Pour toute réponse il éclate de rire. Il n’a pas digéré son faux espoir de prime, King-Kong. Il se voyait déjà enfouillant les cinq cent raides ; il avait déjà changé sa bagnole et son poste de téloche par la pensée. La déception le rend dingue.
— Eh bien, on lira ça dans les journaux, espèce de crapules ! Faux policiers ! Espions ! Assassins ! Menteurs !…
Il tousse, s’ébroue et disparaît dans une quinte de toux en tapant des talons.
— Qu’est-ce qu’elle est devenue, la carcasse d’Apucara, hein ?
— Tu disais bien que t’avais fait le nécessaire pour arranger les bidons, non ? demande doucement le Dodu.
CHAPITRE VII
J’ai connu un gars tellement rapide qu’il arrivait à jouer au ping-pong tout seul. M’est avis que je le bats, cérébralement du moins en ce moment.
Une volonté sauvage de filer de là m’anime. Je dois coûte que coute (et il va en coûter) prévenir le Vieux de ce qui se trame ! On ne va pas recommencer le coup de Dallas quand même ! Le monde porte encore en son flanc les séquelles de cet attentat. Si on bousille les chefs d’État, y a plus d’avenir possible !
Béru a retrouvé sa gravité. Il sent que l’heure est critique.
— Bon, soupire-t-il enfin, il va falloir les mettre par le doyen du bord[23]. Quelle heure t’as-je ?
— Trois plombes, Gros !
— Si on joue la belle, faut que ça soye cette nuit, car, au jour, le poste va grouiller de mathons.
C’est également mon avis.
— Ils n’ont pas l’air nombreux en ce moment, assuré-je, on sent que le Carnaval les travaille.
— Comment s’y prenons-nous ? demande Sa Majesté, qui reconnaît la suprématie de mon esprit inventif sur le sien.
— Bouge pas, Pépère, je suis en plein phosphore.
— T’en deviens lumineux comme un ver luisant, gouaille l’Hénorme. La combustion se fait bien, oui ?
Je mate une longue traînée de jaune d’œuf sur la cravetouse du Gros. J’sais pas comment il se débrouille, Béru, pour avoir en permanence du jaune d’œuf sur ses fringues !
Ça remue quelque chose dans les méandres de mes cellules grises. Je me dis qu’au Brésil ça n’est pas comme en France. On ne retire pas leur cravate, leur ceinture et leurs lacets aux gars incarcérés. Et, une constatation amenant une suggestion, une suggestion me branchant sur un plan, je finis par construire du neuf et du déraisonnable.
— Écoute, Gros, quand un prisonnier veut jouer la belle, il ne dispose que de deux procédés : ou bien il scie ses barreaux, ou bien il estourbit son gardien. Comme ici les barreaux de la grille sont gros comme mon bras et que nous ne disposons d’aucun outil, on doit se rabattre sur la seconde solution.
Il m’écoute en branlant le chef.
— Le hic, dit-il, c’est de faire entrer les gardiens ! On pourrait gueuler au secours ; dire que je m’ai empoisonné avec des champignons ténébreux ou autre, mais je doute que ça prisse !
— J’ai une bien meilleure idée, coupé-je.
— J’ouïs.
— On va se suicider, mon pote ! Ils nous ont laissé nos cravates. On va faire semblant de s’être étranglés. On s’attache par le corniolon à un barreau et, quand ils rentreront, on prendra des postures de macchabes. On ne bouge plus, les yeux révulsés, la bouche grande ouverte. Ils finiront bien par rentrer pour voir ce qu’il en est. Une fois la lourde débouclée, on joue son va-tout.
Béru réfléchit consciencieusement.
— Ça me paraît valable, dit-il. Seulement, suppose qu’ils ne reviennent plus nous voir avant demain ? Faudrait, mine de rien, pouvoir attirer leur intention.
— Essayons de râler, ils entendront peut-être…
Nous passons à l’exécution — si je puis dire — de ce spectacle de variétés.
— Montre un peu ! demandé-je au Gros lorsqu’il s’est accroché à son barreau.
Il se compose un faciès d’étranglé qui ferait rire un parterre d’académiciens. Ses yeux globuleux lui jaillissent de la boule en louchant. Sa langue violet et blanc pend comme un scoubidou d’âne.
— Tu l’as attachée comment, ta cravate ? fais-je en vérifiant le nœud.
