Cette fois, y a pas d’erreur, il va s’affaler… Obolan ne lui laisse pas le temps de parler.
— Toutefois, enchaîne-t-il, attendu que c’est grâce à Sirk somme toute que j’ai eu le rare bonheur de connaître ma bien-aimée favorite, je fais grâce en ce qui concerne le supplice du pal.
Ça ne calme pas tellement Sirk qui n’apprécie guère la première partie de la condamnation.
Vivement, je lui lance :
— Ne moufte-pas, mec, sinon ça serait le suppositoire de châtaignier pour tous.
Il pige et, par un prodigieux effort de volonté, se contient.
— Que l’ablation soit effectuée sur-le-champ ! décide l’émir.
Bérurier lève la main pour demander la parole.
— Dites voir, Majesté, puisque Votre Sir est si bon, et puisque c’est la java monstre aujourd’hui, Votre Aimable Honneur pourrait pas nous accorder les cinquante coups de martinet avec sursis ? On lui a fait du bon travail à sa séance, non ? Vos invités, si c’étaient pas des pommes, ont dû être joyces.
Obolan est dans ses bons days. Il palpe doucement les cuisses de sa Lola retrouvée. C’est curieux comme les tyrans sont faibles en amour. Ce zig qui fait tomber les têtes et les noix comme vous laissez tomber deux sucres dans votre café du matin, est tout bêlant avec sa gosse d’amour.
— Doux Seigneur, gazouille cette friponne, étant donné que ces deux hommes n’ont absolument pas voulu nuire à Votre Majesté, ne pourriez-vous point les gracier pour l’amour de moi ?
Il lui met une caresse masseuse sur la malle arrière.
— Et que me feras-tu si je leur accorde le sursis ?
Elle se penche à l’oreille d’Obolan et lui chuchote des trucs qui font rigoler l’émir.
— Qu’il en soit fait selon ton désir, déclare ce dernier, soucieux de s’assurer une nuit de qualité.
Du coup, je tire Béru par ses basques pour l’inviter à se prosterner comme moi aux pieds du magnanime.
— Grand des grands, psalmodié-je, Gardien des vertus, Rayonnement du pouvoir souverain, Splendeur glorieuse des sables, Maître incontesté de tous les shahs et de tous les ras d’Aigou et de la périphérie, Commandant suprême de l’armée et également de la marine et de l’aviation si vous en possédiez un bateau et un avion, Commandeur de la foi, Grand Cordon Ombilical de l’ordre des Hépatiques, Lumière des nuits, Chaleur des jours, Abonné à Rustica, Aboutissement du genre humain, Protégé de Mahomet, Destin des hommes, Vous qui êtes resplendissant comme le soleil et abscons comme la lune, O Mystère vivant, Prodige de force et de grâce, Miroir des âmes, International de Rubis…
— Écrase un peu, me souffle le Gros, il va se prendre pour un saint avec un 33 tours lumineux au-dessus de la coiffe !
Mais je poursuis, car les émirs sont élevés au petit lait de louanges et il ne faut jamais hésiter à se munir d’une boîte de superlatifs quand on va chez eux :
— … Trésor des sables, Grondement du tonnerre…
Je suis dans l’obligation de m’arrêter car des larbins viennent d’entrer précipitamment dans la salle en baragouinant des choses qui me font froid dans le dos.
À l’œil carménien que me jette Obolan, je pige aisément qu’on a découvert le pot aux roses. Fallait s’y attendre, à force de glander sur les lieux du carnage !
Je parie que vous vous y attendiez un peu, les gars, avouez ?
Je vous blague souvent, rapport à votre matière grise qui fait la colle, mais je sais bien que vous n’êtes pas aussi truffes que vous en avez l’air.
Il vous arrive de flairer ce qui va se passer un paragraphe à l’avance. Pas toujours, mettons une fois sur cent mille, mais ça réconforte un auteur. Il a du coup l’impression de s’adresser à des gens normaux, comprenez-vous ?
Bon, si vous voulez bien changer le chapitre, je vais vous bonnir la suite. Parce que, la suite, vous ne pouvez pas la deviner.
CHAPITRE XV
Vous avez déjà maté des gravures représentant les Bourgeois de Calais, malgré votre inculture ? On les voit, les pauvres biquets, en limace, les nougats à l’air, les mains au dos.
