Ils s’en tamponnent la faucille, des réjouissances, les blondinets. Au charbon !
— Nous avons notre petite chance, fais-je. Pour peu que nous puissions disposer de quelques heures, ça collera.
Nous remontons précautionneusement après avoir bouclé la porte de fer.
— Toi, Lola, fais-je, tu vas regagner ta base. Maintenant, il faut attendre la nuit pour agir. Nous allons planquer le prisonnier dans nos appartements tandis que je m’occuperai d’organiser la croisière du retour.
— Ne me laisse pas, implore-t-elle. Si tu partais sans moi, je me tuerais !
— Sois sans crainte, je tiens toujours mes promesses.
Là-dessus, je dis au revoir à cette précieuse camarade de sommier et je regagne ma piaule avec S 04 H2, lequel se prénomme Gérard.
Il est guère vaillant, le frère. Béru joue les infirmiers bénévoles tandis qu’au-dehors, Sirk Hamar joue les bénévoles en faisant disparaître des colombes. Béru trempe les plaies de Gérard dans un vase d’huile et les lui bande avec des morceaux de drap découpé en lanières. Pinaud va lui chercher à bouffer. On se le colmate, le pauvre. Il nous raconte son odyssée d’une pauvre voix fragile. L’avion qui les ramenait de Pékin, son camarade et lui, s’est donc posé dans le désert. Des cavaliers sont arrivés, qui les ont proprement neutralisés sans que les autres passagers de l’avion s’en aperçoivent. Certains créaient une diversion en faisant une fantasia tandis que les kidnappeurs agissaient. On les a ensuite amenés au palais et jetés en prison. Quelques heures plus tard, les deux hommes blonds sont arrivés. Fouille minutieuse ! Puis la torture pour leur faire dire où se trouvaient les documents qu’ils étaient chargés de convoyer.
— J’ai tenu bon, murmure Gérard. Ils m’ont brûlé les pieds et les mains avec un chalumeau. Puis ils ont semblé se désintéresser de moi pour se consacrer à mon ami. Ludovic leur a dit que les documents se trouvaient à l’état de microfilms dans une pièce truquée. Et que cette pièce, au moment de notre capture, il l’avait laissée tomber dans le sable.
Je pige maintenant les raisons de ces travaux sur remplacement de l’atterrissage. Les Ruskis cherchent la pièce. Voilà pourquoi ils ont quadrillé le terrain et le passent au crible.
— Qu’est-ce qu’on fiche ? s’inquiète Béru qui a vécu en silence les différentes phases de ce coup de main.
— Il faut que je lance un message-radio, décidé-je. Si le Vieux ne nous fait pas envoyer un zinc pour nous récupérer, nous sommes flambés. Il n’est pas question de se farcir quatre ou cinq jours de galopade dans le désert avec ce blessé. D’ailleurs, où sont passés nos dromadaires, à cette heure ? Tu penses bien qu’on nous les a chouravés depuis longtemps.
J’écarte la pile de coussins composant mon lit.
— Gérard, vous allez vous allonger ici. Nous vous recouvrirons de coussins en les empilant de façon à vous ménager une aération.
« Et vous ne remuerez pas le petit doigt jusqu’à ce que nous soyons de retour. Compris ?
Il est d’accord. C’est un homme au bout du rouleau, grelottant de fièvre et de souffrance.
Lorsque nous l’avons planqué, je me tourne vers les camarades syndiqués qui m’escortent.
— Pinaud, j’espère que le gars Sirk a fini ses passes, va le récupérer, on vous attend, le Gros et moi, à la sortie du palais.
Comme vous le voyez, mes bons amis, c’est le branle-bas de combat. Je suis le commandant dans la tempête. Une demi-douzaine d’existences (dont la mienne) sont entre les mains de mon esprit d’initiative, comme l’eût écrit Ponton du Sérail. Faut donc faire gaffe, faire vite, et faire juste !
