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Béru respire comme une vieille locomotive. Son nez fait un bruit de pompe. Pinuche, la brave Vieillasse, a ouvert tout grand sa bouche, ce qui nous permet d’admirer ses quatorze ultimes chicots jaunis et sa langue avariée.

Le gars Sirk, lui, il a les yeux partout à la fois. Et je dois avouer, toutes belles qui me lisez et qui aimeriez que j’aille vous faire ma démonstration 68 bis, avec suite que je fais comme lui.

Béru résume le sentiment général en demandant à l’émir :

— Dites-voir, mon président, ce cheptel c’est pour votre usage personnel ou si on peut taper dans le tas ?

Question innocente mais qui fait se rembrunir l’émir.

— Étranger, sentence-t-il, les lois de mon émirat précisent que celui qui ose porter la main sur une femme de l’émir, aura l’instrument de sa virilité tranché et sera ensuite empalé.

Le Gravos réprime un frisson.

— Faites escuse, mon émir, bredouille-t-il. Je causais pour savoir, manière de parler.

Ces jolies poulettes, en avisant l’arrivée de leur coq, se précipitent en se bousculant et en caquetant autour de leur bonhomme. C’est à celle qui lui fera le plus beau sourire, la meilleure papouille et la danse du bide la plus suggestive.

— Je sens que si je reste là encore un moment, je finirai pas la journée sans m’asseoir sur un paratonnerre, lamente le Gros. C’est pas humain de nous faire ça, mon émir. J’espère qu’on a au moins droit à se faire les femmes de ménage dans votre chaumière ?

L’émir s’amuse comme un fou. C’est un vicelard dans son genre.

— Vous ne devez toucher à aucune des femmes qui habitent sous mon toit, dit-il.

— Alors faudra nous donner l’adresse de Mme la Baronne, proteste le survolté, autrement sinon je vais pouvoir pêcher au lancer tout en jouant de l’accordéon.

J’ai dit que toutes les femmes de l’émir s’étaient précipitées vers lui. Je dois préciser que l’une d’elles n’a pas bronché. C’est une fille blonde, au visage bruni par le soleil et aux yeux presque mauves. Elle porte une espèce de chasuble blanche, bordée d’or, fendue sur le côté, ce qui permet d’admirer à loisir ses longues jambes admirables. Ses cheveux de lin sont relevés et maintenus par un anneau de diamant. Elle est allongée sur des coussins rouges qui composent l’écrin de ce pur joyau. Immobile, la tête appuyée sur sa main droite, elle nous fixe. Le sphinx ! Si je puis dire, vu l’ambiance. Elle a je ne sais quoi de nostalgie et d’énigmatique, cette souris.

L’émir chasse les autres frémissantes et s’approche de la fille en question.

— Voici Lola, ma favorite ! annonce-t-il.

— C’est gentil pour les autres, déplore le Gravos, lequel louche éperdument sur une mulâtresse au regard de braise dont les flotteurs ressemblent à deux petits canots pneumatiques.

Obolan caresse les cuisses de Lola. Un instant, je me demande s’il ne va pas se la payer devant nous, mais non. Il se contente de promener sa main potelée sur le corps superbe proposé à sa salacité.

La fille regarde Sirk ardemment. Je me dis que mon petit camarade le truand a un ticket avec elle, et je n’ai guère envie de l’en féliciter étant donné les risques que cela implique.

Enfin, après un dernier tour de sérail, nous sortons.

Vachement congestionnés, vos petits camarades, les gars ! On dirait la fanfare de Bagnolet après son récital.

Béru est plus violet qu’un évêque, Pinaud plus pâle qu’une robe de première communiante, Sirk plus pensif que Rodin, et moi plus émoustillé que douze mille étalons bourrés de cantharide.

— Merci pour cette visite, Majesté, fais-je en m’inclinant.

— Votre Sire est trop bon, renchérit Béru, maintenant on n’a plus qu’à aller se pêcher une grenouille dans les bras de votre station balnéaire.

— Non, fait Obolan, vous restez ici. Je vous ai fait préparer des appartements.

J’aime moins ça.

Pourtant, si on y regarde de plus près, c’est une sacrée aubaine car je vais pouvoir étudier mon problème au cœur du palais.

Enfin, comme dit l’autre, ce célèbre inconnu : qui vivra verra.

L’essentiel étant de vivre.

CHAPITRE X

Somptueux, ils sont, les appartements.

Il fait décidément bien les choses, m’sieur Obolan. Ses chambres d’aminches valent celles du Plazza-Athénée. Il y a l’eau chaude, l’eau froide et l’eau de Cologne sur l’évier. Les lits bas sont en satin et tout est « à lavement », selon Béru.

Nous y passons une excellente nuit réparatrice après nous être fortement restaurés. Au menu : mouton rôti aux bananes, haricots rouges au piment et salade de blatchwitz. Le tout arrosé de thé.

Le lendemain, je suis d’une humeur de pucelle lâchée dans le printemps. Je bois un peu de sirop de cactus (l’huile de foie de morue du Kelsaltan) afin de me mettre en condition, je prends un bain à l’extrait de feuilles de roses et puis, pour achever ma beauté, je me rase au moyen d’un rasoir à main qui pourrait servir d’enseigne à un pommadin de village.

Une fois beau comme un milord arabe, je passe voir mes camarades. Sirk est paré. Mais Béru et Pinuche, brisés par la fatigue du long voyage et les émotions de la veille, font un meeting d’aviation à eux deux.

— Viens, ordonné-je à Hamar, on va se baguenauder un peu.

Nous draguons (comme disent les Chinois) dans les magnifiques jardins de l’émir. Je voudrais bien rencontrer les deux mecs blonds aperçus la veille, mais je fais chou blanc.

— Allons en ville, décidé-je alors.

J’ai une légère appréhension en me dirigeant vers la grille. Je me demande dans ma Ford intérieure si Obolan n’a pas donné des ordres pour nous empêcher de sortir. Nous n’aurions, en ce cas, fait que troquer nos culs de basse-fosse pour des cages dorées. J’ai l’impression, soudain, qu’un regard pèse sur mes épaules. Ça fait ça à tout le monde, mais chez moi, le poids d’un regard est une chose qui me fait immédiatement tressaillir.

Je me retourne. À une fenêtre du harem, il y a la favorite d’Obolan, Lola. Elle se tient dans l’embrasure comme une statue. Elle fixe Sirk. Je le lui fais remarquer et il se retourne à son tour.

— J’ai idée que cette nana a des idées polissonnes sur ta personne, Mec.

Ça lui fait hausser les épaules.

— Dites, commissaire, charriez pas, je tiens à mes bijoux de famille !

Nous voici devant la grille du palais. Des gardes montent la faction, l’air sévère avec leur moustache noire, terrible et calamistrée. Personne ne s’oppose à notre sortie.

Ouf !

Nous musardons un moment dans Aigou. Une certaine agitation règne dans les rues. On voit des camions de l’armée chargés de soldats munis de pelles passer dans un concert inutile de klaxons.

Inutile, car personne ne songe à leur chicaner la priorité.

Nous atteignons la haute ville et débouchons, Sirk et moi, sur la place de la mosquée de Kelbodar, le Saint-Sulpice d’Aigou. On y jouit d’une vue étonnante. À nos pieds, le désert s’étend sur des kilomètres et des kilomètres, pour ne pas dire plus.