— Ben, comme on doit attacher quèque chose dont avec quoi on se pend ! bougonne le Fulminant.
— Espèce de cloche ! Alors il faudra que tu dénoues ça avant de faire une prise au gardien ! Il aura mille fois le temps de se barrer et d’ameuter la garde !
Je défais sa ligature et je recompose le nœud de manière à ce qu’une simple traction suffise à le dégager du barreau. Après quoi je me mets en scène moi-même. J’essaie de prendre du recul par la pensée, de nous imaginer, vus de l’extérieur, affaissés sur nous-même, la tête tordue.
— O.K. Vagis, Béru !
Ses râles, mes amis, une splendeur. Vous assisteriez à une agonie pareille dans la vie que vous alerteriez les mecs de Cinq Colonnes à la une pour qu’ils le camérassent. C’est bruyant, sinistre, dramatique. L’éléphante en accouchant dans de mauvaises conditions, le pétrolier enroché perdant son mazout, la sourde-muette qu’on viole, le phonographe à pavillon qu’on tente de refaire marcher, oui, seuls ces gens, ces animaux et ces choses produisent des sons semblables à ceux qu’émet mon cher camarade d’infortune.
Ah ! mes fils, l’effet ne se fait point t’attendre. Au bout de trois minutes, j’entends la porte qui s’entrouvre à l’autre extrémité du couloir. Il y a des chuchotements. Puis un pas s’avance. Puis deux. Et puis les pas s’éloignent précipitamment. Et puis il y a des exclamations. Et puis ça radine en force et ça interjectionne.
Je voudrais pas anticiper sur la victoire finale, comme dirait un journaliste sportif, mais il me semble que notre spectacle fait recette. On va peut-être jouer à burlingue fermaga. Ça discutaille ferme. Je me dis que nous avons une chance d’être crus, car le chef nous prend pour des espions ; or il est fréquent (dans les romans, en tout cas) que des espions arrêtés se donnent la mort pour couper aux interrogatoires. En tout cas, si nous ne sommes pas crus, nous sommes cuits. Je sais bien que je vais rater le fauteuil de Mauriac avec des calembours aussi piètres, mais tant pis ! j’aime mieux me marrer de mes pauvretés que de me faire bicorner par des messieurs que je connais pas et dont j’ai même pas entendu causer de la plupart.
Les gus s’amènent jusqu’à la grille et nous examinent. Moi, je fais le type déjà clamsé. Béru continue ses vagissements en ayant la bonne idée de les affaiblir. Je coule un regard aussi mince qu’une lame Gillette à travers mes stores. Ils sont trois. Le chef et les deux mecs qui éclusaient du café lors de notre arrivée. Méfiant, le chef a dégainé son feu et reste dehors tandis que les deux gardes pénètrent dans la geôle. Ils ont la fameuse idée, ces crêpes, de se diviser et de venir contempler chacun de nous, ce qui nous facilite le turbin. Le numéro de haute voltige risque d’échouer du fait que le chef est dehors et qu’il lui suffit de tirer la porte et de nous tirer dessus ensuite pour contrôler (définitivement) la situation. J’espère que Graduprose a réalisé le danger ? C’est lui qui se trouve du côté de l’ouverture de la lourde. Je vois, entre la frange de mes longs cils ensorceleurs (c’est une dame qui m’a dit ça un jour) le visage métissé d’un des gardes. Mon immobilité le met en confiance. Il se penche. Malheur de sa vie ! je lui balance un coup de tatane si faramineux dans les joyaux que ce monsieur sera inapte à procréer pendant un laps de temps illimité. Il va pouvoir se placer Coquette sous scellée afin que personne n’y touche ! Il bascule en hurlant et en vomissant, ce qui est du plus pathétique effet. De son côté, Béru n’a pas perdu de temps puisqu’il ceinture son propre client, tout en mettant un panard dans la porte que le singe au front bombé a le réflexe de vouloir fermer. Le chef tire à deux mains, ce qui neutralise son revolver. Je libère le Gros de son antagoniste en plaçant à ce dernier une manchette sur la nuque. Après quoi, j’arrache la porte, amenant à l’intérieur du cachot l’homme qui s’y cramponnait. Ce connard veut alors se servir de sa rapière, mais Béru lui porte une clé au bras et les balles de l’automatique vont écailler le plaftard. D’un coup de boule dans le pif, je le mets groggy. Le tout n’a pas duré vingt secondes.