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– … pour que je n’aille pas tout de suite à la police après que tu l’as tué ? Pour que je participe à ces manigances avec toi jusqu’à ce que tu puisses…

– … te faire porter le chapeau, termina-t-elle.

– C’est Léo qui t’a battue ?

– Rentre chez toi, Sara.

Une porte se referma à l’étage au-dessus et on entendit des pas dans le grand escalier. Nous regardâmes dans cette direction toutes les deux et nous vîmes Léo descendre. Il était pieds nus, en pantalon noir et en chemise bleue. On aurait dit qu’il venait de se réveiller. Il nous regarda tour à tour, puis son regard se posa sur Bettý.

– Quelque chose ne va pas ?

– Elle s’en va, dit Bettý.

– Je leur ai dit que Léo et moi nous avions l’intention d’aller ensemble au pavillon, dis-je.

– Oui, ma chérie, je sais. Léo refuse d’admettre cette version et la police a trouvé justement que c’était un point très intéressant. La façon dont tu as essayé aussi d’amener Léo à mentir pour toi. Il a parlé à la police de ta liaison avec Tómas, qui avait des hauts et des bas.

Léo se dirigea vers Bettý, l’embrassa sur la joue, et la prit par la taille pour bien me montrer leur amour. Pour me montrer que je n’avais jamais eu la moindre importance dans la vie de Bettý.

– S’ils avaient classé ça comme accident, qu’est-ce que vous auriez fait ?

– Rien, dit Léo. Rien du tout. Sauf si tu avais échappé à la galère dans laquelle tu vas te retrouver maintenant.

– Je croyais sérieusement qu’ils ne trouveraient rien, dit Bettý. Mais que sait-on de la médecine légale ?

– Alors, tout ça n’était qu’un tissu de mensonges ? dis-je. Tómas ne t’a jamais trompée. Il n’a jamais levé la main sur toi. Et vous pouviez très bien avoir des enfants. Seulement, tu les as fait liquider.

– Léo trouvait qu’avoir des enfants ça compliquait les choses.

– Je ne te crois pas ! Comment tu es ! Comment peut-on être comme ça… ?

– Si j’étais toi, je me dépêcherais de rentrer, dit Bettý.

– On ne sait jamais ce que les flics peuvent trouver, dit Léo.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Dans le panier de linge sale ou dans le débarras derrière la caisse des décorations de Noël.

– Qu’est-ce que tu racontes ? Vous êtes allés chez moi ?

– Dépêche-toi de rentrer, dit Bettý. Avant qu’ils ne le trouvent.

– Trouvent quoi ?

Je m’approchai tout près d’eux et fixai Bettý dans les yeux. Elle détourna le regard, mais je la pris par le menton et la forçai à me regarder.

– Qu’est-ce que tu m’as fait, Bettý ?

– Rentre, Sara, dit-elle.

– Bettý ?

Bettý se dégagea.

– Et nous ? dis-je.

– Nous ?

– Nous. Nous deux ! Qu’est-ce qui va se passer pour nous deux ? Tu avais combiné tout ça avant de me rencontrer ? Il n’y a jamais eu rien d’autre ? Rien entre nous ?

– Sara…

– Tout le temps, tu t’es servie de moi ? Aussi quand… quand nous étions ensemble… quand nous… ?

Elle haussa les épaules.

– Je sais que je ne suis pas une brave fille. Je le reconnais. Je ne suis pas la femme que tu veux que je sois. Je ne suis pas comme toi, qui désires constamment être aimée. Ça ne m’apporte rien. Rien du tout.

Elle me regarda en faisant la moue.

– Pauvre Sara qui voulait seulement que quelqu’un l’aime. Quelqu’un comme son papa.

Je tentai de lui cracher au visage, mais j’avais la bouche sèche.

– Va-t’en, avant que Léo ne perde patience, dit Bettý. Il était tout le temps jaloux de toi. Il ne supportait pas qu’on couche ensemble.

Je regardai Léo.

– Qu’est-ce que tu faisais chez moi ?

– Tu verras, dit-il. Ensuite, il me bouscula. Maintenant, tu vas ficher la paix à Bettý !

