Выбрать главу

Muet d’admiration. Chaviré par les senteurs subtiles et opiacées qui se dégagent de ce paradis terrestre, je m’arrête devant les hautes grilles en or massif qui en défendent l’accès.

— Venez ! m’intime Sirk, on n’a pas le droit de stationner aux abords du palais émirial.

Effectivement, des gardes s’annonçaient déjà dans notre direction. Je fais semblant d’évacuer le sable qui s’est infiltré dans ma babouche pour justifier cet arrêt prohibé.

Juste comme je me relève, j’aperçois, au fond de l’immense jardin, entre les branches d’un grand konar palmé, deux hommes blonds assis à une table sous un parasol.

C’est tellement inattendu dans cette ambiance arabe, ces gars aux tifs couleur de blé mûr[6] que si l’ami Hamar ne m’entraînait pas, je m’arrêterais de nouveau pour mieux voir.

Que font donc deux Européens dans ce palais ?

Je suis formel : il ne s’agit pas des agents français disparus. Le Vieux m’a montré longuement différents agrandissements photographiques des gars que je recherche et je suis certain que ça n’est pas eux que je viens de voir.

Je songe, en redescendant vers la Grand-Place baptisée place des Dromadaires, que pour une première virée dans Aigou, j’ai ramassé déjà un tuyau de première longueur.

Il a bien mijoté son truc, le Big Dabe. Si nous étions arrivés ici en Européens pour descendre au Kursaal Palace, le seul hôtel convenable de tout l’émirat, on nous aurait déjà souhaité la bienvenue avec une lame de ya frottée d’ail pour que les plaies de la blessure ne se referment pas.

Tandis que les humbles marchands que nous sommes ne troublent pas la quiétude bourgeoise des gardes.

En débouchant sur la place, j’avise un rassemblement. Il y a des cris, de la bousculade. Dominant le tumulte, je perçois le bel organe de Béru en pleine bourre.

Mon petit doigt m’annonce que le Gravos a dû débloquer d’une façon ou d’une autre. Vous parlez d’une épidémie, ce gars-là ! J’ai eu tort de l’amener. Dans les opérations en vigueur, il fait merveille car il a un poing de bronze au bout d’un bras de fer, mais dans les enquêtes qui nécessitent plus la ruse du renard que la force du bœuf, c’est plutôt un handicap, le Mahousse. Je préfère le discret, le paisible, le résigné Pinaud.

Nous fendons la foule à coups de coudes. Devant notre tente, Sa Majesté est aux prises avec deux chétifs kelsaltipes dont les fringues sont déjà en lambeaux.

Sirk intervient et questionne les deux malmenés.

Parallèlement, j’interroge Béru.

— Ces ouistitis se sont pointés la main tendue en me baragouinant je ne sais quoi, explique-t-il. Je croyais qu’ils faisaient la mangave, alors je leur ai cloqué une petite aumône, pensant m’en débarrasser. Je t’en fous : ils ont crié plus fort et, comme je leur disais d’écraser, ils ont chopé une de nos malles avec l’intention de rembarquer facile. Tu connais ton Vieux Béru, gars ? Je leur ai causé le langage des poètes de la salle Wagram…

Sirk me touche le bras.

— Vilaine affaire, me dit-il, ce sont les gardes fiscaux. Ils venaient percevoir la taxe de séjour, la taxe locale, et l’impôt direct sur les bénéfices commerciaux.

Loin de calmer le Gravos, la nouvelle attise sa fureur.

— Mais où qu’y faut aller, bon Dieu, pour que le fisc nous lâche un peu ! brame le Mastar. Sirk, reprend-il, dis-z’y leur que les impôts, je les douille au requin de mon arrondissement. Faudrait voir à voir à pas chérer dans les hortensias ! La tasque de séjour ! Tu causes d’un séjour, mon neveu ! Au milieu du dépotoir municipal ! C’est euss qui devraient nous voter une suspension ! Et pour ce qui est de ce qui concerne les bénéfices commerçants, des clous ! Mes calandos, on les a soldés un klitoris pièce. Faudrait voir à regarder à combien est le change, mon pote ! Si ça se trouve, c’est pas du bénef qu’on a fait, mais de la faillite en branche !

