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— Quoi, le senhor Vosgien ? m’exclamé-je. Ça n’est pas moi !

Mon excitation est telle que j’en parle portugais ! Il y a des moments dans la vie où les barrières linguistiques tombent. Quand on a envie de sauter une frangine, par exemple, ou bien quand on est en danger de mort. Au cours de ces instants culminants, on se débabélise presto, faites confiance. On découvre qu’on cause couramment le sanscrit, le braille, ou l’iranien moderne.

— Je veux savoir où il est ! déclaré en substance le type sans retirer d’un pouce son couteau du cou de Carole.

— Et moi donc ! ne puis-je m’empêcher de m’exclamer.

Il n’est pas sensible à la répartie.

— Je veux le senhor Vosgien ! s’obstine ce méchant buté.

Il me désigne la ravissante glotte de Carole :

— Si pas dire, je coupe !

Je mate le gars attentivement et je décide que c’est un individu bestial, sans la moindre intelligence. Beau et con ! Y a pas à ergoter avec un zoiseau de cette sorte. J’aurai beau lui dire que j’ignore où se trouve Vosgien, il fera comme si je le savais et rien qu’à la manière dont il tient son lingue, je devine qu’en matière de scalpel, le professeur Hamburger est un petit rigolo à côté de lui. Avant que j’aie dégainé l’ami Tu-Tues il aura sectionné le cigarillo de ma camarade, et avant que j’aie propagé mes pralines, il aura tranché mon corona.

— Pourquoi voulez-vous voir le senhor Vosgien ? biaisé-je, car on ne biaise jamais assez.

— Je veux ! déclare-t-il.

Son regard est rouge à force de flamboyer. Inutile de chambrer ce loustic, il est déjà au bord du meurtre, et ça le démange de se payer Carole. Non, mais quel pastis, mes enfants ! En France, tout le monde me supplie d’aller au Brésil rechercher Vosgien, et à peine arrivé, tout le monde me saute sur le poil en me demandant où il est ! Ça vous paraît pas un peu louftingue à vous autres, une branquignolade pareille ? Comme disait si justement mon ami Vendôme : « Y a de quoi se taper sur la colonne ! »

Heureusement, la seule différence existant entre San-Antonio et Machiavel, c’est que Machiavel est mort en 1527.

— Très bien, je vais vous mener vers lui, dis-je.

Il me pose sa main libre sur l’épaule.

— Si ce n’est pas vrai, je tue ! avertit ce délicat compagnon de voyage.

J’embraye sans mot dire, mais en me demandant pourtant qui aura celui de la fin. Sans vouloir pleurer dans votre gilet, laissez-moi vous avouer que ça me ferait tartes si ma chère Félicie rentrait en France avec la dépouille de son grand garçon dans la soute à bagages.

Je conduis au pif, en ignorant où il convient d’aller. Je piloterais bien mon petit copain jusqu’au poste de police le plus proche, mais je sens qu’il n’aimera pas ça et qu’il immunisera d’un geste Carole contre les angines à venir.

L’agresseur ne se départ pas de sa prudence. C’est un tigre qui a posé la patte, toutes griffes sorties, sur sa proie, prêt à l’achever si elle bronche[19]. Je parcours une demi-douzaine de kilomètres sur une route inconnue, en essayant d’avoir l’air de savoir où je me rends. Je ne vais pas parcourir tout le Brésil, non ? Faut en finir. T’as une dignité ou non, San-A. ? Et ta légende, mon pote, tu lui dois des comptes !

Les maisons deviennent de plus en plus rares. Je sens qu’avant peu ça va être les grandes solitudes. Alors il sera trop tard. Je pourrais provoquer un accident, remarquez. Mais nous risquerions, miss Chochote et moi, d’en être les premières victimes, vu que Césarin occupe la bonne planque à l’arrière. Alors ?

À la lumière des phares, je découvre une hacienda, au loin. Un plan d’urgence s’échafaude dans ma petite tronche bouillonnante. Je vais déclarer au zig que c’est ici que se cache Vosgien. Il exigera que je l’accompagne jusqu’à la porte. J’obéirai. Nous frapperons. Le temps que le pèlerin habitant cette demeure parlemente, je trouverai sûrement l’occasion de désarmer le bandit.

— C’est là ! fais-je en levant le pied.

Je me range devant un balcon de bois. Tout est éteint.

