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Ici, la seule forme de racisme est imposée par les habitants des bidonvilles qui s’isolent délibérément dans leurs retraites puantes et inviolées.

C’est, en réalité, une ségrégation de mœurs. Eux veulent vivre en marge des lois et n’accepter de la civilisation que ce qui leur convient. À cause des favelles, le Brésil n’est pas recensable. Il ne deviendra une grande nation que lorsqu’il aura exterminé ces termitières, mais le pittoresque y perdra, comme toujours quand s’avancent les bulldozers du progrès.

Eh ! dites donc, les mecs, ne venez pas dire que je vous documente au chiqué ! Je joue si tellement bien les cicérones que j’en reste bleu ! Michelin ligote cette page, d’autor il m’engage pour que je lui ponde un guide à grand spectacle, avec planches en couleur !

La crèche de Vosgien se nomme « Doce de Jaca », ce qui est, paraît-il, le nom du fruit du jaquier, arbre commun au Brésil. Il ressemble à une énorme éponge jaune, grosse comme un ballon de basket et pousse contre le tronc de son arbre. C’est une espèce de vilaine tumeur qu’on prend pour quelque champignon monstrueux au début, ou pour un formidable nid de guêpes. C’est mou et douceâtre, un peu gluant aussi.

Je m’arrête à la station d’essence et je demande au pompiste dans un portugais de manuel de conversation usuelle où se trouve « Doce de Jaca ». Le gus me désigne un chemin sur la droite et m’annonce que c’est la deuxième propriété à droite. Je lui dis obregado, merci, cloque un billet rose praline dans sa main noir anthracite et m’engage sur la voie privée avec un très léger pincement au cœur. Ça me trouble un peu de songer qu’un type aussi éminemment parisien que Vosgien a passé des années d’exil dans ce coin perdu.

En tout cas, sa maison est très agréable. C’est une construction blanche, précédée d’une large véranda à colonnettes et entourée d’un grand jardin aux essences rares. J’actionne la cloche, mais déjà le bruit de l’auto a alerté les occupants, et un gros type en chemise blanche à manches courtes s’avance vers le portail, un gros chien-loup sur les talons. Au premier coup d’œil on s’aperçoit que ce digne homme est de la race des mercenaires. De ceux qui sont prêts à se battre n’importe où et pour n’importe qui pourvu qu’on leur paie le voyage. Il a le front large et bas, couronné de cheveux crépus, les oreilles collées, le nez barré d’une cicatrice, la lèvre épaisse, du muscle partout, un peu de brioche due aux fortes rations de gnole et cet air systématiquement hostile des gens dont le métier consiste à faire mal aux autres.

Son regard faussement assoupi (parce que bouffi) me pourlèche de la tête aux pieds.

— Salut ! dis-je avec un maximum d’entrain dans le ton, je suis attendu par Mlle Vosgien.

Il opine et m’ouvre sans proférer un mot. Un doute me prend concernant sa nationalité. Ce cosaque du bedon est-il français ? Il me semble que, morphologiquement oui, mais encore ?

Il relourde à clé derrière moi et m’entraîne en direction de la maison. Seulement, lorsque nous parvenons à la hauteur du perron, au lieu de le gravir, il poursuit son chemin. Je me dis que mamz’elle Pimbêche doit cueillir des ananas dans le potager pour la soupe du soir, et je continue de lui filer le train. Nous contournons la maison et je découvre un petit pavillon annexe derrière les communs. Qu’est-ce qu’elle peut bien fiche dans ce cagibi, Chochote ?

Le gros ouvre la porte de la petite construction et s’efface pour me laisser entrer. Je coule un œil par-dessus son épaule et je constate deux choses : la première, c’est que le local en question est une buanderie, la seconde, c’est qu’il est vide.

— Eh bien, quoi ? je demande.

— Entrez ! ordonne sèchement, mais en français, le gorille.

Je me pince le nez entre le pouce et l’index.

— Dites donc, vieux, murmuré-je, je crois qu’il y a maldonne ; je suis un ami de Carole Vosgien, pas son blanchisseur !

