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Lorsque je suis revenu, avec Machinchouette, j’ai éludé les questions du Dabe en chiquant au type durement éprouvé par une lutte ardente et noire (c’est le cas de le dire).

— Voici l’homme qui vous espionnait, patron.

— Comment avez-vous su ?

— Une discussion que j’ai surprise au café d’en face, entre lui et… un autre homme m’a mis la puce à l’oreille.

Puis, le prenant à part, je lui ai susurré :

— Verriez-vous un inconvénient à ce que je prenne quelques jours de congé ? Je ne me sens pas très en forme, ces temps-ci ?

Il m’a regardé attentivement, avec intérêt, sympathie même. Je ne sais pas si c’est mon visage barbouillé ou ma prouesse qui l’a impressionné, toujours est-il qu’il a opiné.

— Faites.

— Merci, monsieur le directeur.

Ç’a été tout.

Et maintenant, les gars, un qui chantonne dans son bain, c’est votre adorable San-Antonio. Il se dit que la vie est belle, le commissaire.

S’il savait ce qui l’attend, peut-être bien qu’au lieu de brailler du Jacques Brel il fredonnerait plutôt du Chopin. La Marche funèbre, par exemple !

* * *

Lorsque je débarque au salon, dans un beau peignoir en tissu-éponge vert amande (pour un flic, il devrait plutôt être vert amende)[5], m’man me dit :

— Pendant que tu prenais ton bain, on a apporté ça pour toi.

« Ça », c’est une pochette « Air France » et j’en sais le contenu. Effectivement, la pochette bleue contient deux billets de 1re aller-retour pour Rio de Janeiro.

Félicie qui sait à quoi s’en tenir, demande d’une voix qu’elle s’efforce de rendre indifférente :

— Tu pars en voyage ?

— Yes, m’man. Demain matin.

— Où vas-tu ?

— Au Brésil.

— Mon Dieu ! Si loin ?

— Si loin, ça ne fait que douze heures d’avion, m’man. Rien n’est loin, maintenant.

Je secoue les billets qui ont déjà l’air de vouloir s’envoler.

— D’ailleurs, je n’y vais pas tout seul, ajouté-je.

— M. Bérurier t’accompagne ?

— Non.

— M. Pinaud, alors ?

— Non plus, m’man, je peux bien te le confier, je part avec une femme.

Elle rosit un peu, sourit et fait comme ça, en détournant les yeux :

— C’est un voyage… d’agrément, mon chéri ?

— Fifty-fifty, m’man. Un boulot spécial, mais qui va me permettre de faire un beau voyage avec une femme que j’adore.

Sa roseur s’accentue, devient une vraie rougeur très intense.

— Ah ! c’est bien ! tu ne m’en avais pas parlé. Elle est intéressante, cette personne ?

— Je ne connais personne au monde qui soit plus intéressant qu’elle, m’man. Car c’est toi !

Cette fois, elle pâlit, ma Félicie. Ses beaux yeux doux se mettent à faire des vagues.

— Qu’est-ce que tu racontes, Antoine ?

— La vérité, m’man. J’ai l’occasion de t’offrir un bath voyage aux frais de la princesse, je ne vais pas la rater. Habituellement, quand on part, nous deux, c’est en Normandie ou, au mieux, sur la Côte. Pour une fois qu’on peut aller gambader par-delà les océans…

Elle est étourdie, ma brave vieille. Indécise, aussi. Vaguement épouvantée.

— Le Brésil ! dit-elle, à mon âge !

C’est pas bath comme réflexion ? Le Brésil, à son âge !

— Eh, m’man, joue pas les patriarches c’est pas dans tes emplois. Tu te figures que le Brésil et les avions sont réservés aux jeunes gens ? Chaque fois que je prend un zinc, je me trouve assis à côté d’une vieille Angliche ou d’une douairière amerloque qui pourrait être ta grand-mère, alors fais pas de complexes, je t’en supplie.

Elle hoche la tête, mal convaincue.

— Si loin, je n’ai pas l’habitude, tu comprends !

