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— Duralex-Sedlex écoute…

— Avez-vous possibilité fréter d’urgence avion pour prendre six passagers à Aigou ?

— Allons faire le nécessaire.

— Dans combien de temps l’appareil peut-il se poser à Aigou ?

Un silence. On sent que le correspondant se livre à un calcul rapide.

— D’ici cinq heures environ.

Je dis au copain de faire au plus vite, vu que nous bivouaquons en ce moment sur une plaque chauffante. Je lui demande de prévenir le Vieux que les agents sont retrouvés, qu’un seul est en vie et que les documents ne sont toujours pas en possession des autres ! L’avion devra se poser à environ deux kilomètres à l’est d’Aigou, derrière une petite dune. Le camarade d’Aden répond O.K. et je le laisse vaquer à ses occupations.

— Maintenant, enfermons ces gaillards dans un coin tranquille afin qu’ils ne puissent pas donner l’alarme ! ordonné-je. Il nous faut cinq heures de tranquillité.

Tout à fait entre nous et la Foire du Trône, je ne suis pas très optimiste. Parce que je ne sais pas si vous vous rendez compte de la situation, mes chéries, mais j’accumule les périls à une vitesse grand C. Les prisons secrètes, avec des gardes morts ou entravés ; le prisonnier évadé dans ma chambre, et maintenant, le centre de transmission neutralisé, ça fait un peu beaucoup. Si nous parvenons à faire encore illusion pendant cinq heures après ce festival Tintin, c’est que notre bonne étoile se plait sous le ciel d’Arabie.

Une fois la sentinelle et les préposés ficelés et bâillonnés dans un hangar où sont rassemblées les ondes défectueuses, je donne le signal du retour.

La fiesta est en train de s’achever. Les invités d’Obolan procèdent à la cérémonie des cadeaux. L’iman lui a apporté une négresse-sport à injection directe, amortisseurs spéciaux, capot profilé et refroidissement par éventail incorporé. Un autre émir lui fait présent d’un petit caïman qui offre la particularité de ne se nourrir que de petites filles prénommées Odile, un autre lui remet une trousse à castrer en argent massif de chez Zermès, un troisième émir lui donne un bonjour d’Alfred de l’époque Byzantine, conservé dans du formol, et le quatrième lui fait cadeau d’un petit enfant de harem eunuque qui a remporté le premier prix de Mysoginie au dernier trimestre et qui a obtenu son B.E.P.C.[14]

Obolan, ému, remercie ses rois mages fastueux. Il offre un thé d’honneur.

Je cherche Bérurier du regard, mais ne l’apercevant pas, j’en déduis que le Valeureux tient compagnie à S 04 H2. Nous fonçons vers nos appartements. Ma décision est prise : il s’agit de les mettre en loucedé. Je préfère me planquer dans les environs en attendant notre coucou plutôt que de me mijoter un infarctus au palais.

Je pénètre dans ma piaule, avec, sur les talons, mes deux assistants, je suis très content de Sirk, voyez-vous. C’est un gars efficace, une fois qu’il n’a plus la possibilité de vous blouser. C’est courant. Combien de gens ne sont honnêtes que parce qu’ils ont les moyens de l’être !

À peine ai-je mis le pied dans ma carrée que mes veines se vident comme si elles étaient pleines d’éther.

L’agent que nous avons délivré n’est plus sous les coussins. Il est agenouillé, les mains liées dans le dos. Assis sur des tabourets, les deux Russes blonds attendent, en fumant d’horribles et pestilentielles cigarettes. Ils ont l’un comme l’autre un pistolet mitrailleur sur les genoux. Je n’ai pas le temps de tenter quelque chose, fût-ce ma chance à la Loterie Nationale. Les deux canons d’acier bleui nous dévisagent déjà de leur petit œil sévère. Je vous jure que c’est intimidant.

D’un mouvement de tête, l’un des blondinets nous fait signe d’avancer.

Nous avançons. Un joli morceau de moment s’écoule, non homologué par Lip. Personne ne parle. Nous nous dévisageons seulement et chacun classe ses pensées par paquets de quatre, histoire de clarifier un peu la conjoncture.

C’est l’impertinent San-A. qui met fin à la grève des glandes salivaires :

— Alors, les gars, fais-je, on se fait cuire une soupe ou bien on se lave les pieds ?

