– Tu as avoué ? Toi ?
– Oui.
– Qu’est-ce que tu racontes ? De quoi leur as-tu parlé ?
– De vous, Tómas et toi, dit Bettý. Je leur ai enfin dit la vérité et tu sais, Sara, ça fait du bien de pouvoir soulager sa conscience. Ils m’ont montré comment tu l’as tué. Ils ont dit que tu l’avais frappé derrière la nuque avec un objet contondant ou un petit marteau. Ils ont très vite vu ça. Le coup que tu as donné. En fait, ils pensent qu’il y en a eu trois. Il y avait le médecin légiste et tout et tout. Très aimables, ces policiers. Charitables, Sara. Vraiment. Ils sont compatissants envers les veuves.
– Qu’est-ce que tu as fait ?
– Ils ont trouvé très important que je leur dise que j’étais arrivée au pavillon d’été un jour après vous, Tómas et toi.
– Un jour après ? Toi ? Mais c’est moi qui suis arrivée un jour après !
– Je leur ai dit comment j’avais été retenue en ville et que je suis partie seulement le lendemain. Tómas et toi avez été seuls sur place toute la nuit.
– C’étaient toi et Tómas qui étiez partis ensemble. Moi, je suis arrivée le lendemain.
– C’est ce que tu peux affirmer, évidemment, fit Bettý, mais ce qu’ils veulent ce n’est pas grand-chose, c’est juste un alibi. C’est Léo qui s’occupe du mien. Nous avons travaillé ensemble au bureau pour préparer le voyage à Londres que nous aurions fait si tu n’avais pas assassiné Tómas. Quand je suis arrivée chez toi le jour suivant, tu étais dans un état d’agitation affreuse parce que Tómas avait disparu et que tu voulais absolument que je dise que j’avais été avec vous tout le temps. Tu as dit qu’il était parti en motoneige et n’était pas revenu. Nous avons cherché sans arrêt, mais Tómas avait disparu et, à la fin, j’ai réussi à te faire signaler sa disparition.
– Je ne te crois pas, objectai-je en gémissant. C’est toi qui l’as assassiné !
– En ce moment, ils pensent que ça ne peut être que toi, dit Bettý.
– Pourquoi est-ce qu’ils ont cru tout à coup que tu étais venue un jour plus tard ? Tu avais dit tout autre chose.
– J’ai dit que tu m’avais suppliée de le faire. Ça n’aurait pas eu d’importance pour moi. Tu étais très agitée parce que Tómas avait disparu et tu avais besoin de soutien. Nous sommes de bonnes amies. J’ai décidé de te soutenir. Quand il est apparu dans la soirée que tu l’avais assassiné, alors, évidemment, il n’était plus possible de mentir.
– Tu crois vraiment que tu vas t’en sortir comme ça ?
Bettý sourit.
– J’ai le sentiment que ça se tient, dit-elle. Léo y a veillé.
Je ne la comprenais pas totalement, mais je savais que ce qu’elle disait était dangereux. Peu à peu, je comprenais des choses qui auparavant étaient autant d’énigmes pour moi : l’interrogatoire que Bettý m’avait fait subir avant que nous ne nous mettions en route sur la motoneige à la suite de Tómas pour savoir si j’avais eu un contact avec quelqu’un la veille, pour savoir si quelqu’un m’avait vue partir. Ce qu’elle m’avait demandé de dire à la police, que j’avais l’intention de voyager avec Léo, mais que celui-ci n’avait pas pu venir. Tout un tissu de mensonges soigneusement arrangés pour faire en sorte que les soupçons se portent sur moi.
– Tómas a dit quelque chose à Léo avant de s’en aller ce tout dernier soir, dit Bettý. Tómas a dit à Léo, et cela, personne d’autre ne l’a entendu, qu’il avait l’intention de te voir chez lui ce soir-là. Toi toute seule. Tu te souviens, quand je t’ai demandé si quelqu’un t’avait vue partir, si tu t’étais arrêtée quelque part sur la route, si tu avais vu qui que ce soit ou parlé à quelqu’un ?
Je hochai la tête tout en pensant à autre chose et en essayant de reconstituer le puzzle.