— Tu vas voir comme tu vas vite la contracter !

Alors, elle a une réaction qui me bouleverse, Félicie. Elle se met à pleurer. Pas des sanglots du genre simagrées, oh ! non. De chouettes larmes émues. Elle me saute au cou, met sa tête sur mon épaule et murmure :

— Comme Dieu est bon avec moi de m’avoir accordé un fils comme toi, Antoine !

M’man, elle est comme ça. Dieu, elle ne le met dans le coup que quand elle est contente ; lorsque tout baigne dans l’huile, elle le remercie. Mais elle se rebiffe jamais contre sa pomme quand ça merdoie dans le landerneau. Au contraire, elle l’implore. Il ne toucherait que des clients comme Félicie, Dieu, il pourrait organiser des référendums, lui aussi, il serait certain de passer à cent pour cent, sans que ses ministres (du culte) fassent la retape au coin des rues et sans être obligé de faire des apparitions lourdesques les veilles de scrutin. Il pourrait laisser croire aux fidèles qu’il est la République, Dieu, et prendre son valet de chambre comme pape de service. Tout est question de foi, comme dans la cirrhose. Le tout, pour réussir dans le mythe, c’est d’avoir un cadre. Certains, comme Jésus, se font clouer dessus, d’autres se montrent à l’intérieur. Quelle différence existe-t-il entre le gibet du Golgotha (mondain) et les tubes cathodiques, apolitiques et gallo-romains des téléviseurs, lorsqu’il s’agit d’impressionner les masses ?

— Laisse le bon Dieu tranquille, m’man, ton fils, tu te l’es tricoté toute seule. Tu sais, on n’a que les enfants qu’on s’est faits. Va préparer tes valises, et emporte du léger, car c’est l’été, là-bas.

Elle s’écarte de moi.

— L’été ?

— Mais oui. Et je vais même te dire autre chose : on va arriver juste pour le Carnaval, avoue que, quand je m’y mets, je fais bien les choses !

CHAPITRE IV

C’est la première fois qu’elle prend l’avion, m’man ; alors fatalement elle a un peu d’appréhension. Quand le car de piste nous amène devant le Boeing, elle marque un temps d’arrêt avant de marcher vers l’appareil. Elle le considère d’un œil incrédule et murmure :

— Tu es sûr que ça peut voler, un monstre pareil ?

— Comme une plume, promets-je. Tu as peur ?

— Oh ! avec toi, de quoi aurais-je peur, mon grand ?

Pourtant elle monte l’escalier métallique comme si elle gravissait les degrés d’un échafaud. Dans son manteau de lainage gris, avec son petit chapeau de feutre traversé d’une épingle à tête noire, elle fait vachement province, ma Félicie. Pas du tout madone des sleepinges ! On dirait une dame de compagnie (de bonne compagnie).

Une bath hôtesse blonde et rieuse nous réceptionne. Elle prend le manteau de ma brave femme de mère, le plie soigneusement et le loge dans le filet. Je laisse le coin hublot à m’man et lui explique comment elle doit attacher sa ceinture.

— Dire que j’ai connu les tramways à impériale ! soupire-t-elle. Seigneur ! ce que le monde va vite !

Quand la sémillante hôtesse nous passe le plateau de bonbons-prédécolleurs, Félicie la remercie chaleureusement.

— C’est très gentil à vous, mademoiselle, vraiment, je ne sais pas si je dois oser !

Je me penche sur m’man et je murmure :

— Oh ! dis, m’man, on n’est pas au thé de la sous-préfète ; c’est la compagnie Air France qui rince. Et tu vas voir, t’as pas fini de recevoir des cadeaux…

Je lui parle d’abondance afin de lui escamoter les affres du décollage. Mais le zinc dépiste sans bavure, dans une chaude ambiance musicale ; et il n’a pas atteint son altitude de croisière que, déjà, le steward se pointe avec du Dom Pérignon seigneurial.

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5

Pas la peine de vous extasier, je vous en trouverai d’autres encore meilleures !