Le sable, le sable, le sable ! Et puis le ciel, presque de la même couleur blanchâtre… Et la chaleur torride !
Un vertige !
— Qu’est-ce qu’ils fabriquent ? murmure Sirk qui regarde dans la direction opposée à celle que j’admire présentement. Je le rejoins. À environ deux kilomètres sept-cent cinquante de là, j’aperçois un fourmillement de soldats et des camions arrêtés…
— Ils vont peut-être construire une maison de la radio et de la télé, ricané-je.
Mais le boulot effectué par les gars en uniforme est pour le moins bizarre et ne procède pas de la construction. Ils œuvrent dans un très vaste quadrilatère entouré de barbelés. À l’intérieur dudit quadrilatère, le terrain est quadrillé à l’aide de rubans tendus sur des piquets.
— Renseigne-toi auprès d’un passant, ordonné-je.
Sirk m’obéit. Je le vois s’approcher d’un vieillard chenu et plus barbu qu’une tomme de Savoie oubliée dans un cellier.
Il revient au bout d’un instant.
— Il ignore ce que font les soldats. Tout ce qu’il a pu m’apprendre, c’est qu’un avion a atterri ici il y a quelque temps.
Je bondis.
— J’ai pigé, mon pote ! Ils sont en train de rechercher quelque chose dans le sable. Quelque chose qui ne doit pas être gros car ils passent le terrain au tamis, centimètre carré par centimètre carré. C’est pour se repérer qu’ils l’ont découpé en carré. Ils font chaque carré minutieusement, comme un chercheur d’or pour traquer les pépites…
Je me mets à gamberger, mais sous le soleil qui cogne sur nos nuques comme Guignol sur le gendarme, cette méditation solaire ne donne rien de bon.
Nous allons musarder du côté des fouilles. De loin je m’aperçois que des sentinelles espacées devant l’entrée de ce curieux camp en interdisent l’accès.
Inutile d’essuyer un refus et de nous faire repérer. Je rebrousse chemin, toujours escorté de Sirk Hamar.
Comme nous allons rentrer dans la ville, une jeep nous dépasse, elle arrive du camp. Je tressaille en apercevant à son bord les deux gars blonds de la veille. Ils portent des chemises kaki et des casquettes plates en toile verte. Ils discutent avec une certaine véhémence.
— Je me demande bien qui sont ces Occidentaux, murmuré-je ?
Ma question n’obtient pas de réponse. Accablés par la chaleur, nous préférons rentrer au palais.
Dans le jardin, Béru et Pinuche font les jolis cœurs en adressant des baisers goulus, du bout de leurs doigts aux dames du harem.
— Vous êtes complètement siphonnés ! m’alarmé-je.
— Ben quoi, fit Béru, on les touche pas, on se contente de filtrer un chouia, y a pas de mal.
— Avec un hôte comme nous en avons un, c’est d’une folle témérité.
— J’ai un jeton monumental avec la demi-négresse, m’avertit Sa Majesté. J’ai jamais vu des roploplos comme elle a, jamais ! Ma Berthe, que pourtant je peux dire que de ce point de vue elle a pas le style planche à laver, peut pas concourir avec cette demoiselle. Ah ! misère, si seulement il aurait la bonne idée d’aller chasser le chevreuil en Allemagne ou de faire une croisière en Méditerranée, le monarque, tu verrais comment que j’y causerais de Paname, à cette petite miss café-au-lait !
Il fait miauler un dernier baiser dans l’air déjà embrasé.
— Ah ! ma gosse, lui crie-t-il, tu sais pas ce que tu perds. C’est pas ton julot en copropriété qui te fera jamais connaître la grande séance pâmante.
