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– J’ai pensé que ça pourrait t’aider un peu, dit-il.

– J’en ai encore pour longtemps ici, hein ? dis-je.

Il haussa les épaules.

– Les perspectives ne sont pas bonnes, dit-il. Si seulement tu voulais dire exactement ce qui s’est passé.

– Qu’est-ce que les gens disent ? ai-je redemandé.

– Ne te fais pas de souci pour ça, dit-il. J’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper du qu’en-dira-t-on.

Les policiers qui mènent l’enquête sont au moins quatre. J’ai tout lieu de penser qu’ils sont assistés de toute une armée de collaborateurs. Ce sont ces quatre-là qui m’interrogent, deux par deux. C’est comme au cinéma. On croit toujours que la vie n’est pas comme au cinéma, mais en fait c’est pareil. Dans la salle d’interrogatoire, il y a une grande glace et je sais que parfois il y a des gens de l’autre côté, même si je ne les vois pas. Sûrement des huiles. Ils ne sont pas toujours en train de nous regarder. À voir les enquêteurs, je sais quand il y a des gens qui observent. Si c’est le cas, ils sont plus coincés et se tiennent sur leurs gardes. Ils soignent leur langage. C’est ça qui leur importe. Ils se font aussi beaucoup plus de souci que moi. Lorsque leurs supérieurs ne sont pas de l’autre côté, ils sont plus détendus. Ce sont tous des inspecteurs de la Criminelle et ils m’interrogent toujours à deux comme si c’était leur tour de garde.

Il y a une femme dans le groupe. Je ne sais pas du tout comment la juger. Elle garde une certaine distance. Les autres peuvent blaguer, même si l’affaire est sérieuse. Mais elle, elle ne sourit jamais. Peut-être qu’elle est comme ça. Peut-être qu’elle a peur de moi. Elle me regarde d’un air sévère et lit ses questions sur sa feuille, ce qui fait un peu théâtral. L’interrogatoire lui-même est un peu une pièce de théâtre. La scène est délimitée, les acteurs peu nombreux, l’intrigue est dramatique et, comme toujours, le plus mauvais acteur a un gage.

Lorsque j’ai posé une question à propos de la glace, ils ont dit qu’elle avait été récemment installée, tout comme l’appareil enregistreur. Il y avait eu un jugement contre la police qui depuis lors enregistrait tous les interrogatoires.

– Qui sont les gens derrière la glace ? demandai-je.

– Il n’y a personne, me fut-il répondu.

– Alors pourquoi est-ce que vous avez cette grande glace-là ?

– C’est nous qui posons les questions, dirent-ils.

– Et vous ne trouvez pas ça drôle ? Une grande glace comme ça dans cette petite pièce ?

– Ça ne nous regarde pas.

Un jour, ils ont essayé ce truc qu’on voit dans tous les films policiers. Ça n’a pas marché et ils m’ont fait revenir. Il n’y avait évidemment personne derrière la glace parce qu’ils ne soignaient pas spécialement leur langage et étaient détendus, jusqu’à ce que l’un d’eux commence à s’exciter comme s’il voulait me provoquer tandis qu’un autre faisait semblant de le calmer.

Lorsqu’ils virent que je souriais, ce fut comme si la baudruche s’était dégonflée et ils arrêtèrent.

C’est l’unique fois où j’ai ri ici.

3

Bettý me téléphonait le soir.

J’étais en train de rentrer chez moi après avoir passé du temps sur un contrat de propriété pour un immeuble dans le quartier de Breidholt. Mon collègue d’université était président de la société des propriétaires et il m’avait confié cette mission parce qu’il savait que je n’avais pas grand-chose à faire. J’avais souvent réfléchi pour essayer de trouver quelque chose d’intéressant à faire. Me spécialiser au ministère des Affaires étrangères. Me trouver une place dans un bureau chez les autres. Ce qui me manquait, c’était l’énergie pour passer à l’acte et, en réalité, je profitais de ma solitude. D’une certaine façon, je n’aurais jamais pu imaginer de travailler chez les autres ou avec les autres. Je suis comme ça et je l’ai toujours été.

