Выбрать главу

D’un pas décidé, je fonce vers sa chambre. On a réparé sa lourde défoncée. Je tambourine à phalanges que veux-tu. Un certain laps de temps s’écoule, et puis la porte s’ouvre sur une demoiselle Fernande presque aussi nue que la Vénus de Milo (un peu plus, même, car si la Vénus de Milo n’a pas de poils, elle n’a pas de bras non plus). Mais sa dévêture n’affole pas la luronne, qui me fixe d’un œil cordial encore que papillotant.

— Oh ? c’est vous, je croyais que c’était Alexandre.

— Il n’est pas encore rentré ?

— Non, quelle heure est-ce ?

— Une heure du matin.

Elle se gratte les fesses à pleine main. Il sera dit que je connaîtrai parfaitement l’académie de la donzelle.

— Ben, entrez, ça fait courant d’air, invite Fernande en retournant à son lit.

J’entre et repousse la porte. La môme s’est assise en tailleur contre son oreiller, ce qui m’offre une vue captivants sur son mont de Vénus, lequel n’a aucun rapport, croyez-le, avec le mont Chauve, bien qu’il y fasse nuit également. Complètement réveillée, elle darde sur moi un regard à la fois con, cul, et pissant.

— Vous ne l’avez pas vu ? demande-t-elle.

— Si, mais je l’ai quitté voilà déjà plusieurs heures.

— Il était seul, au moins ?

— Absolument seul. Vous êtes jalouse ?

— Et comment ! C’est un drôle de déluré, Alexandre. Il faut le surveiller, car il aurait vite fait de courir après le premier cotillon venu.

— Bast ! dis-je assez sèchement, vous n’êtes pas sa femme, après tout.

— Pas encore ! répond la payse du Gros.

Je m’en étrangle.

— Comment ça, pas encore ?

— Je pense qu’Alexandre va divorcer incessamment pour me marier, confie Fernande.

J’évoque la Baleine du Mastar, Berthe, la formidable mégère. Et, in petto, je me dis que l’égérie de Saint-Locdu se fait des berlues si elle compte que B.B. va se laisser répudier par son jules. Ils s’encornent solidement, les Béru, ils s’invectivent, se battent aussi à l’occasion, mais justement ils constituent, à cause de cela, un couple indissoluble.

— Il vous a dit qu’il divorcerait ?

— Quand je lui ai demandé, il m’a répondu qu’il allait réfléchir.

— Et vous avez confiance ?

Elle a un rire à la fois niais et rusé, le même rire qui fleurit sur les lèvres du Terrible.

— J’ai eu travaillé dans une boulangerie, révèle-t-elle, et je sais donner le coup de pouce à une balance au bon moment !

Sur cette affirmation sibylline, elle adopte une posture plus lubrique encore que précédemment.

— Je parie que vous ne vous habillez pas en confection ? demande-t-elle.

— Non, pourquoi ?

— Vous êtes élégant.

— Merci pour mon tailleur, fais-je en dédiant une pensée à Jack Taylor, l’homme qui a l’honneur de faire mes housses.

— Et pas seulement élégant, ajoute Fernande en corsant sa pose libertine, beau gosse !

— Merci pour ma maman, plaisanté-je.

Et je me dis que si je ne mets pas le holà très vite, la chair étant ce qu’elle est et la Fernande roulée comme une pouliche, je risque de faire du contrecare à Béru. Ce qui m’arrête, ça n’est pas tant l’idée de l’encorner que celle de me cogner ses restes.

— Bon ! je vais me filer dans les torchons, coupé-je. Dites-lui de venir me parler dès qu’il rentrera, j’habite la chambre 241 ; qu’il frappe doucement pour ne pas réveiller… les voisins !

— Ne partez pas tout de suite ! miaulasse cette chatte en chaleur.

Elle se mouille les lèvres, les entrouvre, exécute un effet de nombril et ajoute :

— Je peux vous faire une petite place pour que vous l’attendiez ici…

— Sans façon, Fernande, je fais pas mon nid dans l’édredon des copains !

— Je disais ça sans malice ! proteste-t-elle.

Je rigole doucement. Il a la main heureuse, Béru, quand il se tombe une nana. Il ramasse toujours un petit prix de vertu. Je sais pas ce qu’elle maquillait à Saint-Locdu, Fernande, mais ça m’étonnerait qu’on l’ait couronnée rosière !

— Allez, bonne nuit, trésor ; quand le Gros rentrera offrez-lui une magnifique partie de cuisseaux, c’est un homme qui a besoin d’exercice.

Je me taille enfin et je regagne ma chambre.

Mais la vue de mon lit me désoblige. Il est pourtant engageant, ce beau plumard. La femme de chambre a bien cassé le drap en couperet de guillotine et a déposé sur l’oreiller gonflé mon pyjama blanc à raies gris perle. Ça devrait être tentant, mais ça ne l’est pas. Je suis de plus en plus branché sur la force. L’idée de m’abandonner dans une ronflette bourgeoise me déprime. Quelque chose me chuchote dans le tuyau qu’il faut battre le frère pendant qu’il est chauve, comme disait un père supérieur.

Ma breloque dit une heure vingt. Ici, les boîtes à samba sont en pleine hystérie. Je pourrais peut-être aller faire un viron dans le centre de la ville, non ? Ou alors quoi ? Rejoindre Carole ? Elle doit déjà en écraser à perte de vue, la mignonne. Je prends un moyen terme : je décroche le bignou pour réclamer le bar. Je leur exige une bouteille de gin et une de tonic. C’est rare que je boive du gin. Je ne le fais que dans les cas de spleen très avancés.

Au moment où un vieux pingouin amidonné s’annonce avec le plateau, il est bousculé par une Fernande survoltée, vêtue d’un polo, sur lequel elle tire en espérant qu’il voudra bien masquer au serveur ses hémisphères boréaux et ses hémisphères austraux. Mais le polo a beau se montrer extensible et compréhensif, il ne peut suffire à tout, si bien qu’il découvre tantôt un bouton de rose, tantôt un rectangle noir, ce qui, à la télé, justifierait pleinement le carré blanc.

— Qu’est-ce qui vous arrive, mon petit baigneur en cellulo ? je questionne, tandis que le larbin en fait basculer sur la moquette son seau de glaçons.

— La police ! bégaye la pin-up rurale en se blottissant frénétiquement contre moi, au risque de me fêler une côte avec ses seins qui sont durs comme des butoirs de chemin de fer.

— Quoi, la police ?

— Le concierge vient de téléphoner qu’un policier demandait à me voir immédiatement. Je ne sais pas ce qui se passe, j’ai peur qu’il soit arrivé un accident à Alexandre-Benoît !

Cette visite aussi nocturne qu’intempestive ne me dit rien qui vaille la peine de vous le répéter. Nous enjambons le loufiat occupé à ramasser les glaçons à terre en matant anxieusement par-dessous le polo de la belle Saint-Locduéienne. Le digne octogénaire semble oublier qu’il a droit à l’arthrite des vieux et déguste le paysage avec l’air de se dire que la France est belle et qu’il aurait p’t’ être dû demander sa naturalisation par con-tumace.

On se rabat au pas de charge dans la piaule bérurienne à la fraction de seconde précise où un poulaga en uniforme verdâtre débouche du couloir, escorté par un chasseur. C’est un gus brun et pâle, aux joues grêlées et aux sourcils éternellement furax. Par chance, il parle anglais.