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— Des camemberts, fait-il noblement. De véritables camemberts de Normandie. Je les ai choisis pas trop faits pour qu’ils supportent mieux le voyage. Et les voilà à point, ces chéris. Bons pour le service !

Il fait front à la foule, passe une langue torcheuse sur les parois de la boîte, lape, déguste, grume, se gargarise !

À tout hasard, la foule applaudit l’exploit. Ils ont déjà vu des mangeurs de feu, à Aigou, jamais des lécheurs de calandos faisandés.

Béru se tourne vers Sirk.

— Toi, mec, tu vas traduire au futur et à mesure mes paroles.

Puis, à Pinaud :

— Et toi, Lapinus, occupe-toi des mouches. Si on se méfierait pas elles me becqueteraient mon stock avant que j’aie z’eu le temps d’en vendre un.

Il harangue, de sa noble voix de baryton cabossé :

— Messieurs et même mesdames, j’ai l’honneur de vous présenter en exclusivité, un produit de l’élevage français.

« J’ai surnommé le camembert authentique, véritable et pur fruit de Normandie ».

Il prend souffle, laissant à Sirk le temps de traduire sa diatribe. Ce que l’autre accomplit consciencieusement.

— Dommage qu’on n’ait pas un tambour, déplore le Gravos. Il reprend :

— Pour fêter mon arrivée dans votre beau pays, j’offre deux boîtes en prime à çui-là qui m’en achètera une. Je cause pour le premier clille, œuf corse, biscotte j’aurais vite fait, à ce tarif-là, de bouffer ma culotte, ou plutôt, ma gandoura.

Il brandit son calandos de plus en plus coulant, comme un discobole superbe et généreux. On murmure dans l’assistance. Les gars se tâtent à cause de l’odeur.

— Tu l’as dans le baba, résume Pinaud. Les Orientaux n’aiment que le piment ou le sucré, tu sais bien !

Bérurier se fiche en renaud.

— Et si je veux leur apprendre la civilisation, c’est mon droit, non ? Dans les pays arriérés, y a plein de missionnaires qui vont leur brader notre bon Dieu, pourquoi t’est-ce que je leur refilerais pas nos camemberts ? Le bon Dieu, on le voit pas, tandis que le calandos, il existe !

Pinaud entreprend une discussion contradictoire.

— Dieu ! on ne le voit pas, c’est juste, mais chacun le sent ! fait-il.

Du coup, le Furas lui flanque son produit laitier sous le pif, poussant son camarade sur les berges de l’évanouissement.

— Et ça, la Vieillasse, ça ne se sent peut-être pas ?

Puis, se ravisant, il dit à Sirk :

— Passe-moi le sucre en poudre, Mec. On va modifier nos batteries d’épaule.

Sans piger, Hamar obéit. Béru, d’un geste preste décapite la boîte à frometon et ayant soufflé dessus pour disperser les asticots, il arrose le camembert de sucre.

Cela fait, il le dépose sur la toile.

— Maintenant, ordonne-t-il à Sirk, tu vas dire aux gosses que s’ils volent ce camembert, ils auront affaire à moi.

Je ne pige pas très bien sa tactique, lors il me décille les yeux.

— Tu le sais, Gars, comment que Parmentier a imposé la pomme de terre, en France ? Lorsqu’il l’a amenée de je sais-plus-d’où les gens se gaffaient et personne voulait y goûter. Alors il a planté ses patates dans un champ et a fait garder le champ par des militaires habillés en soldats. Pour le coup, ça les a excités, les incrédules, et ils sont venus voler les tuberculeuses. Ils ont trouvé ça fameux et…

Il me pousse du coude.

— Qu’est-ce que je te disais : voilà un lardon qui vient de secouer ma boîte.

Effectivement, un petit môme famélique se sauve tandis que la foule, ravie, rigole à nos dépens.

L’affamé goûte le camembert sucré. Ça lui plaît. Il le dit et la vente démarre. Tout le monde en demande à la fois.

— Combien t’est-ce qu’il faut les vendre ? s’inquiète soudain le Triomphant.

Sirk hoche la tête.

