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— Ça fait rien, pour des poulets, c’est pas fort de se trouver en cabane !

Sa remarque ne fait sourire qu’Hamar.

Je m’allonge sur un morceau de tapis vermineux. J’ai les flûtes en pâte à chou. Quelque chose glisse le long de ma jambe. Je me penche et j’avise un gros rat triste qui a les moustaches de Pinuche. Il est lourd de toutes les puces qui le traquent, le pauvre minou. C’est ça la vie, y a toujours des petits qui essaient de vivoter sur les plus gros. Lui, le raton, avec ses puces, il se rabat sur moi, et moi sur l’administration (quand j’en ai la possibilité, ce qui n’est présentement pas le cas !).

Et dans tous les domaines c’est du kif. L’univers, c’est un banquet-gigogne, avec des appétits emboîtés.

Je vire le rongeur d’un coup de tatane et, pas contrariant, il va se rabattre sur Béru. C’est un vexant dans son genre, ce rat. Il aurait pu commencer par le Gravos avant de venir me faire des papouilles.

Distrament, Béru caresse l’animal, jusqu’au moment où l’habitant des sous-sols lui mord la main. Le Gros bondit et, le saisissant par la queue (les Yvelines) lui fracasse la frimousse contre le mur. Ensuite de quoi, pour s’en défaire il l’évacue à travers les barreaux.

— Je croyais que c’était le greffier du gardien-chef, dit-il en suçant sa blessure pour, croit-il, la désinfecter.

Mais il n’est pas au bout de ses misères. Le rat assassiné qu’il a viré est allé choir sur la physionomie d’un garde.

Il est pas d’accord, le taulier. Oh ! madame, ce rebecca. Avec un fouet, qu’il s’annonce. Il vitupère :

— Arroua ména kécéczra, ce qui, en kelsaltipe, signifie autre chose, vous le pensez bien !

Et il ponctue sa diatribe en nous virgulant à tout-va des coups de fouets.

Je déteste ça. Prompt comme l’éclair (l’image est rabâchée mais faut bien utiliser le patrimoine linguistique) je me saisis de la lanière et je tire d’un coup sec.

— Arrête ta représentation, Zorro ! je crie.

Le fouet lui échappe des paluches. Maintenant, c’est le gars Bibi qui l’a en pognes, bien décidé à s’en servir. Le garde hurle pour appeler ses potes. Ces messieurs rappliquent, mitraillettes de bas en haut et de gauche à droite. Une forêt de canons perforés s’infiltre entre les barreaux.

— Lâchez ce fouet, me crie Hamar, sinon ils vont nous hacher sur place.

La rage au cœur, j’obéis.

Le garde, protégé par ses acolytes, pénètre dans notre cellotte, ramasse son fouet et effectue une drôle de séance. Il me file une de ces séances de flagellation qui vous déguiserait en zèbre n’importe quel âne blanc. Quand je pense qu’il y a des salingues qui se font fouetter par plaisir ! Qu’ils écrivent de ma part au gardien-chef des prisons d’Aigou, ils seront servis.

On se croirait dans la Rome antique. Je suis en train d’acquérir la psychologie de l’esclave, les gars. D’ici qu’on me mette en vente sur la place du marché, entre les pommes de terre et les bottes de radis, y a pas loin !

Béru en pleure de rage, le pauvre biquet. Quand le gros méchant de père fouettard, fatigué sans doute, m’abandonne, j’ai l’impression qu’on vient de me faire bronzer le dos avec une lampe à souder. Je ne peux plus bouger. Plus respirer. J’ai les cerceaux qui bloquent mes éponges[8] !

Un rire acide me parvient, émis par Sirk Hamar, tout joyce de voir filer la rouste-façon-gladiateur au poulet qui lui a joué un vilain tour.

Il a tort de se marrer à haute voix, si j’ose dire.

Béru est là, pour veiller au standinge de son bien-aimé, de son vénéré San-A.

Sans dire un mot, blanc comme linge (c’est-à-dire violet pâle), il chope Hamar par le colbak, l’amène à vingt centimètres de lui et lui file un coup de boule dans l’écrin à ratiches.

Sirk glaviote une fois encore deux ou trois chailles. Il crache ses crocs comme des pépins d’orange, ce pauvre cher homme depuis que je m’occupe de lui.

Béru le repousse et il s’affale sur son derche, comme la poire mûre qui vient de larguer sa branche[9].

