Je comprends maintenant ce que la rouée Fernande entendait par « donner un coup de pouce » au destin ! Avant de partir elle a prévenu Berthe afin de créer l’irréparable.
Mais Berthe, c’est une guerrière ! Une Jeanne Hachette ! Elle est allée aussi sec retirer ses économies de la Caisse nationale d’épargne et hop ! Voyez Air France ! Elle supporte pas qu’on attente à son foyer, qu’on touche à son jules, qu’on lui démantèle le ménage !
Pour commencer, elle met une paire de claques à l’époux polisson. Ensuite elle file une peignée pure laine à Fernande, sous les regards qui s’exorbitent et se multiplient. C’est une séance historique, mes chefs ! Quand les bras lui en tombent d’avoir cogné, Berthe désigne la lourde à la Fernande tuméfiée, à la Fernande humiliée, ensanglantée, corrigée.
— Dehors, roulure ! Et que je te revoye jamais plus. Et si t’as le malheur de revenir seulement en France, je t’ouvre le ventre, tu m’entends, dis, pétasse ! Radasse !
Fernande défaille :
— Mais qu’est-ce que je vais devenir, au Brésil toute seule ? s’épouvante la payse du Gros.
Alors, le policier sans jugulaire, ni uniforme, ni slip intervient.
— Je vous épouserai, si vous le voulez bien, dit-il.
Béru s’enhardit à sourciller.
— Un flic brésilien ! Je vois d’ici les émonuments ! Excusez du peu, mais — s’cuse moi, Berthe — son père me l’a confiée et je peux pas la larguer au rabais.
— J’ai des économies, plaide l’autre. J’ai gagné cinq cent mille cruzeiros en allant récupérer cette nuit avant mon chef le cadavre de l’ennemi public n° 1.
Nous nous dévisageons, Béru et moi. Et je réagis. C’est vrai qu’il parle français, ce petit fufute ; il m’avait caché ça pour mieux m’arnaquer, et, en définitive, c’est le front-bombé qu’il a possédé. Il agit et conduit beaucoup plus vite que le singe. Conclusion : il prendra sa place avant pas longtemps !
— Je crois, dis-je à Béru, que tu peux donner ton accord, car j’ai l’impression que ce garçon fera une belle carrière.
Le féroce regard de Berthe aidant, Béru se résigne. Superbe dans sa tenue de gladiateur, il s’approche de Fernande et l’apostrophe.
— Tu as très mal agi, Fernande, d’abord en me soustractionnant par tes charmes à un foyer dont auquel non seulement j’ai l’habitude et de surcroît en plus auquel je tiens…
Il se débat au mitan de son emphase et pour finir :
— … mais surtout en écrivant cette méchante bafouille à ma Berthe. C’est un acte que je veux pas qualifier par respect pour ton père qui a été un des meilleurs gardes champêtres de Saint-Locdu-le-Vieux, un des plus intégrés, en tout cas. Epouse donc ce type puisqu’il a l’air de t’être sympathique et à la mesure et cherche plus jamais à m’adresser la parole. Y a qu’une femme qui compte dans ma vie, fillette : c’est ma Berthe ici présente. Et pour bien lui prouver combien à quel point je tiens à elle et la remercier de son voyage ici, avant de rentrer j’irai la marier en Nu-Rugueux, afin qu’il n’existasse plus un seul pays au monde où que j’eusse la tentation de le faire si le démon me reprenait de calcer une jouvencelle !
Ouf ! Il a bien mérité l’oxygène dont il s’approvisionne.
Berthe se jette sur lui en pleurant. Happy end. Tout le monde a la larmouille au carreau. Même le pingouin mécontent. Il trouve que c’est curieux les Français, quand on les regarde exister entre eux, d’un peu près.
Le cortège se disperse, Fernande la Brésilienne en queue. Je m’apprête à laisser les Bérurier à une félicité retrouvée lorsqu’un chasseur se pointe.
— Il y a dans le hall trois messieurs allemands qui attendent M. Bérurier et ses témoins depuis plus de deux heures, dit-il.
— Tes témoins pour ton mariage ? rechiale B.B., anéantie.
— Mais non, bécasse, fait le Gros, pour mon duel. Excuse-moi si je remets à un peu plus tard notre frénésie sexuelle, mais faut que j’aille revolvériser ou épécer un gros teigneux de Boche à qui t’est-ce j’avais fait l’honneur de me cacher le dargif dans les plis de son drapeau.
Toujours en gladiateur, il se dirige vers la lourde et me sollicite :
— Tu viens témoigner pour moi, au duel, San-A. ?
On trouvera bien à la plonge un zig à qui on cloquera la pièce pour faire le deuxième…
Comme je m’apprête à le suivre, Berthe s’interpose. Elle a ramassé son pébroque, recoiffé son bada. Elle dit qu’elle est pas venue récupérer son Alexandre au Brésil pour qu’il aille se faire perforer la boyasse. Elle va aller causer à ces Allemands, elle ! Leur dire sa façon de concevoir le duel, en plein vingtième siècle. Et s’ils insistent, c’est avec son mignon parapluie qu’elle les remettra à la raison !
Vaincu et fatigué, le Dodu la laisse partir.
— Quelle grande bonne femme ! me dit-il, la voix suintante d’émotion. Tu te rends compte ! Toutes nos éconocroques pour venir me repêcher aux abords de la connerie. Alors qu’elle eût pu s’offrir du bon temps avec ! Tu veux que je te dise, San-A. ? C’est ça, l’amour !
Il a raison, c’est pourquoi je cours réveiller Carole.
CON
CLU
SION
Huit jours plus tard, toute la brigade est réunie au café d’en face pour célébrer la grande victoire de l’un des siens. En l’occurrence celle de Pinaud, qui a triomphé de tous les concurrents et gagné la mobylette au concours des charades.
On saucissonne un brin pour marquer le coup. Le beaujolpif coule à flots. Le Vieux a accepté de venir. Il est accompagné de l’inspecteur Machouette, de la brigade des Calamistreurs. Machouette, c’est le marrant qui a joué le rôle de Machinchouette, il avait pas eu à forcer pour se trouver un pseudonyme. En attendant que son dentiste lui répare la ganache, il bouffe de la purée fluide. Mais il n’est pas rancuneux, Machouette. Le travail, c’est le travail. Et puis, mieux vaut avoir les ratiches dispersées par San-A que la bedaine aérée par un malfrat rageur, non ?
Le Dabe se lève au moment du toast apothéosique :
— Cher Pinaud, dit-il, nous sommes heureux de saluer votre retour du Brésil…
Il prend un temps, retient un sourire et jouit de la pâleur de la Vieillasse ainsi que de la violaceur de Béru, avant de continuer :
— De saluer, disais-je votre retour du Brésil où vous avez aidé notre cher Bérurier à découvrir un complot dont je n’ose imaginer les conséquences s’il avait réussi.
« Ce retour triomphal s’accompagne d’une victoire de l’esprit. La charade est un art délicat dans lequel vous excellez, mon bon Pinaud, et, puisque par votre sagacité vous avez réussi à gagner la merveilleuse mobylette, enjeu de ce concours, permettez-moi de vous offrir, au nom de tous, cet antivol perfectionné qui la préservera des convoitises.
On applaudit. Pinaud écrase des pleurs et bêle des remerciements, il bavoche son émotion, sa joie, sa fierté…
Mais le taulier l’interrompt précipitamment.
— Dites, m’sieur Pinaud ! appelle-t-il depuis le pas de sa porte, elle était bien à vous, la mobylette neuve qui se trouvait au bord du trottoir ?