— De mon temps, le rahat-loukoum se vendait deux klitoris pièce, évalue Sirk, mais depuis la découverte du pétrole l’argent s’est réévalué.

— Bon, on va vendre mes camemberts un klitoris, décide le Gros.

— C’est pas cher, affirma notre interprète.

L’argent se met à pleuvoir. On s’organise.

Sirk harangue, Béru puise dans la malle, Pinaud répand le sucre en poudre et j’encaisse l’artiche. Le système Taylor, quoi !

En une heure le Gravos a épuisé son stock. Il ne lui reste plus qu’une douzaine de camemberts qu’il réserve jalousement à sa consommation personnelle.

Grâce à lui, nous avons fait mouche (si j’ose dire) dès notre arrivée. La population nous a adoptés. Ça se voit à tous les sourires que ces braves gens nous font.

— Je vous donne quartier libre ! annoncé-je à mes compères.

Je regarde en direction du palais émirial dont les créneaux immaculés dominent la ville.

— Hamar et moi allons opérer une petite reconnaissance, annoncé-je.

Le dear Pinuche me chuchote dans les trompes.

— Méfie-toi de ce type. Il est prêt à nous claquer dans les doigts à la première occasion.

— Ne te casse pas le chou pour moi, je l’ai à l’œil.

En déhottant, je montre mon camarade tu-tues à Sirk.

— Je n’ôterai pas ma main de sa crosse, lui affirmé-je. Penses-y.

Il a un étrange sourire.

— Ne craignez rien, commissaire. Maintenant, je ne peux plus que jouer votre jeu.

— Pourquoi « maintenant » ?

Il abaisse le capuchon de son burnous très bas sur ses yeux.

— Permettez-moi de ne pas vous répondre, commissaire. Ça vaut mieux.

Je n’insiste pas.

CHAPITRE VIII

Tout est blanc et ocre, ici. Faut reconnaître que c’est batouze. Pourtant je préférerais visiter le patelin dans d’autres conditions. Derrière un guide d’agence, par exemple, bien que mon tempérament indépendant se prête peu aux excursions en groupe.

Malgré ces gens paisibles qui grouillent dans les étroites venelles d’Aigou, je sens peser sur la ville une étrange angoisse.

Cette angoisse, je n’arrive pas à en définir l’origine. N’est-elle perceptible que par moi qui suis venu jouer à Aigou une partie délicate ? Il me semble pourtant qu’elle est ambiante et affecte tous les bipèdes sans exception qui se trouvent dans la capitale de l’émirat.

Nous grimpons, sans mot dire, jusqu’au palais de l’émir Obolan. Au fur et à mesure que nous approchons de la demeure princière, les gardes se font plus nombreux. Avec leur uniforme rose et vert, ils font penser à des soldats d’opérette, mais ils ont été triés sur le volet et leurs tranches sont plutôt rébarbatives. De terribles moustaches noires, cirées comme des bottes de gardes républicains, leur barrent le visage. Les sourcils broussailleux ont la même épaisseur, la même noirceur d’encre de Chine (du reste Aigou est sur le chemin de la Chine) et leurs yeux fauves, quand ils se posent sur nous, semblent faire des trous dans votre gandoura comme en feraient des éclaboussures d’acide.

Ce palais est une merveille d’architecture arabe. Construit sous le règne de Godmishé-le-Frénétique, il semble avoir défié les siècles dans l’éclat de sa blancheur.

Il se dresse au milieu d’un immense jardin à la mauresque, plein de plantes exotiques. Les pétassiés géants, les bitambars à feuillage caduc, les troufignons panachés, les cocacolas glacés, les zémorohydes croisés avec des Intré-de-marrons-d’Indes, les Six-troêns-déesses, les noughas de Mont Thélimar, les sthances assofis doubles, les vermos à calembours approximassifs, les podzobis mirabilis, les toubihornotes toubis à floraison musculaire, les caziés habouteil nains, les conomordicus, les cépamoacépétrus à collerette, les kanons-de-navhâ-rhône à gueule béante, les pompidargeos rayés, les thandeberbères, les bèssetonfrok-kejelvoy et les nimporte-koas composent une floralie digne des mille et une nuits du grand palais de la Défense.