Pinaud, flanqué de Sirk Hamar, se ramène. Je me dis qu’après tout, nous n’avons pas besoin d’être quatre pour faire ce que j’ai envie de faire et j’ordonne à Béru de rester au palais pour s’assurer que rien ne cloche. En ce moment, la fête bat son plein. La musique de la garde imanienne joue une marche kelsaltipe : Oui, oui, je sens bien que tu aimes l’émir sur un air adapté du folklore étatsunien.
— Si par hasard il y avait du pet, Gros, essaie de t’en sortir et de venir donner l’alerte, nous serons sur la hauteur.
— Tâchez moyen z’aussi d’être à la hauteur, pouffe le Patapouf.
Telle est bien mon intention.
CHAPITRE XIII
Le centre des communications radiophoniques d’Aigou est une bâtisse carrée, blanche comme neige, et qui ressemble un peu à un blockhaus.
Derrière les fenêtres munies de grilles, les visages joyeux des employés se pressent pour essayer d’apercevoir des bribes de la fête dans les jardins du palais.
La sentinelle somnole dans la chaleur, appuyée contre la lourde.
D’un coup d’œil, l’infaillible, le prodigieux, l’extraordinaire San-Antonio[13] a évalué la topographie, les pions, l’ouverture.
— Allons sur la face de la maison qui ne comporte pas de fenêtres, ordonné-je.
Une fois là, j’explique mon idée aux deux autres :
— Je vais faire semblant de me bagarrer avec Pinaud. Toi, Sirk, tu vas foncer chercher la sentinelle en disant que deux hommes sont en train de s’étriper. Si, comme je l’espère, le gars accourt, tu lui feras le coup du lapin derrière la tranche, vu ? Pour un prestidigitateur chevronné, c’est tout indiqué.
Nous nous étalons dans la poussière, la Vieillasse et moi, et nous faisons semblant de nous étrangler. Sirk contourne la crèche pour crier ce que je lui ai dit de crier.
Voyez-vous, bande de navets flétris, la vie appartient aux psychologues. Quand on prévoit les réactions de ses semblables, on est assuré de toujours les biaiser en canard.
La sentinelle contourne le bâtiment et nous regarde frétiller en se marrant. Enfin, il se penche sur nous pour nous séparer à coups de crosse de fusil.
Sirk, qui connaît son métier, lui place un coup de goumi de ses deux mains croisées. L’autre ne dit rien, mais n’en pense pas moins, et se hâte de déguster la poussière.
— Allez, les mecs, fais-je en bondissant. Au turf, y a urgence.
Comme nous parvenons à la porte, celle-ci s’ouvre et deux employés qui radinaient pour assister à la castagne annoncée à l’extérieur, se trouvent nez à nez avec le canon de mon revolver et avec celui du fusil dont Pinaud s’est emparé.
— Pour la suite du rodéo, restons à l’ombre ! ricané-je en leur poussant l’index de mon tu-tues dans la tripaille.
Ils font ce que font les hommes de toutes les latitudes en pareille circonstance : ils lèvent leurs jolis bras sans muscles.
— Sirk, amène la sentinelle à l’intérieur, je voudrais pas qu’elle chope une insolation.
— C’est déjà fait, se marre Hamar.
— Rentre-la tout de même, pour si des fois un passant passait comme font la plupart des passants.
La salle des messages, c’est la première à droite en entrant.
Je m’y propulse et je m’assieds devant l’appareil émetteur.
— Garde ces bédouins au frais pendant que je fonctionne, Pinuche.
Là-dessus je me repère dans l’appareillage du Centre. Chose curieuse, vu le patelin, il n’est pas trop archaïque. Je mets le contacteur à valve, je branche le pelliculaire-convalescent, je glotemuche le pénétrateur à ondes gondolées et j’y vais de ma chansonnette.
— Allô ! Sana appelle Duralex-Sedlex…
Mon organe fait le grand écart dans le ciel brûlant d’Arabie. Il enjambe les déserts et va se poser dans l’esgourde du correspondant d’Aden, ou d’un de ses collaborateurs.
13
Je me le dis parfois avec assez de verve. Mais je prélèverais que d’autres me le servent… Car c’est fatigant de se passer toujours la brosse à reluire.