– On en a assez de ce cinéma, dit Lárus.
– De quoi est-ce que tu parles ? Quel témoignage ?
– Tómas a dit à cet homme, son compagnon de chasse, que tu voulais que ça se passe sauvagement. Est-ce que tu sais de quoi je parle ?
– Sauvagement ?
– Et brutalemment, dit Lárus.
– De quoi est-ce que vous parlez ?
– De sexe, dit Dóra.
– De sexe ?
Ils étaient assis et se taisaient.
– De moi ? De ma sexualité ? Est-ce que quelqu’un a parlé de ma sexualité ? Un compagnon de chasse de Tómas ?
– C’est exact ? demanda Dóra.
– Non, c’est faux, dis-je. C’est un mensonge. Encore un de ces foutus mensonges. Pourquoi Tómas aurait-il parlé de ma sexualité ? Il n’en savait rien.
Ça devait venir de Bettý, comme tout le reste. Elle semblait avoir abreuvé Tómas de toutes sortes de fausses informations sur moi. Elle était en train de faire la même chose avec la police.
– Nous avons un témoignage sur autre chose, dit Lárus.
– Autre chose ? Quoi ?
– Que vous aviez une liaison, dit Dóra. Ou bien une sorte d’amour vache, ainsi qu’il me semble l’avoir entendu formuler.
– Moi et Tómas ?
– Et ça s’est terminé par un viol, dit Lárus.
– Comme ça, tu avais une raison de te venger et de le tuer.
– Qui vous a raconté ces salades ? Je vous l’ai dit cent fois : ce n’était pas un viol. Tómas et moi, on n’avait pas de liaison, merde !
Je ne sais pas comment parler de ça. Dans tout ce qui m’est arrivé et dans tous les guêpiers où j’ai pu me fourrer, il n’y a rien de plus douloureux que le viol, et je suis absolument incapable de raconter ce qui s’est passé. C’est une douleur lancinante qui me transperce. La seule méthode que j’ai pour en venir à bout, c’est de refouler ça aussi loin que possible au tréfonds de mon âme.
Des lambeaux de cette horreur remontent parfois à la surface et me font me crisper d’épouvante. Ses mains sur mon corps. Son haleine imbibée d’alcool. Son poids quand il s’est allongé sur moi par terre. Mes tentatives désespérées pour lui donner des coups de pied. La douleur que j’ai ressentie quand il m’a pénétrée…
Et cette souffrance.
Toute cette souffrance que je ne peux plus contenir.
Un long moment s’était écoulé dans le silence le plus complet. Ils me regardèrent d’un air de profonde commisération. J’étais fatiguée. Fatiguée de tous ces mensonges. De toutes ces manigances. Plus que fatiguée.
– Vous n’avez pas encore trouvé ? dis-je à la fin.
– Trouvé quoi ? dit Dóra.
– Pour nous deux, Bettý et moi, dis-je.
– Quoi vous deux, Bettý et toi ? demanda Lárus.
– C’était nous qui avions une liaison, dis-je. C’était elle qui trompait Tómas avec moi, et non l’inverse. Bettý et moi, on était ensemble.
28
Je ne me souviens plus comment je suis rentrée de chez Stella. Je ne me souviens plus de la circulation qu’il y avait. J’ai pris congé d’elle en pensant à autre chose. Elle m’a demandé si ça allait. Elle avait vu que quelque chose m’avait déconcertée et elle ne savait pas quoi. Pauvre Stella ! À la maison, je m’étendis sur le canapé, totalement épuisée et en plein désarroi. Je ne savais plus quoi penser. J’étais complètement désorientée. Le monde tournait sur lui-même devant mes yeux et je n’avais plus aucune prise sur lui.
Léo et Bettý.
Tout le temps. Léo et Bettý, et ensuite moi, qui devais encaisser le coup.