— Levez les bras ! fait notre agresseur.

J’obtempère en voyant sourdre un menu filet de sang au cou de Carole. Le malin avance un bras fulgurant dans l’ouverture de ma veste et me cueille le flingue avant que j’aie eu le temps de comprendre. Il a de la technique, du brio, une forte expérience.

— Allez chercher senhor Vosgien, et si ramenez pas, je tue ! Et si vous prenez un autre pistolet, je tue aussi ! Et si plusieurs hommes sortent, je tue.

— Tu tues turlu tu tues, quoi ! grommelé-je.

Un nouveau soupir de notre Carole nationale me rend compte de son retour à la lucidité. Elle a un nouveau cri de détresse en découvrant que la situation, non seulement est inchangée, mais qu’elle porte une petite estafilade au cou.

— Restez calme, Carole, et tout ira bien, promets-je en sortant de l’auto.

Moi, vous me connaissez. Mes actions d’éclat, je les ai toujours accomplies sans y penser, mû par l’instinct. J’agis automatiquement, comme si un ordinateur électronique me prenait brusquement en charge.

En sortant de la guinde, j’empoigne l’antenne de radio, laquelle est développée au maximum, et je culbute en poussant un cri. Me voici accroupi contre la roue avant gauche. À ce moment seulement, le traczir m’empare[20]. Je me dis que de deux choses l’une : ou bien le nettoyeur de trachée (artère) va égorger Carole et sortir de l’auto, ou bien il va sortir sans l’égorger. En culbutant, j’ai simulé — admirablement, m’a-t-il semblé — l’embardée d’un gars qui vient de se prendre les pinceaux dans un fil de fer. Pour parfaire l’illuse, je me mets à geindre. M’étonnerait que le zigoto soit dupe d’une ruse aussi grossière. Enfin, attendons (d’Achille).

Un instant se passe. Et puis le visage du mec passe par la portière.

— Je me suis tordu la jambe ! gémis-je. Aidez-moi !

Pas folle, la guêpe. Il sort mon feu et me braque.

— Debout ! dit-il dans cette langue que je ne parle pas mais que je me suis mis à si bien comprendre.

— Je ne peux pas, lui réponds-je dans le même idiome.

Il se penche un peu plus, sans pour autant sortir de l’auto.

— Debout ! réédite l’obstiné.

Alors je lâche l’antenne en souhaitant très vivement que la flexion que je lui imprime ne l’ait pas cassée. La tige de métal m’échappe des doigts en sifflant et fouette à toute volée la frime du surineur. Il pousse un cri de chacal auquel on marche sur la queue. Ça donne quelque chose comme « vrrrouha ». Il a lâché le pétard pour porter la main à son visage. San-A., plus souple, plus félin, plus puissant que le chacal en question s’est relevé d’une détente et a sauté sur la tronche du mec. Il y a un choc très très moche. Un claquement très très sinistre. La tête du type pend hors de la portière, inerte. Dans ma fougue, j’ai pesé trop fort et ses vertèbres cervicales ont déjanté sur le bord de la vitre pas entièrement baissée.

Anxieux, je me penche et je vois le regard horrifié de Carole. Dieu soit loué (au mois ou à la petite semaine), il ne l’a pas tuée avant de se pencher par la portière. J’ouvre cette dernière, non sans mal, et je fais basculer le dossier de mon siège pour extirper notre agresseur de la voiture.

Lorsqu’il gît sur le chemin, je me dis que le duc de Guise ne devait pas faire plus d’effet. Il mesure au moins un mètre quatre-vingt-dix, cézigue. Ce ne serait pas Philippe Clay qui nous aurait fait une farce, des fois ? En tout cas, si l’on peut trouver plus grand que lui, on ne peut pas trouver plus mort. L’individu porte un bluejean et une chemise noire. Je le fouille. Dans sa poche revolver je déniche un portefeuille en croco (au Brésil le croco revient moins cher que le plastique). À l’intérieur se trouvent quelques cruzeiros, un permis de conduire plié en quatre, un paquet de cigarillos Ernesto Babas à bout de bambou et une médaille pieuse représentant sainte Isabelle en train de se faire cuire un œuf. Le permis de conduire est établi au nom de Stefano Correira.

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19

On dirait presque du Victor Hugo, époque Guernesey.

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20

Voir note page 97.