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Le chef lance un ordre et on me fait entrer dans son bureau. Abandonnée dans le poste, Fernande rouscaille comme une perdue, mais ses cris n’affectent pas ces messieurs et l’un d’eux doit soudain la menacer de je ne sais quoi, car elle cesse de protester comme par enchantement.

Le bureau de l’inspecteur-chef est agréable, moderne et propre.

— Assis ! me dit-il, comme lorsqu’on dresse un toutou.

J’obéis.

— Je vous entends ! invite-t-il.

Elle est un peu raide, celle-là, comme disait une péripatéticienne de mes relations à un curé des siennes. Ces guignols viennent nous quérir en pleine nuit et, en guise d’explications, ils m’ordonnent de parler ! Pour leur dire quoi, mort de mes os ? Ça me donne de l’incisif dans la dialectique, du percutant dans l’intonation.

— Mande pardon, dis-je, c’est plutôt moi qui vous écoute !

Il n’apprécie pas la renversée, l’ami King-Kong. Il dit quelque chose à son sbire jugulé qui vient à moi et me balance une mandale à toute volée. Ce zig, croyez-moi, doit travailler ses deltoïdes chaque matin, car j’en vois trente-six chandelles. Je me redresse, prêt à lui filer un échantillon de mon sirop de biceps, mais il a saisi une matraque en caoutchouc à un portemanteau et mouline à quelques centimètres de mon visage. Vouloir passer mon poing à travers ce ventilateur, c’est essayer de caresser le museau d’un avion de tourisme pendant que l’hélice tourne.

Je me rassieds en maugréant.

— Vous entendrez parler de moi, mon cher collègue ! affirmé-je au chef de sévices. Je ne pense pas que mon ambassadeur appréciera la façon dont vous traitez un ressortissant français qui, en toute immodestie, est une gloire de son pays.

Il a un rire frelaté qui ressemble à une petite colique de constipé.

— Je ne pense pas que l’ambassadeur de France se soucie de protéger des criminels.

— Avant d’affirmer des choses aussi graves, vous feriez bien de chercher des preuves susceptibles de les étayer.

— C’est fait, merci ! déclare le vilain pas beau en écartant le mouchoir du jugulé de frais.

Je tique en découvrant que le morceau d’étoffe enveloppe le poignard de Correira. Quand j’ai assaisonné ce loustic, il a laissé quimper sa lame à l’arrière de ma bagnole et le policier l’a trouvée. Oh ! mes frères, ça se gâte de plus en plus !

— L’arme du crime ! dit simplement le gorille.

— De quel crime ? glapis-je.

— Un certain Hilario Freitas a été égorgé à son domicile. On a arrêté votre complice sur les lieux du meurtre, tout à l’heure !

Comme quoi, mes amis, il ne faut jamais faire de vacherie à ses potes ! Si je n’avais pas fait croire au Gros que Freitas vivait et qu’il l’attendait, le Mastar ne se serait pas fait cueillir sottement dans l’appartement de l’égorgé. Nous sommes tous dans une sacrée mouise capitonnée de gadoue.

Le flic en bras de chemise ajoute :

— Et l’arme du crime se trouvait dans votre voiture.

— Qu’est-ce qui vous laisse à penser que ce couteau a servi à trucider quelqu’un ?

— Il correspond à l’arme dont s’est servi l’assassin et, voyez, il y a des traces de sang sur la lame et dans la rainure du manche.

Pas d’erreur, il connaît son boulot.

Sur sa lancée, le front-bombé continue :

— Vous appartenez à une association d’espionnage.

— Quelle idée !

— Freitas était un agent au service de l’étranger, on a retrouvé un poste émetteur de radio chez lui !

Franchement, quand je pense que c’est bibi qui a déniché le poste, je me téléphonerais quinze mille coups de pompe dans les noix ! Les dames du monde appellent ça chercher des verges pour se faire fouetter (elles adorent la flagellation).