– Quelle raison est-ce que j’aurais eue de tuer Tómas ?

– Le viol dont tu m’as parlé, dit Bettý. Elle s’approcha tout près de moi et me caressa la joue. C’était cet horrible viol dont tu ne voulais pas l’accuser, bien que je te l’aie demandé. Et je t’ai entendue dire que tu le tuerais.

– Et alors tu as été la chère et tendre épouse qui a essayé de nous réconcilier ?

– Tómas avait beaucoup de défauts, Sara, je le reconnais volontiers devant la police.

– Mais moi, je n’ai rien fait. Tu le sais.

– Essaie de comprendre, Sara, une bonne fois pour toutes. Tu n’avais rien besoin de faire. Tu n’avais besoin que d’exister.

Je retirai sa main de mon visage.

– Bettý !

– Je sais, dit-elle. Tu me manques aussi, parfois. Ta petite langue me manque.

Elle se pencha vers moi jusqu’à ce que ses lèvres touchent mon oreille et me susurra d’une voix enrouée :

– Personne ne lèche mieux que toi.

Je suis rentrée d’une traite avec ma voiture, je suis entrée en courant chez moi pour aller droit à la buanderie fouiller le linge sale, sans rien trouver. J’ouvris le réduit. La sonnette de la porte retentit. Je regardai par la fenêtre. Trois voitures de police silencieuses, mais les gyrophares clignotant, stationnaient devant la maison. On frappa à ma porte. On m’appela.

– On sait que tu es là ! cria quelqu’un.

Je renversai la caisse des décorations de Noël. Je l’ouvris brutalement.

Devant la maison, on frappait à la porte et on sonnait.

Je rejetai les décorations de Noël et restai debout à sangloter dans le débarras. Je cherchai sur le plancher, le long des murs. Le tableau électrique était dans une petite armoire métallique accrochée au mur et je remarquai qu’il y avait une fente dans la boîte à l’endroit où on la fermait.

J’entendis qu’on fracassait la porte d’entrée.

Ils étaient entrés.

Je les entendis approcher.

J’ouvris l’armoire électrique et il apparut : le petit marteau qui avait servi à tuer Tómas.

… plus tard

J’ai été condamnée pour le meurtre de Tómas Ottósson Zoëga. J’ai déjà fait deux ans et j’en ai encore sept à faire. Si je me conduis bien.

Comme ça, j’ai suffisamment le temps de revenir sur toute cette affaire. De revenir sur tout ce qui s’est passé.

On ne m’a jamais crue. Mes empreintes digitales étaient partout sur le marteau. Je m’en étais saisie, en proie au désespoir et à une rage folle, pour agresser le policier qui avait pénétré dans le débarras. Ça ne m’a évidemment pas aidée pendant l’audience. Tout ce que Bettý et Léo ont déclaré a dès le début été considéré comme crédible. Ils avaient l’avantage. Tous les deux savaient depuis le début ce qu’ils faisaient. J’ai été leur victime sans avoir eu la moindre chance de leur échapper. Moi et, évidemment, Tómas, aussi.

Mon avocat a fait ce qu’il a pu. Il a soulevé une question : quel besoin avais-je d’emporter l’arme du crime avec moi dans le Nord et de la conserver dans mon débarras ? N’était-il pas plus vraisemblable que quelqu’un l’ait introduite chez moi pour me faire accuser ? La question de l’arme du crime a été un point important pendant l’audience, mais on n’a pas écouté nos arguments. Le procureur a appelé à la barre la psychologue, qui a déclaré qu’il était probable que j’aie conservé l’arme parce qu’en fait je voulais dire la vérité. Je l’aurais fait plus tard parce que mon sentiment de culpabilité aurait excédé mes forces. Les policiers témoignèrent pour dire que, vraisemblablement, j’avais voulu détruire cette preuve, mais que je n’y serais pas parvenue. Je n’aurais pas osé la cacher sur place ou à proximité du lieu du crime, et c’est pourquoi je l’aurais emportée avec moi. Quand on était venu chez moi, c’est justement alors que j’aurais voulu m’en défaire.