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Je dévisage longuement mon vis-à-vie et j’hésite entre différentes solutions. La première consiste à lui faire avaler son cigare, la seconde à l’arrêter pour corruption de fonctionnaire et la troisième à empocher l’enveloppe et à filer au Brésil, histoire de voir un peu ce qui s’y passe. La première solution est la plus tentante, la seconde la plus raisonnable, mais c’est cependant la troisième que je choisis. Pourquoi la choisis-je ? Mystère et labyrinthe de la pensée humaine.

En fait, je crois que le cas Martial Vosgien se met à m’intéresser à toute vibure. Ce type qui s’évapore en plein Rio et que ses amis se mettent à chercher avec autant d’acharnement que ses ennemis, je trouve ça passionnant, moi. J’ai la glande flicailleuse qui abondante.

— Je viens de réfléchir, mon bon Machinchouette, fais-je à mon étrange interlocuteur.

— Ah ? fait-il, prudent et confusément inquiet.

— J’accepte un cigare, si vous voulez bien m’en offrir un de nouveau.

Il a son petit sourire évasif et me propose son étui. Je prends un havane dodu comme le ventre d’un charcutier, lui fais un petit massage et l’allume.

— Vous ne m’avez pas donné de réponse, s’inquiète l’ami de Vosgien.

— Je pense que ça marchera lorsque j’aurai apporté quelques modifications à votre contrat.

— Quelles sont-elles ?

— Primo, si je retrouve Martial Vosgien, je ne le remettrai pas davantage à ses amis qu’à ses ennemis. Je me contenterai de lui rendre la liberté s’il est encore vivant pour la mettre à profit, vu ?

L’autre hausse les épaules.

— Le rendre à la liberté, c’est le rendre à ses compagnons, commissaire. Ensuite ?

— En cas de succès, je ne veux pas de prime, c’est pas le genre de ma boutique. En revanche, je souhaite un second billet aller-retour pour Rio.

— Vous l’aurez dans deux heures.

Je réfléchis.

— C’est tout.

— Alors, me dit-il, en avançant une superbe main dont l’auriculaire s’agrémente d’une chevalière, marché conclu ?

— Marché conclu, dis-je sans répondre à sa main tendue. Puis-je vous demander la raison pour laquelle vous prenez le risque de vous adresser à moi ?

— Parce que vous êtes le meilleur flic français actuel. Si le grand patron vous désignait pour cette mission, c’est qu’il le pense aussi.

— Je vous demanderais bien aussi comment vous êtes au parfum de notre conversation, mais je suppose que vous ne me répondriez pas ?

— Exact, commissaire, je ne vous répondrais pas.

J’éventre l’enveloppe d’un coup d’ongle, et je vérifie son contenu.

— Tenez ! fais-je en lui tendant le titre de transport, vous me le rendrez avec l’autre car je tiens à ce que les deux places figurent sur les mêmes vols.

Là-dessus je mets les traveller’s dans ma poche et me lève.

— Je vous dis « merde ! » pour votre mission, murmure l’homme aux cigares.

— Et moi, je vous le dis tout court, réponds-je en regagnant la table où Pinuche a recommencé de charader avec frénésie.

— Qu’est-ce qu’il te voulait, ce type ?

— Un autographe, évasifié-je ; il croit que je suis le plus grand flic de France.

— Laisse-le croire, il s’agit d’un simple malentendu, plaisante cette vieille déconfiture de pomme. Dis voir, je suis aux prises avec la toute dernière. Plus que celle-là et je dois logiquement remporter la timbale : mon premier fait concurrence aux cigognes, mon deuxième mérite d’être cassé, celui qui dirige mon troisième peut douter de son épouse et c’est quand il est vide qu’on aperçoit le mieux mon quatrième.

Pendant qu’il tartine, je mate mon étrange « employeur » occupé à lever le siège. Il ramasse sa monnaie et quitte le restaurant sans me regarder.

— Et mon tout…, marmonne Pinuchet.

Il se tait, constate que j’ai l’esprit ailleurs et proteste :

— Ah ! non ! Tu ne m’écoutes pas. Mon tout est le mets des gens pressés.

— Chou-croûte-gare-nid ! murmuré-je en regardant s’éloigner le pseudo (tout ce qu’il y a de pseudo !) Machinchouette.

— Tu croie ?

— Ben voyons : fait concurrence à la cigognes, c’est chou, à cause des bébés.

— Mais bien sûr !

— Mon deuxième mérite d’être cassé : croûte, parce que c’est agréable de casser la croûte.

— Pardine !

— Celui qui dirige mon troisième peut douter de son épouse : gare, vu que les chefs de gare sont cocue à ce qu’on chante !