— De plus, vous êtes en contact avec l’ennemi public n° 1 brésilien ! déclare-t-il en me brandissant le permis de conduire de Correira, puisque ce permis de conduire est en votre possession.

— Correira ! béé-je.

— Il se nomme en réalité Apucara, la-dessus figure une fausse identité, mais la photographie est la sienne. Tous les services de police le recherchent. Sa tête est mise à prix cinq cent mille cruzeiros !

Je souris.

— Mort ou vif ?

— Parfaitement !

— Alors vous venez de gagner l’argent de vos vacances, cher collègue, car je vais vous indiquer l’endroit où gît la carcasse de ce gentleman.

Ça lui coupe le sifflet.

Tous les Brésiliens sont sensibles au pognon. La preuve en est que, lorsqu’un agent vous stoppe et vous demande vos fafs, il suffit que vous lui présentiez un billet de banque pour qu’il vous laisse continuer votre route. La perspective de palper cinq cent mille tickets le rend tout songeur. Il jette un regard à son subordonné, s’assure que le jugulé ne parle pas français et s’en félicite. Il n’aura pas besoin de partager si, d’aventure, je ne le berlure pas.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demande-t-il.

Je pense que le plus simple c’est de plonger et de lui vider le sac, ensuite il triera.

Je lui bonnis toute l’affaire dans ses grandes lignes et il m’écoute attentivement.

— Voyons, conclus-je, si j’étais l’allié de ce bandit, pourquoi me promènerais-je avec son permis de conduire ? Et si j’avais trempé dans l’assassinat de Freitas, pourquoi conserverais-je l’arme du crime dans ma bagnole et, par surcroît, pourquoi proposerais-je à un policier de s’asseoir sur la banquette où elle se trouve ? Vous sentez bien que ça ne tient pas debout ! Je suis ici avec l’inspecteur Bérurier en mission officieuse afin de retrouver Martial Vosgien.

— La police brésilienne s’occupe de l’affaire. C’est son travail ! grommelle le singe.

— En ébruitant la chose vous risquez de créer un incident diplomatique entre nos deux pays, insisté-je, et vos supérieurs n’apprécieront peut-être pas votre zèle. Je suppose qu’il en va chez vous comme chez nous : un policier doit agir avec prudence et il vaut souvent mieux, pour l’avancement, en faire pas assez que trop. De plus, j’ai un témoin ; en l’occurrence la fille de Martial Vosgien elle-même qui pourra confirmer mes dires de point en point…

Le zig ne me répond pas tout de suite. Il mordille sa médaille à petits coups de dent énervés. Son adjoint attend, indécis, des explications.

— Où est le cadavre ? demande enfin le chef.

— Allez à San Conrado. À la sortie de la localité, la route fait une fourche. Prenez à droite. Roulez sur six kilomètres environ. Vous apercevrez une grande hacienda à droite. Vous stopperez près de l’entrée et chercherez sur le talus. Il est là.

Le mec opine. Puis il allume une cigarette.

— Très bien, je vais aller vérifier. En attendant vous resterez à notre disposition !

Il donne des instructions à son subordonné.

— Arrivez, me fait le jugulé.

Il m’entraîne hors du bureau. On retraverse le poste de police. Fernande est toujours là. Les flics lui ont offert du café et elle boit à petites gorgées.

— Alors ? me demande-t-elle, et Alexandre ?

— Ça s’arrange ! Vous devriez rentrer à l’hôtel.

Je demande à mon gardien si la môme peut se tailler et il répond qu’il va aviser avec son chef. Nous franchissons une autre porte, suivons un couloir morose et atteignons une pièce sans fenêtre pourvue d’une grille, comme dans les petites prisons nord-américaines. Ça ressemble à une cage à lions. Le jugulé ouvre la porte et me propulse dans le cachot. J’aperçois une grosse chose pied-de-poule vautrée sur le bat-flanc. C’est émouvant dans sa simplicité.