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— Qu’on crève ensemble ou séparément, après tout, qu’est-ce que ça change ?

Lors, l’énergique San-A. dégaine sa rapière et la pointe sur Hamar.

— Si tu es particulièrement pressé d’en terminer, Sirk, dis-le. Je peux t’arranger ta priorité…

Il me regarde, puis, la mâchoire crispée, fait faire un quart de tour à sa monture et nous suit.

Béru a disparu derrière une dune couronnée de rochers. Le nuage blanc qui marque son passage continue de tourniquer dans l’air immobile. Nous escaladons la dune. Et là, mes amis, nous émettons tous les trois un même cri extasié.

À nos pieds s’étend une palmeraie verte comme l’habit et le visage d’un académicien. Le Gros l’a déjà atteinte. Il est dans l’ombre, debout devant une construction de cannisse, et un indigène lui verse à boire.

Dans un galop forcené nous le rejoignons.

— Y a plus de Cinzano, nous annonce-t-il, mais cette anisette n’a pas mauvais goût.

Puis, se tournant vers le taulier.

— Vous me remettrez une tournée générale ! ordonne-t-il.

Ensuite de quoi il vide son godet avec délice et s’approche de Sirk.

Notre prisonnier n’a pas le temps d’esquiver. C’est parti. Une mornifle recto-verso qui décornerait un zébu.

— Pour t’apprendre à être poli, déclare sévèrement le Gros.

Il remet une nouvelle mandale à répétition.

— Et celle-là, pour t’apprendre à avoir plus mieux confiance dans la parole d’un officier de police que dans celle d’un dromadaire aussi abruti que toi, vu ?

J’accorde une demi-journée de repos à mes amis — et ce faisant, je me l’octroie à moi-même. Nous nous trouvons dans la palmeraie d’Ukuh, c’est-à-dire que nous avons dévié de la bonne route. Cela nous obligera à faire quarante kilomètres de plus, mais grâce à ce grand écart, nous avons eu la vie sauve.

Le lendemain de très bonne heure, nous repartons, ragaillardis, avec de l’eau plein nos outres.

Et quatre jours plus tard, harassés mais triomphants, nous sommes en vue d’Aigou.

Aigou, fin de section !

Fin de martyre !

Le désert de la soif ne nous a pas eus. La première partie de l’expédition a réussi.

Brave, San-Antonio !

CHAPITRE VII

Aigou est une ville beaucoup moins grande que New York et beaucoup plus petite que Mantes-la-Jolie puisqu’elle ne comporte que quelques centaines d’habitants entassés dans des maisons de terre séchée. Ces constructions forment une espèce d’amoncellement de cubes blancs car elles s’étagent sur la colline que couronne le palais de l’émir Obolan. La végétation y est assez rare. Les arbres chétifs sont talqués par un sable blanc, plus fin encore que celui du désert.

Notre arrivée a été repérée de très loin, car, à peine sommes-nous en vue de cette cité, qu’une cohorte de gamins hurleurs nous cerne. Ils sont faméliques, en haillons, et nous tendent des mains insistantes.

Je prends Sirk Hamar entre quat’zieux et je lui débite un sermon de mon cru.

— Sirk, le moment est venu pour toi de te montrer à la hauteur. Ton avenir et le nôtre — mais le tien surtout — dépendent de ton comportement. Tu es un gars d’ici. Tu connais les habitants, la langue et les mœurs, par conséquent tu es mon atout number one. Tu vas annoncer à la populace que nous sommes des marchands étrangers venus pour faire du commerce. Et, chaque fois que tu le pourras, tu chercheras à avoir des détails sur l’avion qui s’est posé il y a quelque temps dans la région.

« Demande aussi, mais sans éveiller l’attention, si des Européens séjournent actuellement ici.

Je contemple la horde de mouflets.

— Les gosses peuvent t’être d’un grand secours, remarqué-je. Ils voient tout, sont partout et ne demandent qu’à bavarder…

Sirk opine.

— Je ferai de mon mieux.