Tandis que je l’éloigne, il commente :
— Même si c’est une épée de plumard, ton Obolan, c’est pas possible qu’il fournisse de l’extase à toute sa volière, soyons juste ! Ces dames doivent prendre des numéros d’appel pour la séance de lissage de plumes. Admettons qu’il s’en bricole trois par jour, même pour un superman du slip Éminence, c’est la moyenne maxi, non ? Conclusion, y a chaque noye une tripotée de pauvrettes qui sont obligées de se faire un solo de mandoline avant de s’endormir. Moi, ça me fend l’âme, surtout quand on pense que c’est du cheptel trié sur le volet…
Il poursuit longtemps encore ses lamentations tandis que nous dégustons l’ombre odorante d’un Bornibus-Amora en fleurs extra-fortes sur la pelouse.
Ayant trop parlé, le Mahousse a soif.
C’est pour lui un nouveau motif de râlage. La picolanche à Aigou, c’est le régime aqueux. Cette complète absence de picrate, ça le déprime, mon Nounours. On lui indiquerait une succursales des vins du Postillon qu’il nous dirait « Bonsoir les petits ».
En soupirant, il s’approche d’un robinet et l’actionne.
Je pousse Finaud du coude.
— Mate la grimace qu’il va faire, lui qui a une sainte horreur de la flotte.
Mais je l’ai in the bab’. Voilà mon Gravos qui écluse à grands traits ! Il est irrassasiable. Et le plus fort, c’est qu’il semble y prendre goût !
Lorsqu’il a terminé, gavé, il se redresse et, s’essuyant les lèvres d’un revers de gandoura, il affirme en nous virgulant un clin d’œil :
— C’est pas de la flotte, les gars. C’est de la gnole ! Ah ! Ils sont futés dans leur genre, vos Arbis ! Pas bête, le robinet en plein air. Mine de rien on fait semblant de se rafraîchir et…
Il n’a pas plutôt achevé que la Vieillasse a déjà son long nez sous le robinet. À peine a-t-il tourné celui-ci qu’il se met à cracher en hoquetant comme un qui a des démêlés avec son estomac.
Je mets un doigt sous le jet impétueux et je goûte.
— Mais c’est le robinet de pétrole ! m’écriai-je.
— Tu crois ? soupire le Gros.
Il fait claquer sa menteuse, et, ayant de ce fait mis en émoi ses papilles gustatives, finit par admettre que j’ai raison.
— J’ai bien cru que c’était de la gnole, s’excuse l’ignoble. Sur le moment, on peut se gourer. D’accord, c’est pas très fameux, mais je vais vous dire, ça change d’avec cette cochonnerie de thé dont au sujet duquel j’ai toujours l’impression de boire des tisanes.
Nous ne voyons pas Obolan de la matinée. À midi, nous avons droit à un copieux déjeuner, composé d’oreilles de chacals à la pâte de dattes, de courgettes fourrées aux fourmis rouges et de miel au sucre en poudre. Après quoi l’heure de la sieste nous neutralise pour un temps. Entre deux et quatre de l’après-midi, tout le monde roupille, à Aigou. Les grands et les petits, les hommes et les femmes. Les factionnaires du palais s’appuient sur leur fusil et n’ont qu’un œil entrouvert. Le gars moi-même profite de cette léthargie générale pour aller se promener dans les couloirs. Je musarde lentement, en adoptant l’allure somnambulesque du monsieur qui a une crise de foie et qui se rend à son armoire à pharmacie.
Parvenu au bout de l’aile gauche, j’entends un ronron de conversation. Ce qui me titille les trompes d’eustache, c’est le fait que la langue employée n’est pas du kelsaltipe. Je ne la comprends pas, mais elle me dit quelque chose. Ses sonorités me sont quasi familières.
Je tends un peu les manettes, et je ferme les yeux pour mieux me concentrer. Ça y est, c’est pigé : du russe, mes chéries.
Je me trouve devant les appartements des deux hommes blonds. Oh ! mais alors, voilà qui ne manque pas d’intérêt.
Je me tire sur la pointe des pinceaux et c’est dehors, à l’ombre d’un parabellum-rarissima que je fais le point of the situation. En somme, si j’avais la possibilité de faire au Vieux un premier rapport, je lui dirais que deux Russes sont au palais de l’émir Obolan et qu’ils dirigent de minutieuses recherches à l’endroit où l’avion de la Trans-Lucide se posa. Que recherchent-ils ? That is the question.