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L’homme est en train de graisser un revolver gros comme une bombarde. Il fredonne une mélopée.

— C’est lui qui a les clés, me chuchote Lola. Et il y a deux autres gardes dans une pièce voisine.

Problème épineux. Que faire ?

Si je me mets à casser la cabane avant d’avoir assuré nos arrières, je risque fort de me faire bloquer dans une impasse. D’un autre côté, il est indispensable que je communique avec les prisonniers. Alors ?

— Tu parles kelsaltipe, chérie ? je demande à la souris.

— Couramment !

— C’est vrai que tu es douée pour les langues.

Je dégaine le pistolet et le coule entre les barreaux.

— Tu vas appeler l’homme à voix basse et lui dire de venir ouvrir, sans qu’il fasse le méchant, O.K. ?

— S’il appelle ? objecte la belle messaline.

— Il n’appellera pas deux fois. À ces profondeurs et avec le boucan qu’il y a dans le jardin, le bruit d’une détonation passerait inaperçu.

Elle est prête à tout, Lola. Pour une fille soumise, c’est une fille soumise.

— Hé ! Houssékonsmé poûrsbékoté ! fait-elle.

Le garde cesse de chanter, lève la tête, nous voit, se dresse, empoté avec son revolver démonté. Il doit regretter d’avoir choisi ce moment pour lui faire sa toilette intime à son pétard.

— Féfissa ! lui lance Lola.

Il regarde en direction de la pièce où se tiennent ses potes. J’ai un petit mouvement du pistolet très opportun. Le gars, c’est pas le chevalier Bayard. Il s’approche jusqu’à la grille.

— Dis-lui qu’il lève les bras et chope la clé de la tirelire dans sa poche, beauté !

Elle exécute docilement mes ordres. Nous voici dans la place. D’un hochement de tranche, je signifie au Gros de s’occuper du garde. C’est pas au vainqueur de Tranche-Montagne qu’il faut faire un dessin pour lui apprendre la façon de mettre un zig K.O. en douceur.

Il l’étale d’une manchette en pleine glotte. De sa main libre, il le rattrape afin de freiner sa chute. Avant de le déposer à terre, il lui place un petit crochet sec comme un biscuit à la pointe du menton. Je connais la dose de Béru. Cette anesthésie va chercher dans les dix minutes.

— Surveille le type et la lourde, chuchoté-je dans la feuille de la Vieillasse. S’il y a du pet, tousse.

Silencieux comme l’ombre d’un sourd-muet sur du velours, je me dirige vers la porte de droite. J’entends parler à l’intérieur.

— À nous deux de faire, Mec, dis-je au Gros. On les cueille à la surprise. Je délourde brutal et chacun prend le sien, correct ?

— C’est parti.

Aussitôt dit, aussitôt fait. D’un coup de tatane, je virgule la porte. Nous découvrons un large couloir sur lequel s’ouvrent des cellules semblables à celles que nous occupâmes lors de notre arrivée chez Obolan.

Deux bonshommes jouent au troufignard-borduré en buvant du sirop dévogecazé. Leurs mitraillettes sont posées sur la table, près de leurs tasses.

Ils sont vifs. Notre brutale intrusion les paralyse deux secondes seulement. Les voilà qui empoignent leurs pétoires.

Le drame, comprenez-vous, c’est qu’ils sont à l’autre bout du fameux couloir et que nous avons une dizaine de mètres à faire avant de les atteindre. Je pige illico qu’on arrivera sur eux juste à temps pour morfler une giclée de dragées brûlantes dans le placard. Alors j’applique la jouvence extrême. Pas celle de l’abbé Souris, l’autre : celle du révérend Pan-pan.

Deux balles : deux défunts ! Je les ai dotés l’un et l’autre d’un troisième œil. À propos de troisième œil, ça me fait penser à l’histoire de la maîtresse d’école qui demandait à ses élèves s’ils aimeraient avoir un troisième œil et si oui, où ils souhaiteraient l’avoir. Le premier le voulait derrière la tête pour surveiller ses arrières, le deuxième le voulait à la plante de ses pieds pour mater les embûches du chemin, et le troisième rêvait de l’avoir au bout du zizi-à-coulisse, afin de pouvoir le passer à travers la haie pour suivre en douce les matches de football le dimanche. À part ça, qu’est-ce que je voulais dire ? Oh ! oui : les gardes. Ils sont morts.