Le plus curieux, c’était que Bettý ne m’était pas sortie de l’esprit depuis notre séparation à l’hôtel Saga quelques heures auparavant.

Il y avait quelque chose en elle qui m’intriguait et je crois savoir maintenant ce que c’était. Elle avait une assurance et une prestance qu’à ce moment-là je ne m’expliquais pas. Pour elle, tout cela était une pièce qu’elle avait déjà jouée auparavant. Elle était très consciente de sa beauté et l’avait probablement toujours utilisée pour obtenir ce qu’elle voulait. Je connais peu de femmes aussi conscientes de la force que leur confèrent la beauté et le sex-appeal. Toute sa vie, elle avait mené les gens par le bout du nez et elle était tellement habile qu’on ne s’en apercevait que lorsqu’on se retrouvait dans ses bras.

– Il m’a grondée, dit-elle au téléphone, la voix enrouée comme après avoir fumé des cigarettes grecques.

– Qui ça ? Ton mari ?

– Parce que je n’ai pas parlé du salaire, dit-elle. Nous n’avons jamais parlé de ce que tu aurais comme salaire.

– Mais nous n’avons jamais dit non plus que je ferais quoi que ce soit pour vous.

– Il voulait que je te dise combien tu aurais. Est-ce que tu peux venir ce soir ? Il a très envie de te rencontrer pour t’engager.

Lorsque je regarde en arrière, alors je me dis que peut-être que c’était là. Si j’avais refusé, elle m’aurait fichu la paix et serait allée voir ailleurs. Peut-être qu’elle aurait refait une tentative le lendemain. Peut-être que non. Mais c’est là que j’ai fait ma première erreur.

Probablement que je m’ennuyais. Il n’y avait rien d’excitant dans ma vie et même si je ne recherchais pas absolument quelque chose d’excitant, je voulais du changement. Peut-être que ce travail serait un tremplin pour moi. Plusieurs grandes sociétés maritimes chercheraient à m’employer. Je pourrais travailler dans le domaine que je connais le mieux, dans ma spécialité. Plus de contrats de propriété à Breidholt.

Et ça signifiait aussi de l’argent. Peut-être que c’était de la curiosité. Peut-être que je voulais savoir combien ces gens-là pouvaient offrir et quelles étaient les limites de leur univers de milliardaires. À la vérité, je manquais d’argent, pour ne pas dire plus. Je n’étais peut-être pas précisément ce qu’on appelle pauvre, n’empêche que je n’avais pas un sou vaillant.

– Comment ça se passe ? Il faut que j’achète une entrée ou quoi… ?

– Nous sommes dans la suite la plus grande, fit-elle, et je vis qu’elle souriait. Viens.

Je portais une tenue élégante qui datait de la fin de mes études de droit à la maison. Cela faisait trois ans qu’elle n’avait pas quitté l’armoire. Je n’avais rien d’autre à me mettre. Lorsque je jetai un coup d’œil dans la glace, elle me sembla convenir. Je n’avais pas pris de poids pendant ces trois années. Au contraire. Comme je l’ai déjà dit, je n’avais pas mené grand train.

Je ne savais pas qu’il y avait une suite de luxe spéciale à l’hôtel Saga ni qu’elle était aussi magnifique. Bettý m’expliqua qu’on venait de la rénover. Probablement voyait-elle que j’en restais bouche bée comme un enfant. La femme de la réception a eu un drôle de sourire quand je lui ai dit que j’avais l’intention d’aller dans la suite pour voir Bettý et son époux. Elle n’avait pas plus de trente ans, elle était blonde et un peu potelée avec de gros seins et de jolies hanches. Elle m’indiqua l’ascenseur et me souhaita beaucoup de plaisir.

Beaucoup de plaisir.

J’ai d’abord cru qu’elle disait cela pour le bal. Maintenant, je crois savoir ce qu’elle voulait dire. Son sourire donnait à penser qu’elle y était déjà allée, dans cette suite.