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— Allez, Gros, le chant du départ ! enjoins-je.

— J’arrive ! dit-il.

Mais avant de franchir la porte du cachot, il pique les armes des trois hommes.

— Ça peut servir, m’explique-t-il en refermant la porte de la cellule et en empochant la clé.

Comme nous débouchons dans le poste, nous nous heurtons à deux policiers en uniforme que la pétarade a alertés. Béru leur montre son paquet de revolvers avec bonhomie.

— Quelques dragées, messieurs, à l’occasion de mes fiançailles ? leur demande-t-il.

Les arrivants lèvent les bras au ciel comme pour dire que c’est trop de bonté de sa part. Je les déleste de leurs lance-fumée et leur fais signe de passer dans le bureau du patron, où je les boucle hermétiquement.

— Tu te rends compte d’un arsenal ! me dit le gros. On a en tout cinq composteurs, on va pouvoir en offrir, s’est un cadeau utile.

Il est à la porte, mais, brusquement, ma frénésie s’enlise. Je me sens étrangement calme.

— Eh ben, tu t’annonces ou tu passes le véquende ici ! s’exclame Bérurier.

Ce qui me fascine de la sorte c’est le téléphone. Je me dis que je n’ai pas le droit de différer d’un instant mes révélations au Vieux. Tant pis pour ce qu’il adviendra. Le plus urgent c’est le travail.

— Surveille notre ménagerie Gros. Mais surtout ne défouraille pas sur nos braves amis brésiliens.

— Qu’est-ce que tu vas maquiller !

Je chope le téléphone, sans plus attendre, et je compose le numéro du Copacabana. Le concierge de nuit répond presque aussitôt et je lui demande la chambre de maman. Il se met à carillonner ma brave Félicie.

— Qu’entends-je ! s’exclame Béru, maâme ta mère est ici !

— Tout le monde ne vient pas au Brésil avec une poufiasse, riposté-je, cruellement.

Le Mastar violit.

— Écoute, San-A., je permettrai pas des instinuations pareilles ! Fernande…

Je le stoppe d’un geste, car la tendre voix ensommeillée de ma brave femme de mère balbutie des «  Allô ! j’écoute » apeurés.

— C’est moi, m’man, la rassuré-je. Pardonne-moi de te réveiller en sursaut, mais ça urge.

— Tu n’es donc pas dans ta chambre ! reproche la pauvre chère vieille.

— Non, il y a eu du nouveau, je te raconterai.

— Mais où es-tu ?

— Écoute, m’man, je te jure que j’ai pas le temps de t’expliquer. Dès que j’aurai raccroché, tu demanderas la communication avec la France et tu appelleras mon directeur ; tu connais son numéro privé ?

— Par cœur, Antoine.

— Bon. Tu lui diras que nous nous trouvons à Rio, où j’ai découvert qu’un attentat était prévu contre notre président après-demain, pendant qu’il inaugurera la nouvelle centrale atomique de Barbu-le-Vicomte.

Exclamations angoissées de Félicie.

— Seigneur Jésus ! Est-ce possible ?

— Tu te rappelleras bien tout, m’man ?

— Tu penses que oui, mon grand ! Après-demain, un attentat contre le président à la centrale de Barbu-le-Vicomte. Mais dis-moi, Antoine, tu es en danger en ce moment puisque tu ne l’appelles pas toi-même ?

— Je n’ai pas le temps d’attendre la communication, m’man. En tout cas, rassure-toi, c’est avec la police d’ici que j’ai quelques démêlés. Si ça ne s’arrangeait pas tout de suite, rentre en France. Les billets de retour sont dans le tiroir de ma table de nuit.

La « police d’ici » commence à réagir bruyamment. Elle vocifère comme tout un marché au poisson.

— T’inquiète pas, va ! lancé-je à Félicie. C’est un simple contretemps. Fais ce que je dis. Si le Vieux te pose des questions à propos de notre venue au Brésil, dis-lui que tu n’es au courant de rien. Je t’embrasse !

Je raccroche et nous fonçons au moment où les premiers coups d’épaule commencent d’ébranler la porte du bureau.

* * *

Les rues sont peu encombrées ; pourtant la vie continue. On sent un frémissement dans l’air toujours orageux. Les prémices du carnaval empêchent les gens de pioncer. Çà et là, sur les trottoirs, de vieilles femmes de couleur, accroupies dans des oripeaux, vendent de louches denrées alimentaires à la lumière d’une bougie chancelante : des grappes de maïs grillé, des saucisses noires de mouches, des fruits gâtés. C’est pitoyable, mais je n’ai pas le temps de m’apitoyer !

Galoper n’empêche pas de raisonner. Je me dis que mes poches sont vides et que je n’ai pas un fifrelin sur moi. À quoi rime cette galopade, dans la nuit brésilienne ? Où aller ? Le coup de fil à m’man passé, on aurait dû ouvrir à nos victimes et nous constituer prisonniers. Seulement, elles auraient peut-être mal réagi après la séance que nous leur avions fait subir. On a le sang chaud, dans ce pays, la détente facile. Le gorille était chiche de nous allonger et de se retrancher ensuite derrière le délit de fuite.

On cavale de la sorte pendant cinq minutes jusqu’à ce qu’époumonés, nous nous adossions à la grille d’un magasin.

Un filet de bave dégouline des babines du Molosse.

— Et maintenant, docteur, quel est le traitement à suivre ? halète mon bon Béru.

Malgré notre situation critique, je me sens réconforté de l’avoir auprès de moi.

— T’as de la fraîche sur toi ? lui demandé-je.

— Penses-tu, ces tantes m’ont ratissé de con t’en fomble ! Note qu’avec toute cette artillerie de campagne on pourrait demander poliment son larfouillet à un passant, mais c’est pas dans mes principes.

Il renifle une stalactite argentée et soupire :

— Nature riche[24], il est pas question de s’annoncer à la cabane Copa ?

— Au Copacabana Palace ? Oh ! non, pas question du tout. Tu penses que c’est là-bas qu’ils vont aller en premier.

— Du temps que tu y étais, t’aurais pu dire à maâme ta mère de nous faire apporter un peu d’artiche par Fernande.

— Pour que ta gosse d’amour, qu’ils connaissent maintenant, se fasse filer ? Dis-toi bien qu’ils y sont déjà, au Copacabana. J’espère qu’ils n’embêteront pas trop maman et qu’elle pourra tuber au Vieux !

Nous en sommes là de nos digressions lorsqu’une Jeep bourrée de matuches débouche du carrefour et fonce silencieusement dans notre direction.

— Mince ! Les archers ! gronde Bérurier, ah ! dis donc, ils perdent pas de temps pour ramoner le quartier !

Je sens que les occupants de la Jeep nous ont repérés. La manière dont l’auto a braqué sec vers nous en est la preuve.

— Taillons-nous ! dis-je.

Je me mets à galoper dans le sens opposé à la Jeep. Une balle siffle au-dessus de ma tête. Ça rameute la rue. Des cris se bousculent aux fenêtres et les rares passants décident de vérifier si la position de la tortue n’est pas enviable dans certaines circonstances.

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24

Pour naturlich, probable.