C’est pas du Bergson, en fait d’interpellation, mais ça dit bien ce que ça ne veut pas dire. Le charme est brusquement rompu, si on pouvait appeler charme la tension qui nous muselait.

Le plus âgé des deux Popofs s’amène vers moi, un léger sourire aux lèvres.

Il n’est pas antipathique, ce grand garçon à l’air suave. On dirait un étudiant attardé. Le genre de gars qui est plein de bonne volonté mais qui loupe ses examens parce qu’il lui manque trois grammes de phosphore.

— Vous êtes français ? fait-il.

— Par le mari de ma mère, oui. À qui ai-je l’honneur ?

Il oublie ma question et poursuit :

— Deuxième bureau ?

— À gauche en sortant de l’ascenseur !

Je n’ai pas le temps de laisser mon sourire s’épanouir. Il vient de me balancer un coup de crosse dans les chailles et mes lèvres tuméfiées me semblent soudain épaisses comme celles d’un hippopotame.

On dirait que ça se gâte.

On dirait même que c’est complètement gâté, mes loutes.

Pinaud fait une mine de drapeau mouillé, Sirk, quant à lui, considère l’infaillible San-A. d’un œil critique et désabusé.

Le Russe qui m’a frappé dit un mot à son compagnon. Ce dernier lui tend son pistolet mitrailleur. Lors, nanti des deux armes, mon dilatateur de lèvres grimpe sur un tabouret afin de nous tenir tous en respect plus aisément. Pendant ce temps, l’autre nous fait placer à genoux et nous attache les poignets dans le dos, comme il l’a fait avec Gérard. Nous avons l’air de fidèles en prières, ou de suppliciés attendant que la hache du bourreau s’abatte sur leur nuque.

Sur le moment, je me demande pourquoi ils se livrent à cette séance dans ma chambre alors que des prisons secrètes sont disponibles, avec la panoplie du parfait inquisiteur. Mais je crois piger : ils attendent le retour du Gros. Ils savent que nous sommes quatre et ils veulent tous nous cueillir sans bavure. Ils se méfient des indigènes et mènent leur petite affaire tous seuls. Sans doute redoutent-ils qu’on alerte notre ami et qu’il parvienne à leur échapper ?

Effectivement, une fois que nous sommes agenouillés en rond au milieu de la pièce, les deux hommes continuent d’attendre.

J’ai beau taquiner mes cellules grises, je n’arrive pas à les porter à l’incandescence. Je connais les hommes (les femmes aussi, par la même occasion) et je sais qu’on n’a pas grand-chose à espérer avec ces deux gars d’acier. Ils sont trop vigilants, leurs réflexes sont trop fulgurants (j’en sais quelque chose) pour que nous puissions espérer les feinter. À la moindre tentative, on prendra du plomb.

Un quart d’heure s’écoule de la sorte, dans un silence quasi religieux, très compatible avec notre position. Au fait, que fabrique-t-il, mon Béru ? Dans quelle histoire s’est-il embringué pour ne pas être ici alors que je lui avais donné l’ordre de veiller sur Gérard ? Notez que jusqu’à nouvel ordre sa désobéissance aux ordres est une bonne chose.

Tout à coup, la porte s’ouvre et une grosse femme paraît dans l’entrebâillement. On dirait une bohémienne enceinte. Elle a le teint presque marron, de larges anneaux de cuivre aux oreilles, un foulard écarlate autour de la tête et des cheveux noirs qui lui tombent sur les épaules. Elle porte une espèce de longue robe imprimée qui lui descend jusqu’aux pieds.

En nous apercevant, la femme a un tressaillement et bat en retraite. Mais l’un des deux Russes, celui qui a les mains libres, se précipite et la ramène dans la pièce. Il lui demande, en français ce qu’elle vient faire ici. La grosse bohémienne ne pige pas et exprime son incompréhension par gestes. Les Russes lui font signe de s’asseoir sur le sofa. Elle a une mimique désespérée pour demander « Mais qu’est-ce que j’ai fait, moi ? ». Nos surveillants ne se donnent pas la peine de lui fournir des explications. Alors la bohémienne se résigne. Elle reste tranquille, jouant avec les coussins comme le ferait une petite fille de la campagne en visite chez Mme la Baronne.

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14

B.E.P.C. : Banc d’Essai des Pauvres Châtrés.