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Je palpe le cadavre. Pas entièrement froid. La mort remonte à deux ou trois heures tout au plus. Donc, le dénommé Stefano Correira a eu le temps de bricoler Freitas et d’aller à San Conrado. J’essaie de rassembler tout ce bigots pour en faire quelque chose de cohérent. Vous m’objecterez sans doute qu’un cigarillo est un indice bien fragile et qui peut partir en fumée, pourtant il y a aussi l’égorgement. La marotte qui consiste à cisailler le corgnolon de ses contemporains n’est pas tellement fréquente, Dieu merci. Nous venons d’abandonner un bonhomme qui voulait sectionner le joli cou de Carole et nous trouvons un autre bonhomme au cou sectionné. Y a de la concomitance, non ? Ça analogise bougrement, mes frères ! J’examine le tracé en légers pointillés sur la gorge de ma petite camarade, puis la moche plaie que porte feu Hilario et je constate que les deux ont bien été pratiqués par une lame légèrement recourbée. Dans Hilario il y a hilare, et en effet il se mare, le cher Freitas, mais au-dessous du menton !

Nouveau soupir de Carole. Elle part dans les pommes entre parenthèses, la môme Poupette. Je rabat le tapis par-dessus le cadavre afin de le dérober à la vue de la pauvre gosse. Je crois qu’elle se rappellera longtemps le Brésil, miss Gâcheuse.

— Quel cauchemar ! balbutie-t-elle, quel cauchemar !… O chéri, j’ai peur !

Je lui caresse les joues, lui donne un petit baiser réconfortant.

— Il s’agit de serrer les dents et de tenir le choc, Carole. D’accord, notre affaire baigne plus dans le sang que dans l’huile, mais on va finir par y voir clair, je vous le garantis.

Elle a une réflexion abasourdissante.

— C’est le nègre de tout à l’heure qui a fait ça, n’est-ce pas ?

— Pourquoi ? croassé-je.

— Je ne sais pas, mais en voyant ce malheureux égorgé, il m’a semblé que ce ne pouvait être que ce sale type, l’assassin.

Allons, les petits et les grands esprits se rencontrent. Ce que le crack de la police française a établi par déduction, la môme Frivole l’a trouvé d’instinct.

Comme quoi il faut douze mâles avec des cervelles de trois kilos pour compenser une gamine dont l’encéphale n’est pas plus gros qu’un grain de caviar.

— Cela se pourrait, admets-je. Attendez-moi un moment dans l’entrée, chérie, je vais inspecter les lieux.

— Et prévenir la police ?

— C’est une idée fixe chez vous ! Je vous ai déjà dit que je n’étais pas venu ici pour remplir les feuillets de rapport de mes confrères brésiliens.

Je commence à fureter dans l’appartement. J’y déniche un poste-émetteur de radio, astucieusement camouflé dans un ensemble stéréo. Mon petit doigt me chope pour une conférence exprès et m’affirme que, tout à l’heure, Valéry et la mère Staube m’ont chambré en prétendant ne pas connaître Hilario Freitas. Je suis disposé à vous parier une maladie vénérienne contre une première communion que l’égorgé servait de bureau de poste au groupe Vosgien. Martial avait dû le bombarder ministre des Télécommunications de son gouvernement fantôme.

— Dites, soupire Carole, vous pensez que père est encore en vie ?

Tiens ! elle a enfin une pensée filiale ! La question me flétrit un coin de l’âme. Franchement, je n’oserais pas affirmer que Vosgien vit encore. Je crois qu’il s’est plongé dans un bain de merdouille qui n’est pas parfumé à l’O Bao, le ténor de la suropposition ! Il serait resté dans son cabinet d’avocat, à faire divorcer les cocus, il mènerait une vie pépère. Il chasserait le faisan en Beauce, passerait ses vacances aux Baléares et collectionnerait des machins ou des choses. Alors que, selon toute vraisemblance, parti sur cette route bayardesque, il est actuellement soit mort, soit bien parti pour y parvenir d’une manière rapide et violente.

