— Je connais tes façons courtoises, Gros. Ainsi donc, tu les as employées avec les amis de Vosgien ?
Il me place sous le nez une main droite dont chaque jointure est fleurie d’une écorchure.
— La séance style jour J-Day, résume le Capitaine Fracasseur. J’y ai montré à ces gars qu’on m’avait pas payé le voyage au Brésil pour que je leur distribue des bouquets de violettes comme des certains que je connais.
— Quelle horreur, soupiré-je. Tu ne vas pas me dire tout de même que tu as porté la main sur la secrétaire ?
Un grand rire ventral lui fait sauter un bouton de braguette.
— Pour elle, expecté deux ou trois mornifles à la papa, ç’a été la fessée, mon pote ! Rien qu’ébranle autant le moral d’une râleuse ! M’étonnerait que cette marchande de cierges puisse s’asseoir avant le mois prochain, et encore, ce sera sur une pile d’oreillers. Elle a le dargeot jaune comme çui d’un canard de Bresse !
— Et le résultat de ton massacre ?
— J’ai appris des trucs de la plus haute importation, mystérieuse mon compagnon.
— Lesquelles ?
Il ne répond pas tout de suite.
— C’est tellement grave, que je me demande si je peux me permettre, dit-il.
— Oh ! dis, on ne joue pas Forfaiture, le houspillé-je. Ça vient, oui ?
— Je sais pourquoi Martial Vosgien s’est bricolé l’aspect…
— Il projetait de rentrer en France ?
— T’es au courant ? consterne Béru.
— Non, mais je penchais pour cette hypothèse !
— Alors tu penchais juste. À Pantruche ils ont préparé un attentat contre le président, San-A. Vosgien rentrait pour lancer une résurrection dans la capitale après l’assassinat projeté.
— Tu ne voudrais pas dire une insurrection ?
— C’est bonnet-blanc, blanc bonnet, balaye le Majestueux.
J’ai tout à coup un mauvais goût dans la bouche. Je comprends que j’ai eu tort de me laisser aller à mon humanisme. Le Vieux, lui, se gaffait que ça pouvait avoir de redoutables conséquences, la fuite de Vosgien.
— Tu as des détails sur cet attentat ?
— Ça devrait se passer après-demain, pendant que le Grand visitera les nouvelles usines anatomiques de Barbu-le-Vicomte.
— Après-demain ! m’égosillé-je.
— Selon la vieille guenon, oui. Tout serait prêt pour…
— Et Vosgien ?
Béru se gratte la nuque.
— C’est là qu’il y a comme un défaut, murmure-t-il, selon t’eux, il aurait disparu la veille du jour où qu’il allait s’embarquer à la sauvette. J’ai eu beau me permettre d’insister, ajoute-t-il en se massant la main, ils n’ont pas voulu en démordre. L’ami Martial devait aller, dans un bled résidentiel des environs de Rio qui s’appelle Petropolis. Il prenait une chambre au palace du patelin, s’y enfermait et dans la nuit, sortait par une porte de service. Là, une camionnette de livraison l’emmenait sur un point de la côte, où qu’un cargo espago le chargeait pour le conduire à Las Palmas, d’où un avion particulier le chopait et allait le déposer dans la région parisienne.
— Et pourquoi avait-il changé de physionomie puisqu’il se savait surveillé ? C’était une précaution superflue !
Le Gros rigole.
— Ça aussi, mon pote, je m’ai fait espliquer. Paraît-il qu’un copain du groupe occupait dejà l’hôtel de Petropolis. Il devait prendre la place de Vosgien pour qu’on s’aperçusse pas de sa disparition tout de suite. Paraîtrait qu’une fois teint en blond et avec quelques bricolages, Vosgien ressemblait assez à cet ami pour que les anges gardiens, de loin, puissent s’y tromper. Ce qu’ils voulaient, tous, c’était qu’en France on ne susse pas sa disparition immédiatelet, afin que nos services paniquent pas.
« Tu comprends, Vosgien s’est bricolé plusieurs jours avant, justement pour que les agents français repèrent bien sa nouvelle frite. Pas mal combiné, hein ?
Je réfléchis passionnément. Dans le fond, il a raison, Bibendum. La brutalité est payante. La garce de Staube et le salopard de Valéry se seraient bien gardés de m’affranchir, et pour cause !
— Tu penses qu’ils étaient sincères quand, ils t’ont dit que Vosgien avait réellement disparu ?
— Oui, fait Bérurier avec conviction. Je les avais rendus très sincères, crois-moi.
— Alors, si tout cela était si dûment préparé, qu’est-ce qu’il est devenu, Vosgien ?
— Ils l’ignorent. Ils croyaient que les barbouses françaises étaient au parfum de l’attentat et l’avaient enlevé ; mais depuis notre intervention, ils donnent leur langue au greffier.
— Et l’attentat, il a été annulé ?
— Paraîtrait que non, car tout est prêt, manque pas un bouton de guêtre à leurs bombes !
— Bonté divine ! Il faut alerter le Vieux d’urgence !
— C’était bien mon intention, affirme le Gravos, mais j’aperçois pas d’appareil téléphonique dans ce cachot !
— On ne va pas y moisir longtemps, j’ai fait le nécessaire. À propos, qu’est-c’est que tu maquillais chez Freitas ? Et comment avais-tu eu son adresse ?
Comme Béru s’apprête à me répondre, on entend claquer une porte et le flic au front bombé s’avance dans le couloir d’un pas rageur. Il a pas traîné pour aller récupérer le cadavre. Il se plante devant la grille, les jambes écartées, les mains aux hanches, dans l’attitude du conquistador vainqueur.
— Vous vous êtes moqué de moi ! me crie-t-il. Mais ça ne se passera pas comme ça !
Je trémole :
— Qu’est-ce que vous dites ?
— Je viens de l’endroit indiqué. J’ai bien vu l’hacienda, mais il n’y avait aucun cadavre aux environs !
— Vous avez dû vous tromper de route, protestai-je.
— Taisez-vous ! J’ai trouvé des traces de voiture, un mouchoir dans l’herbe. Mais pas de cadavre, vous m’entendez ? Pas de cadavre !
Il pointe un doigt vengeur dans ma direction.
— Ça va vous coûter cher, très cher ! Pour commencer, je vous inculpe de meurtre, d’espionnage, de… de…
Il s’étouffe.
— Je vous donne ma parole d’honneur que je vous ai dit la vérité ! m’égosillé-je. Allez au Copacabana Palace, demandez après Mlle Vosgien, elle vous confirmera mes dires ! Et vous pourrez voir à son cou les traces que votre ennemi public y a pratiquées avec l’arme du crime, précisément !
— Silence ! éructe le primate. Silence ! Vous êtes tous des espions en cheville avec cette bande Vosgien que mon gouvernement a eu la faiblesse d’héberger ! Après-demain, je passerai l’affaire à nos services de contre-espionnage qui vous mettront sur le gril ! Ils sauront vous faire parler, eux !
— Après-demain ! gémis-je…
— Oui, car demain, le carnaval débute, ça vous donnera du temps pour réfléchir.
J’échange avec le Mahousse un regard déprimé. L’un et l’autre nous avons la même pensée : l’attentat qui s’élabore en France.
— Écoutez, chef, soupiré-je d’une voix pathétique, il faut absolument que vous joignez l’ambassade de France. Je dois parler d’urgence avec quelqu’un de notre corps diplomatique, sinon il se passera des choses graves, dont la portée est incalculable !