J’ai pas le temps de piger qu’il a un colt dans la pogne. Il en tourne obligeamment la gueule noire vers moi.

— Vite ! ajoute-t-il.

Je commence à la trouver plus que saumâtre. Je ne m’attendais vraiment pas à un accueil si somptueux. Comprenant que je n’ai pas intérêt (pour le moment, du moins) à faire de l’obstruction, je pénètre dans la buanderie. Des odeurs de savon et de linge mouillé flottent dans la pièce carrelée.

Le gorille m’a suivi. Il relourde posément, donne un tour de clé et file la clé dans la poche de son pantalon.

— Simple vérification par mesure de précaution, annonce le cher homme.

Je rigole carrément.

— Dis donc, mon pote, tu ne crois pas qu’il aurait mieux valu les exercer avant la disparition de Vosgien, tes vérifications ? Je suppose que tu es son garde du corps, non ? Si oui, je ne te fais pas mon compliment ; je me demande si tu serais seulement capable de surveiller du lait sur le feu !

Toute sa bouille frémit. En pâlissant, son nez découvre un tas de petites veines bleues pas jolies du tout.

— Vos papiers ! ordonne-t-il en me tendant sa main libre.

— Sans rire, t’es pas du service des douanes, que je sache !

Car, mes amis, tout à fait entre nous et l’abbé de Rio, je ne tiens pas à lui faire connaître ma véritable identité. Je suppose qu’il le prendrait très mal de me savoir français. Et je resuppose encore, n’étant pas à une supposition près, qu’il s’en gaffe déjà.

Sa voix devient aussi suave que celle d’un marchand de poisson auquel une ménagère rapporte des merlans avariés.

— Si tu m’aboules pas tes papiers, je vais les prendre moi-même, vu ?

— Te fais pas péter les ficelles, camarade, le calmé-je, encrassées comme je les imagine, faut les ménager. Je suis un ami de Carole, conduis-moi près d’elle et elle te le confirmera.

— Un ami rencontré dans l’avion ce matin, eh ? ricane l’affreux. Un ami dont elle ne connaît pas même le nom. Écoute, petit gars, s’emporte le garde du corps en chômage, depuis qu’on habite ici, y a plein de poulets parallèles qui draguent. Ce matin encore, un gros pied plat a essayé de s’introduire dans le jardin et Percéphone l’a coursé.

Il me désigne le chien-loup, lequel, son nom l’indiquant, est en réalité une chienne-louve.

Mon petit doigt me raconte que le gros lourd en question pourrait fort bien être Bérurier. Voilà pourquoi Sa Majesté était si peu loquace en ce qui concerne son début d’enquête.

— Perséphone, c’est une bête dressée au doigt et à l’œil, ajoute le gorille privé.

— Tu sais qui était Perséphone, Loulou ? lui demandé-je en allumant un cigarillo brésiloche, la déesse des Enfers. Note-le, ça pourra te servir si tu passes un jour à un jeu télévisé.

— Ta gueule ! s’emporte mon vis-à-vis. Tes fafs ou tu dérouilles, vu ?

Moi, vous me connaissez ? C’est un point commun que j’ai avec Béru : les dégourdis qui m’interpellent sur ce ton n’ont pas besoin de s’acheter un masque pour le carnaval, je leur en fabrique un sur mesure en deux coups de cul hier à Pau. Quand j’aurai entrepris ce vilain, il poussera une frime longue, d’une auge (comme dit Béru).

Je le manœuvre dans le classique. Un rapide coup, de pompe dans sa main qui me braque, manière de lui faire larguer sa seringue, puis un crochet très sec au menton. Les deux opérations sont exécutées en un temps que je ne saurais vous préciser, mon chrono ne marquant pas les centièmes de seconde. L’Affreux titube. Je le remanœuvre en lui filant un une-deux dans le parking à marrons. Il plie les cannes et tombe à genoux en glaviotant des bulles d’air et un début de bile.