Béru, qui avait déjà pris de l’élan, culbute leurs carcasses et s’étale sur le sol.

Il se relève en sacrant comme à Reims. L’endroit est mal éclairé par deux lampes à huile (le Sieur vous les offre). Je regarde dans les cellules. Elles sont au nombre de quatre. Deux seulement sont occupées.

Dans la première, il y a un type barbu, hirsute, blême, exsangue, pouilleux, crasseux… Qu’est-ce que je pourrais ajouter encore ? Il a d’immenses yeux fiévreux, ses lèvres sont retroussées sur des dents de tête de mort. Il est affalé sur le sol dans l’attitude d’un mendiant qui connaît son métier et qui vous chatouille la glande à pitié de doigt de maître.

Je m’approche.

— Vous êtes S 04 H2 ? je lui demande, croyant reconnaître dans ce fantôme l’un des agents disparus.

— Un Français, bredouille-t-il d’une voix d’hypnose.

Je mate dans la seconde cellule et mon cœur me grimpe sur la langue. Le deuxième mec des Services est cloué nu sur une croix de Saint-André. Il me paraît mort. On l’a écorché vif. Vous entendez bien ? Il a été dépecé. On voit ses organes comme sur une planche d’anatomie.

Lola, qui nous a rejoints, tourne de l’œil. Béru se penche pour vomir. C’est pas soutenable, un spectacle pareil !

— Ah ! les ordures ! je lamente. Ah ! les misérables ! Cherche les clés des cellotes, Gros. Et fais vite.

Béru en a les larmes aux gobilles. Il se ramène avec les ouvre-boîtes demandés. Une affreuse odeur s’exhale de la seconde cellule. Des débris humains jonchent le sol. Je m’approche du supplicié. Le cœur bat encore. Il est évanoui. Je lève mon revolver et, comme dans un cauchemar, je presse la détente. La balle lui a ravagé la tête, seule partie de son pauvre corps qui soit demeurée intacte.

— On ne pouvait rien d’autre pour lui, dis-je au Gros.

Maintenant, il nous reste à délivrer le premier. Nous sommes obligés de le porter. Il a des plaies aux pieds et aux mains, de vilaines brûlures qui suppurent.

Quand je dis que nous le délivrons, le terme est excessif. Où aller ? Que faire ? De quel moyen de fuite disposons-nous ?

Il est d’une faiblesse extrême, S 04 H2.

— J’ai soif, gémit-il, ça fait quatre jours que je n’ai pas eu la moindre goutte d’eau.

Je lui tends la carafe de sirop des gardes et il boit à longs traits.

Pendant ce temps, au milieu de mon carnage, je gamberge vivement.

La seconde partie de ma mission est remplie : j’ai retrouvé (et délivré) les deux agents français disparus. À la troisième, maintenant : les ramener à Paris. Pour ce qui est du second, il n’en est bien entendu pas question. Mais le premier est vivant…

— Qui êtes-vous ? balbutie-t-il.

— Commissaire San-Antonio.

— Merci…

— Vous me remercierez plus tard, si nous parvenons à nous sortir de ce merdier. Les gardes sont relevés tous les combien ?

— Toutes les huit heures.

— Il y a longtemps que ceux-là avaient pris leur service ?

— Non.

— Et les types blonds, ils viennent souvent vous harceler ?

— Ça fait deux jours que je ne les ai pas vus.

— Parfait.

Ma décision est prise.

— Béru, ligotez le garde de rentrée et foutez-le dans une des cellules. Remuez-vous !

Je m’adresse à Lola :

— Tu as aperçu les deux Ruskoffs, aujourd’hui ?

— Oui, fait-elle, ils partaient à bord de leur jeep.