non ?

— Ça me regarde idem, car il te faut des témoins. Moi, ça ne fait qu’un, ou prendras-tu le second ?

— Ne t’occupe, j’en ramasserai bien n’un dans le courant de la soirée.

— Et si tu restes sur la plage, Grosse Gonfle, avec une praline ou bien vingt centimètres de rapière dans le lard ?

Ce qu’il y a de superbe et de presque pathétique chez Béru, c’est sa totale confiance en soi.

— Tu m’as considéré, mec ? Moi, Béru, me laisser allonger par ses maniaques chleus, alors là, j’aimerai bien voir !

— Ton enquête se porte bien ?

— Tu permets, se rembrunit-il, secret professionnel !

Mes tympans s’en flétrissent.

— Pardon ?

— Ici, riposte l’Immonde, t’es plus mon supérieur rachitique, San-A., je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi. L’enquêteur professionnel, c’est mécolle ; toi, tu joues les amateurs et je n’ai pas à te communiquer les résultats de mes investissements. Tu m’as toujours dit qu’il fallait pas mélanger le turbin et l’amitié. Nous resterons amis en dehors de cette affaire ; tiens-le-moi, et je te le tiendrai pour dit, vu ?

Furax, je me dirige vers la porte démantelée. Mais, avant de partir, je me retourne pour fustiger :

— Tu n’es qu’un pauvre juteux, Béru ! Un atrophhié du bulbe ! Un grotesque ! Un pourceau pestilentiel ! Néanmoins, je serai à cinq heures et demie demain matin dans le hall parce que je ne veux pas rater l’occasion de te voir prendre un coup de sabre dans le bide.

Et je m’évacue, riant mentalement de son expression penaude.

* * *

La sonnerie grésille un bon moment avant qu’on décroche. Enfin, un déclic se produit, le grelottement cesse, mais aucune voix ne se manifeste. Pourtant, je perçois le faible bruit d’une respiration.

— Allô ? dis-je.

Il y a une hésitation, puis une voix féminine lance en portugais quelques mots que je ne pige pas.

— Je voudrais parler à Mlle Vosgien, dis-je.

Mon interlocutrice abandonne aussitôt le portugais pour me dire en français que Mlle Vosgien est sortie. Je déclare alors que je suis un ami à elle et que nous sommes convenue de dîner ensemble, en vertu de quoi je vais passer la chercher. La femme me répond « très bien » avec autant d’enthousiasme que si on lui annonçait qu’elle va devoir se faire retirer un calcul de six cents grammes des rognons.

M’est avis qu’il s’agit de la vieille secrétaire fidèle dont m’a parlé Carole.

Je raccroche et fais une bibise à Félicie.

— Voilà de l’argent, m’màn, balade-toi et va dîner dans un coin chic. Il y a une churrascria dans la rue derrière l’hôtel où l’on peut manger, paraît-il, toutes sortes de viandes grillées.

Elle me dit de ne pas m’inquiéter pour elle et me demande combien vaut un « escudeo ». Je lui réponds que cela s’appelle un cruzeiro et qu’on en a environ quatre pour un franc.

En bonne patriote, Félicie est flattée de savoir sa monnaie nationale plus forte que la monnaie brésilienne.

Là-dessus, ma montre annonçant sept plombes passées, je la quitte pour aller chercher la bagnole que l’hôtel vient de me louer à un office spécialisé. C’est une simple Volkswagen décapotable de couleur claire dont le moteur trop loué n’est plus digne d’éloges[12]. Le portier m’explique où se trouve San Conrado, la banlieue où demeure Martial Vosgien.

On suit pratiquement le bord de mer tout le long du parcours. Après Copacabana, la ville s’achève par des quartiers bizarres, très hybrides, où des constructions modernes s’élèvent parmi les bidonvilles. Et puis c’est la campagne verte, avec plein d’arbres exotiques. Et la montagne rocailleuse où s’agrippent de véritables cités miséreuses, composées de cabanes au toit de tôle et aux murs de terre, qu’ici on appelle des favelles. D’étroits boyaux desservent ces villages où nul Blanc ne pénètre. Quelques-unes de ces favelles possèdent l’électricité, et l’on voit fourmiller des antennes de télévision sur les huttes. Les compteurs électriques sont groupés à l’extérieur de l’agglomération, et rien n’est plus ahurissant que cette forêt de poteaux supportant chacun une demi-douzaine de boîtes à compteur.

Le soir tombe et la lumière devient violette. Les bidonvilles forment des grappes de lucioles suspendues dans l’air capiteux. Au bout d’un quart d’heure de route, j’atteins San Conrado. C’est à peine un village, plutôt un carrefour où l’on trouve quelques churrascarias en plein air et un poste d’essence. Sur le flanc de la montagne, une immense favelle étage ses lumières papillotantes, tandis qu’en bas de riches propriétés de style colonial, avec des pelouses bien ratissées, des haies épineuses, des palmiers, des tennis, des clubs hippiques, un golf, donnent à la campagne un air d’Angleterre bien léchée. Le Brésil est un patelin de véritable démocratie, les gars. Riches et pauvres voisinent le plus naturellement du monde. Les guenilleux lisent leur journal sur les marches des palaces.

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12

Vous voyez : moi, c’est des phrases comme ça qui me plaisent.