— Jamais se marrer d’un commissaire comme San-A, fait très gravement le mastodonte, jamais… Ou alors…

Puis il se penche sur moi.

— Je te peux quéque chose, gars ? murmure-t-il.

— T’as fait le nécessaire, lui dis-je. Ça va…

— On est peu de choses, hein ? banalise-t-il.

— C’est la vie, lieux-communis-je.

— Elle est bête à pleurer, celle-là, assure Sa Défaillance.

Il essuie ses bons gros lotos d’un revers de manche.

— Ce qui m’a donné à réfléchir, affirme-t-il, c’est la mort de Mac Arthur.

— Qu’est-ce que tu débloques, Gros ?

Il pousse son idée devant lui comme une brouette chargée d’épithètes dépareillées.

— Au début de l’année, quand il est clamsé, les actualités ont fait une introspective de sa vie. Un convalsé, quoi…

Et il déclare :

— Tu le vois, généralissime Wachard, en chemise d’officier et képi, beau comme le cinéma d’Hollywode. L’œil marin, l’air malin sur fond d’Océan Pacifique. Il est victorieux. On l’applaudit. Y a les petits Japs qui agitent des drapeaux amerlocks en chantant « Merci pour Hiroshima, m’sieur Mac, pour une belle bombe, c’était une belle bombe ». Un succès, non ? Et puis les années sont passées, Mac, tu le retrouves en vieux débris, avec les étagères à crayon écartées pour pouvoir soutenir son bitos. Il est tout fripé, tout fané, tout ratatiné. Cramponné au bras d’un poulaga ricain afin d’entrer à l’hosto. Il fait adieu comme il peut. On sent que son chou-fleur, il va pas pouvoir le coltiner plus loin, que, la porte franchie, il va se désaper rondo pour plonger dans le coma. Alors, Mec, quand j’ai maté ces images sur mon Pâté-Maconnerie, je m’ai demandé si ça voulait dire quéque chose, ses prouesses guerrières, au vieux Mac. Tu piges ? Je m’ai dit comme ça : Où qu’elle est la séquence qui donne une vraie idée de l’homme ? Est-ce que c’était où qu’on voyait rentrer dans ses foyers pour jouer à la perge ? Est-ce que c’était celle où qui gagnait la guerre ? Est-ce que c’était celle où qu’on le voyait rentrer dans ses foyers pour jouer à la belote, bourré de médailles et des confetti de Brohadevouet. Ou bien est-ce que c’était justement la dernière, celle qui le montrait au bout de son rouleau, déjà momie, petit vioque en pleine débandade ? Dis-moi !

Je considère mon Gros Bibendum avec intérêt.

Il pense donc, Béru ? Il philosophe même ! Voilà qui est neuf, et réconfortant.

— La bonne séquence, Gros, c’était celle de ses funérailles, parce qu’elle contenait toutes les autres.

Notre conversation élevée (bien qu’elle se déroule dans un cul de basse-fosse) est interrompue par l’arrivée de la patrouille armée. Ces messieurs viennent nous chercher. Nous nous entre-regardons, mes compagnons d’infortune et moi, avec inquiétude.

Est-ce qu’on va nous faire payer la taxe ou nous pendre haut et court ? Ici tout est possible. Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse.

Le caporal dit quelque chose. Sirk fronce les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il y a ? m’informé-je.

— L’émir Obolan veut nous voir, fait-il.

— Ça peut être grave ? demanda la Gonfle.

— Ça peut, oui, soupire Hamar.

Nous remontons l’escadrin salpêtreux. On nous fait arpenter des couloirs et des couloirs. Ça devient de plus en plus bathouze. Maintenant, on circule sur des tapis moelleux comme un marécage.

Et bientôt nous pénétrons dans une pièce un tout petit peu plus petite que la place de la Concorde. Le coup d’œil est féerique. C’est un chatoiement d’étoffes rares, des plats d’or, de meubles bas en bois précieux ! Au centre de la pièce il y a une vasque de porphyre dans laquelle glougloute un jet d’eau.

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8

Je signale aux petites filles modèles qui s’aventureraient dans ces pages que la phrase en question signifie « Que mes côtes compriment mes poumons »…

Ne me remerciez pas, c’est la moindre des choses.

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9

J’aime bien cette image, je la trouve efficace et poétique, c’est pourquoi je m’en sers souvent.