– C’est à ce moment-là que Tómas est mort, dit Bettý.
Elle éteignit soigneusement sa cigarette.
– Du premier coup, dit-elle. Tu ne trouves pas ça singulier ?
Dóra me regardait dans la salle d’interrogatoire et je vis à son air qu’elle ne croyait pas un mot de ce que je disais. Lárus était assis à côté d’elle et il arborait le même sourire énigmatique.
Une journée s’était écoulée depuis le dernier interrogatoire. Et voici que je voulais leur dire la vérité. Je savais que Bettý ne le faisait pas. Elle avait menti tout le temps.
– Qu’est-ce que Bettý voulait dire par là ? demanda Dóra. “Du premier coup” ?
– Je ne sais pas, dis-je. Peut-être qu’ils avaient combiné ça et que tout avait bien marché. Peut-être qu’ils avaient combiné autre chose en vue d’autres occasions qui se présenteraient plus tard. Vous ne comprenez pas ? Dans tout ça, il s’agit de rejeter la faute sur moi ! Vous allez bien vous en rendre compte, quand même ! C’est évident ! Je viens de vous le dire. Je vous ai tout dit ! Il faut me croire, Dóra ! Ils sont en train de me faire porter le chapeau.
– Tu ne vois pas que c’est absurde ? dit Lárus. Il n’y a aucune preuve de ce que tu avances. Au contraire, tous les indices sont contre toi.
– Sara, dit Dóra. Nous n’avons rien trouvé indiquant que Bettý se serait fait avorter.
– Elle s’est débrouillée pour que le médecin mente. Elle est comme ça. Tout le monde est prêt à tout pour elle.
– Nous ne savons même pas quel médecin ça pourrait être, dit Dóra tout aussi calme. Il n’y a aucun rapport médical dans les hôpitaux.
– Elle a peut-être eu recours à un cabinet privé.
– Autrefois, ce Léo a été soupçonné d’avoir renversé Stella, mais ça a été la parole de l’un contre l’autre. Tu n’as pas d’alibi pour le soir où Tómas et toi êtes censés être restés toute la nuit ensemble au pavillon d’été.
– Et ensuite il y a le marteau, dit Lárus. Qu’est-ce qu’il nous faut d’autre ?
30
Je fixai Bettý. Étrangement, tout ce qu’elle disait concordait. Bien que j’entende la plupart des choses pour la première fois et que je ne saisisse pas tout sur l’instant, je comprenais suffisamment la situation pour savoir qu’il s’agissait là d’une machination criminelle dans laquelle j’étais censée servir de bouc émissaire.
– Pourquoi est-ce que tu m’as fait ça ? dis-je en gémissant.
Bettý se leva.
– Tu devrais y aller, maintenant, dit-elle.
– Toi et Léo, pendant toutes ces années ? Vous avez passé combien de temps à concocter tout ça ? C’est lui qui en a eu l’idée ? Et pourquoi moi ?
Bettý hésita.
– C’est moi qui t’ai choisie, dit-elle.
– C’est toi qui m’as choisie ?
– Des juristes m’ont parlé de toi. Et ils ont dit que tu étais lesbienne. Ils se souvenaient de toi à l’université. J’ai trouvé ça… j’ai trouvé ça excitant.
– Tout ça était prémédité ?
– Presque tout.
– Et le viol ? Est-ce qu’il était aussi… ?
– Je lui ai dit que tu voulais que ça se passe un peu sauvagement. Que tu le voulais, que tu voulais coucher avec lui et que ça ne coûterait que quelques coups. Je lui ai dit que tu étais prête. Ensuite, il n’y avait plus qu’à vous faire vous rencontrer. Je connaissais Tómas. Il ne laisserait pas passer une telle occasion. En plus, je savais qu’il avait envie de toi.
– Quoi… ? Mais quelle sorte de monstre es-tu ? Il te battait ! Tu l’as laissé t’agresser et…
Bettý secoua la tête.
– Et les blessures ? Je les ai vues !
– Léo et moi, dit Bettý, nous avons été obligés de t’amener à prendre parti pour moi, t’amener à haïr Tómas, pour que…