— Béneff ! Béneff ! glapissent les deux gardes fiscaux.

Sirk m’explique que le mot en kelsaltipe signifie justement bénéfice.

— Bougez pas ! déclare Bérurier-l’Unique.

Avant que nous ayons eu la possibilité de le retenir, il administre un coup de boule dans la physionomie d’un des gardes et, conjointement, il file une ruade poulinière au second qui chope la babouche de notre compagnon à l’endroit où les marsupiaux rangent leurs gosses, leur mouchoir et leur porte-monnaie.

La foule en liesse pousse des cris d’enthousiasme.

De mémoire d’eunuque, on n’avait pas vu rosser le percepteur dans l’émirat. C’est à marquer d’une pierre noire (puisqu’on est musulman dans le bled, il n’est pas question de croix blanche).

Les deux sbires du Grand financier, comprenant qu’un mauvais parti va leur être fait, prennent leurs babouches d’une main, le pan de leur gandoura de l’autre et se sauvent sans demander leurs dix pour cent de pénalité de retard.

Béru, triomphant, lève ses bras de vainqueur pour un salut de gladiateur. On l’acclame.

— J’ai dans l’idée que tu nous as plongés dans un drôle de bain, soupiré-je. Tu penses bien que ces gars-là vont filer au rapport et que nous allons avoir de graves ennuis d’ici pas longtemps et peut-être avant.

— T’occupe pas, rassure Brutus, y trouveront à qui causer.

— Où est Pinaud ? m’inquiété-je.

— Il est au bistrot du coin. M’est avis que l’anisette lui plaît.

Ce renseignement m’inquiète. Tonnerre de Zeus, tout marchait bien, et voilà que mes deux boy-scouts font des leurs !

Je m’apprête à envoyer chercher Pinaud, mais à cet instant, une vieille jeep peinte en mauve (avec les ailes dorées) s’arrête à quelques mètres de nous, dans un nuage ocre.

Quatre soldats kelsaltipes en descendent, armés de mitraillettes.

Ils accourent jusqu’à nous en hurlant des ordres.

— C’est foutu, soupire Hamar. Vite, les bras en l’air sinon ils vont nous liquider.

J’obéis. Le Gros voudrait jouer à fort Alamo, mais il pige vite que quatre seringues bourrées de dragées contre ses poings velus, c’est là une équation difficile à résoudre.

Alors il fait « Maman-les-petites-marionnettes » comme nous.

Sans ménagement, les troufions nous font grimper à coups de pompes dans les cannes, à bord de leur jeep.

Je sais bien que c’est pas grand, une jeep, et que ce véhicule ne se prête pas particulièrement aux transports en commun, mais, comme nous n’en menons pas large, nous parvenons à nous caser sur le siège arrière. Un soldat se met au volant. Un deuxième se place à genoux sur le siège passager. Et les deux autres grimpent sur les marchepieds.

Comme nous fonçons dans la rue principale, j’avise le père Pinuche sur le pas d’un estaminet. Il a son œil cloaqueux des jours de biture. Il l’ouvre tout grand en apercevant ses valeureux camarades les bras levés dans une voiture empoulaguée.

Nous sommes passés. La silhouette maigrichonne du chétif reste piquée devant le café. On dirait un sarment de vigne.

Elle fait une ombre toute noueuse sur le sol.

CHAPITRE IX

Nous pénétrons dans le palais par une entrée dérobée (Dieu sait à qui) et une porte lourde comme le regret que j’ai de Paris se referme derrière nous.

вернуться

6

Cette image manque d’originalité, mais je veux vous garder en bonne condition mentale pour vous faire avaler les turpitudes qui vont suivre.