J’étais allongée comme paralysée sur le canapé et j’essayais de remettre toutes les choses en place. Quand avaient-ils commencé à organiser l’assassinat de Tómas ? Quand Bettý avait emménagé chez lui ? Quand leurs relations avaient commencé à se détériorer ? Et comment suis-je entrée en scène ? Pourquoi moi ?
Le téléphone se mit à sonner dans l’obscurité. Je me traînai jusqu’à lui et répondis. C’était le directeur de l’entreprise à Akureyri. Il avait besoin de réponses juridiques à propos de certaines affaires sur lesquelles je travaillais et il demandait quand j’allais lui remettre mes conclusions. Pour l’apaiser, je lui racontai un gros mensonge. Ensuite, je me mis à lui parler de Tómas et lui appris qu’ils avaient enfin retrouvé son corps. J’écoutai en pensant à autre chose et il me vint à l’esprit de l’interroger à propos de Léo. Je tournai autour du pot en faisant état de la longue amitié entre Tómas et Léo.
– Léo n’était pas particulièrement ami avec Tómas, s’empressa de dire le directeur. Il a débuté ici il y a environ quatre ans et il est rapidement devenu son bras droit. Il faisait la pluie et le beau temps dans l’entreprise. Il s’est introduit auprès de lui avec son baratin. Il est comme ça, Léo. Il a du bagout.
À entendre cet homme, il n’était pas non plus très favorable à Léo.
– Mais alors pourquoi a-t-il été engagé ? demandai-je.
– C’est Bettý qui l’a voulu.
– Bettý ?
– Elle a dit que c’était un parent à elle ou quelque chose comme ça.
– Un parent à elle ?
– Oui.
– Léo n’est pas un parent de Bettý, dis-je en serrant les dents. Il entendit que j’étais en colère et cela suscita sa curiosité.
– Pourquoi tu poses toutes ces questions sur Léo ? dit-il d’une voix qui trahissait son étonnement.
Je ne savais pas quoi dire et je raccrochai. J’arrachai le fil du téléphone et le jetai à terre.
Je luttais pour retenir mes larmes.
Il fallait que je voie Bettý. Il fallait que je lui parle. Il fallait que je l’entende de sa bouche. Il fallait qu’elle me le dise.
Je tressaillis lorsque mon portable se mit à sonner sur la table du séjour. C’était la mélodie de Tónaflód12 : The Hills are alive with the Sound of Music. Je parvins à la table et fixai des yeux ce téléphone avec cette musique insensée qui me résonnait aux oreilles. Ça ne s’arrêtait pas. Je le pris et répondis.
– C’est la police, dit une voix.
– Tu es en train de nous dire que tu as eu des relations sexuelles avec Bettý ?
À l’évidence, Lárus ne me croyait pas.
– Toi et Bettý ensemble ? dit Dóra.
Dóra toujours classe. Toujours polie. Elle ne se départait jamais de son calme, quoi qu’il arrive. Est-ce qu’elle était seule, comme moi ? Elle avait les mains sur la table qui nous séparait et je cherchai une alliance, mais je n’en vis aucune. J’eus le sentiment qu’elle était seule. Ça se voyait à son air. Elle souriait rarement. Et peut-être que personne ne souriait jamais dans cette pièce.
– Je crois que Bettý est insatiable, dis-je en regardant Lárus. Ça n’a pas d’importance pour elle que ce soient des gars ou des filles, des hommes ou des femmes. Bettý ne pense qu’à elle, pour elle tout est bon à prendre.
Ils étaient assis et attendaient que j’en dise davantage. Je regardai vers la grande glace. Il me semblait qu’elle était encore derrière. C’était seulement une impression. Peut-être qu’elle n’y était pas. Elle n’y avait sans doute jamais été. Je pensais parfois si fort à elle que je croyais sentir sa présence.
– Je n’ai pas tué Tómas, dis-je. Ce n’était pas moi. Je vous l’ai dit cent fois.