— Et comment !

— Et c’est quand il est vide qu’on aperçoit le mieux mon quatrième : nid. Vu que l’hiver, les arbres sont sans feuilles et les nids sans occupants. Pour ce qui est du tout ; le mets des gens pressés, je pense que choucroute garnie correspond parfaitement à cette définition ! Maintenant laisse-moi t’affirmer, Pinuche, que si tu me poses encore une charade, je te fais bouffer ton chapeau, vu ?

— Mais puisque je te dis que c’est la dernière, San-A ! proteste faiblement le Chétif. Je ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui, mais tu as un vrai caractère de cochon !

Peut-être parce qu’aujourd’hui tout le monde s’obstine à me faire dévier du droit chemin, non ? La probité morale est une espèce d’œuvre d’art, mes amie. Quand on a la chance de la posséder, on a horreur que les autres foutent leurs pattes sales dessus !

CHAPITRE III

— Pourrais-je vous voir un instant, monsieur le directeur, cérémonié-je au bigophone.

Il y a un bref silence. Le Dabe a grande envie de m’envoyer chez Plumeau pour me punir. Néanmoins, il accepte d’un bref : « Alors, immédiatement ! » qui foutrait des complexes à un troupeau de gorets. Je m’annonce dans son antre aussi sec. Le Vitrifié de la coiffe s’est composé une attitude de P.D.G. : bras croisée, buste droit, regard fixe, avec les sourcils en visière. Sa rosette étincelle comme le cataphore d’une bicyclette dans le faisceau des phares d’une voiture étrangère[2]. Il a fait bouffer son nœud de cravetouse et tiré sur ses manchettes dont les boutons représentent le buste de la Ve. (Autrefois, quand on parlait de la Cinquième, on pensait à Beethoven.) Ce buste représente une Marianne dont le bonnet phrygien s’orne de deux petites étoiles. C’est un cadeau d’Enhaulieu.

— Qu’avez-vous à me dire ? laisse-t-il tomber du bout des lèvres, comme crotte une chèvre.

— Rien, monsieur le directeur.

Ça lui en bouche un coin large comme une pissotière à huit places. Son œil de lapis-lazuli se délapise et se délazulise rapidos.

— Pardon ? lâche-t-il, comme un énergique employé des postes oblitère une lettre qui lui est tout particulièrement recommandée.

Un véritable coup de tampon dans la frite, ce « pardon ».

— Je voudrais vous demander la permission de fouiller votre bureau, monsieur le directeur, poursuis-je.

C’est trop fort pour sa dignité. Ça le prend au dépourvu, l’Amidonné de la raison sociale. Du coup, il ne sait plus que dire ni que faire. Ça échappe à son self-control. Il avait envisagé tous les cas d’exception, le Tondu : qu’on lui dise merde, qu’on le gifle, qu’on balance une grenade à manche dans son bureau, qu’on lui fasse pipi contre, qu’on renverse une poubelle sur sa moquette, qu’on lui fasse voir son derche, qu’on lui trempe sa rosette dans de l’encre de Chine, qu’on le chine, qu’on entre chez lui sans frapper, qu’on verse du fluide glacial sur son fauteuil, qu’on le déculotte, qu’on démissionne, qu’on lui pète au nez, qu’on lui parle sans faire concorder les temps, qu’on l’appelle Cul-d’œuf, qu’on le fasse asseoir dans de la blanquette de veau, qu’on lui crie « mort aux vaches ! », qu’on moque la République sans être président de la République, qu’on le mette à la retraite, qu’on glisse un munster dans le tiroir de son burlingue, qu’on ne s’essuie pas les pieds avant de passer sa porte, tout vous dis-je ! Il a prévu les brimades et les incongruités les plus raffinées, les impertinences les plus osées, les inconvenances les plus inconvenantes ; et il a étudié pour chacune une attitude, envisagé une sanction. Il se croyait paré, caparaçonné ; en un mot, prêt à tout. Mais il n’avait pas conçu cela, le dirlo. Qu’un de ses subordonnés lui demande la permission de fouiller son cabinet de travail, cette espèce de chapelle Sixtine, ce sanctuaire, ce mausolée, ce P.C., ce Q.G., cette passerelle, cette tour de contrôle, cette salle du Trône, cette Coupole, ce laboratoire, ce Cap Kennedy, ce phare, cette mosquée où le visiteur, grâce à un excès d’indulgence, peut entrer sans se déchausser.

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2

Faut le trouver, hein ? La voiture étrangère, à cause des phares blancs ! Ah ! je vous jure, il y a des moments où je finis par m’admirer ! Le prince de la comparaison, voilà ce que je suis.