Je distribue quelques piécettes aux gamins, ce qui, illico, nous pare d’un prestige fabuleux. Nous faisons dans Aigou une entrée aussi triomphale que celle de Paul VI à Nazareth.

Les distractions sont rarissimes, dans ce pays. C’est pour le coup que mon camarade Aznavour ferait un malheur si ses pérégrinations internationales l’amenaient jusqu’en ce coin reculé où l’attend sans doute un de ses arrière grands-pères.

Nous parvenons sur la place du village. Elle est justement réservée aux nomades, contrairement aux places de nos patelins à nous qui leur sont interdites (au point que les nomades, ne pouvant plus stationner nulle part, deviennent nomades à part entière, comprenez-vous ?)

Il y a un fouillis indescriptible sur cette place. Tellement indescriptible même que je ne vous le décrirai pas. Ça chlingue[4] tellement que si j’avais des boules Quiès, ce n’est pas dans mes portugaises que je me les collerais mais dans mes trous de nez.

La Grand-Place sert de goguenots publics, de tout à l’égout, de dépotoir municipal et de terrain de jeux.

— Plantons notre tente ici ! décrète Sirk.

Nous lui obéissons. La situation est rare, non ? C’est le truand prisonnier qui prend la direction des opérations, à c’t’heure.

La tente est dressée, les dromadaires sont conduits à la fontaine où ils font le plein de leur radiateur. Béru en profite pour demander si, l’hiver on leur met de l’antigel dans leur flotte.

Nous attachons les bêtes à des pieux, ensuite de quoi nous nous mettons à déballer nos marchandises sur des toiles.

La foule s’amasse vite-fait. Y a des vieillards et des vieillardes qui renaudent parce qu’on leur bouche le spectacle. Les messieurs se mettent au premier rang et donnent des coups de poing dans le ventre des dames trop curieuses afin de leur apprendre à garder leurs distances.

— On va drôlement affurer ! annonce Béru. Pas besoin de baron, ici[5] Et il ouvre la malle de fer dans laquelle il a emballé sa marchandise.

Illico il y a panique à bord. Ça renifle affreusement. Du coup, les miasmes de la place font figure de senteurs marines.

La foule des badauds recule. Un nuage de mouches radine en escadrilles serrées. Elles ont tout de suite reniflé des délices, les sagaces. Elles se le téléphonent. Il en arrive de partout, par vagues bourdonnantes. Voraces, elles sont. Et avides de becquetance occidentale. Des bleues, brillantes comme des plumes de jais. Des toutes noires : les lanciers de la mort chez les mouches ! Des grises, des presque rouges pour la parade. Elles ont largué leurs charognes en cours. Un festin exceptionnel qu’il leur amène, le Gravos. Il avait bien fait de coller du sparadrap autour du couvercle de sa malle. Et d’abord, s’agit-il d’une malle ou d’un sarcophage ? Je voudrais savoir. Je lui demande. Il révèle.

— J’ai apporté une denrée dont au sujet de laquelle je suis certain qu’on ne la trouve pas ici, San-A., me déclare l’immonde.

Cette puanteur lui est familière, lui est chère, lui est nécessaire. Elle justifie Béru. Que dis-je : elle l’explique.

L’odeur infernale putride, agressive, calamiteuse ne l’incommode pas. Il en est la matérialisation.

C’est sa maman. C’est son papa. Toute son ascendance bérurienne qu’il a amenée en terre arabe. L’univers du Gros est là, sous nos yeux révulsés, étalé au grand soleil du Kelsaltan.

Il se fait un grand silence. Béru plonge sur la malle béante.

Tout autre que lui s’écroulerait, foudroyé. Lui pas. C’est le Dieu du remugle ! Le souverain fautif de la pestilence ! Le grand prêtre de la sanie !

Il lève une chose ronde et dégoulinante. Elle devient aussitôt noire car la moucherie du patelin à fondu dessus. Bérurier chasse ces impétueuses.

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4

Mot kelsaltipe signifiant « puer ».

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5

Pour les lavedus, je précise que le baron chez les marchands forains, est le compère qui vient acheter en premier afin d’amorcer le client.