— Bien sûr qu’il est encore en vie, ma mignonne. S’il était mort, tous ces sanglants incidents n’auraient aucune raison d’être.

Tiens ! mais, au fait, c’est vrai ce que je bonnis. En voulant la rassurer, par charité, je me convaincs moi-même.

— On s’en va ? supplie-t-elle.

— Yes, mon cœur, tout de suite.

Comme je dis, la sonnerie du bigophone retentit. Elle nous file un drôle de cou d’épingle à chapeau dans la nervouse. En pleine nuit, dans cet appartement inconnu dont le locataire est égorgé, un carillon de turlu vous met l’estom’ en portefeuille.

— Partons vite ! crie Carole, comme si le timbre grêle constituait une menace pressante.

Il n’en faut pas plus pour redonner au célèbre San-A. tout son self-control.

— Momento ! dis-je.

Et, délibérément je vais décrocher.

— Allô ! dis-je en prenant l’accent portugais, ce qui n’est pas à la portée de n’importe qui lorsqu’on dispose de deux minuscules syllabes.

Un organe grasseyant retentit. Français, ô combien !

— ’scusez-moi si je vous demande pardon de téléphoner à une heure aussi méduse, mais y a urgence !

Beru ! Le timbre gras comme une bassine à friture du Dodu.

— Qué cé qué cé ? dis-je d’une voix aussi perchée qu’un berger landais[21].

— Je voudrais causer à M…, bougez pas, M… (Je sens que le Mastar doit lire le blaze sur un papelard.)… M. Hilario Freitas…

— Qué cé moi ! fais-je impudemment, en louchant sur la flaque de sang qui a traversé le tapis.

C’est un peu culotté de se prévaloir de l’identité d’un homme qui gît devant vous, extrêmement mort de la tête aux pieds. Mais ce coup de grelot nocturne du Mastar m’indique que, de son côté, le bon gros toutou a levé une piste et, mine de rien, il m’intéresse de savoir laquelle.

L’organe oléagineux d’Alexandre-Benoît, reprend :

— Je voudrais pas vous importunasser, m’sieur Freitas, mais il serait résurgent que je vous visse. Si vous pourriez m’accordasser un rancart de quèques minutes, Jean serait treize au noré.

— Ma qué cé à quel souzet ? réponds-je.

Bibendum baisse le thon.

— Au sujet du dénommé Martial Vosgien ; ça vous dit quèque chose, je sue pose ?

— Absoloumenté rien !

Un bref silence, relatif, notez bien, car je perçois des craquements dans la cervelle du Gros. Je devine que ma Grosse Pomme s’efforce de conserver son calme, et qu’il a du mal à y parvenir.

— Écoutez, m’sieur Freitas, enchaîne Pépère, ça rime aryen de biaiser dans les coins, vu que je suis au courant de pas mal de trucs et c’est ce dont à propos de ceux-ci que je veux vous causer.

— Ma qui cé qué vous z’êtes ! lancé-je, manière de voir la réaction de Béru.

— Je suis un poulet de la rousse française, déclame Sa Majesté avec emphase. L’inspecteur principal Bérurier, pour vous servir ; vous voyez que vous pouvez me recevoir. C’est d’accord, je me pointe ?

— D’accord, zé vous attends, accepté-je.

Je raccroche et je me taille en pensant que mon poisson d’avril destiné au Gros sera un peu en avance cette année. Je laisse la porte ouverte pour lui faciliter l’accès à la surprise. J’aimerais bien connaître ce qu’a découvert le Dodu. Je me propose de lui tirer les vers du nez à l’hôtel, un peu plus tard.

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21

« Quelle originalité dans la métaphore, Seigneur Jésus ! »

Jean-Paul Sartre.