C’est un peu dans cet appareil que le Gros et moi faisons un voyage à rebours dans le palais. On nous a enchaînés l’un à l’autre, pas pour le meilleur, mais pour le pire. L’émir marche devant avec ses gens. Nous nous rendons pour commencer dans nos appartements. Les cadavres des deux Russes blonds sont allongés sur un tapis percé (par les balles) et persan (de fabrication).
Obolan jette des imprécations, des blasphèmes, l’anathème, et des chrysanthèmes en les apercevant. Voilà qui ne va pas arranger ses relations diplomatiques avec la Russie. S’il mijotait un coup fumant, il tombe dans la résine, l’émir. Comment expliquer en haut lieu que les agents soviétiques aient été effacés dans son propre palais ?
Il vient se placer devant moi et sa figure ressemble à un masque chinois.
— Je vous ferai payer cela ! fait-il. Vous mourrez dans des souffrances qu’aucun homme avant vous n’aura connues. Il vous faudra des jours et des jours de tortures pour expier ces meurtres. Ainsi, vous étiez des agents français et vous m’avez berné !
Il lui faudrait douze quintaux de bicarbonate de soude pour digérer cette humiliation.
Je me sens étrangement calme. Lorsque tout est foutu pour lui, l’individu retrouve sa sérénité. C’est l’espoir qui rend les hommes fébriles. C’est l’espoir qui leur monte à la tête et qui, en fait, les rend vulnérables. Mais lorsque cette vilaine drogue leur est enlevée, ils se résignent et acceptent leur sort sans broncher.
Nous descendons dans la prison secrète où les cadavres des gardes provoquent un nouvel accès de fureur chez Obolan. Le rescapé bredouille des accusations contre nous et contre Lola.
Ce nouveau coup finit l’émir. Le ciel lui choit sur la théière. Ainsi sa favorite le doublait. Elle s’était faite notre complice ! Il est cornard de bas en haut, Obolan. Mystifié, berné, battu. Mais pas content. Oh ! ça non ! pas content du tout !
— Faites-moi empaler tout de suite cet abruti, dit-il en montrant le malheureux garde, ça lui apprendra.
Il a jeté cet ordre en français pour vous permettre de le comprendre[19]. L’un de ses sbires le traduit en kelsaltipe.
— Attachez-les sur des chevalets, maintenant ! commande Obolan. Tous les trois ! fait-il en désignant également Lola.
Il vient à elle et lui crache au visage.
— Chienne ! l’invective-t-il. À toi aussi, je réserve une mort exceptionnelle. Je te ferai manger par un chacal. Chaque jour on lui laissera dévorer un morceau de ton corps immonde ! Et chaque fois on versera de l’huile bouillante sur ta plaie !
— Monsieur est abonné à Guérir, d’après ce que je crois comprendre, gouaille le Gros, qui réagit toujours bien dans ce genre de circonstances.
Obolan a également des délices en réserve pour ma Grosse Gonfle.
— Quant à lui, fait-il, vous allez le fixer tout de suite sur une croix de Saint-André : AVEC DES CLOUS ! Son supplice sera de ne jamais plus boire ni manger. Il est gras et goulu, je veux qu’il ne lui reste plus que la peau sur les os.
Les sbires se jettent sur mon pauvre cher Bérurier. Ils l’écartèlent sur un « X » de bois. L’un des hommes lui tient la main appuyée contre le chevron tandis qu’un autre, armé d’un clou et d’un fort marteau, s’agenouille près de Sa Rondeur.
Mon sang ne fait qu’un tour. Il est impossible à un garçon de ma trempe et de ma valeur de contempler les tourments d’un être cher. Non, je ne peux pas supporter. J’essaie de faire sauter mes liens en bandant mes muscles, mais bien que je sois un fameux bandeur de muscles (l’essayer c’est s’en convaincre, mesdames) je n’y parviens pas. Faudrait, pourtant ! Car, je vais vous dire une chose marrante, mes tout petits chérubins, mais aussi incroyable que cela puisse sembler, ces tordus ne m’ont pas encore fouillé et je sens toujours dans la poche-pistolet de ma gandoura le pistolet mitrailleur.