Выбрать главу

Avec précaution, elle posa deux doigts sur ma pommette pour me montrer où le coup avait porté.

– Ensuite il m’a embrassée sur le bobo, dit-elle. Il dit tout le temps ça : “Permets-moi de faire un bisou sur le bobo.” Et je lui ai permis. Il est très gentil avec moi. Il m’aime. Il dit qu’il me tuerait si je le quittais.

Je la fixai des yeux.

– Et je l’aime très fort, dit-elle. Ne te méprends pas. C’est vrai.

Elle était revenue tout près de moi. Je tenais encore la poignée de la porte. Elle m’avait dit cela sérieusement, en croyant ce qu’elle disait.

– Mais ça, tout à l’heure, dis-je, sentant mes joues s’empourprer de nouveau. Ce que tu avais là, au visage. Alors tu es… ?

– Tu trouves ça pire ? demanda-t-elle.

– Pourquoi faudrait-il que je travaille pour un homme comme lui ? demandai-je.

– Tu n’y perdras pas.

– Il doit y avoir quoi, vingt, vingt-cinq ans de différence entre vous ? dis-je. Qu’est-ce que tu en penses ?

– Fais ça pour moi, dit-elle. Tu ne le regretteras pas. Je te promets que tu ne le regretteras pas.

Elle se pencha sur moi et m’embrassa légèrement sur la joue. Je saisis plus fortement la poignée et ouvris enfin la porte.

– Je te contacterai, dit-elle alors que je descendais l’escalier en courant.

Et je me retrouvai là dans le bureau de son mari, sans avoir la moindre idée de ce dans quoi je m’embarquais.

– Tu ne m’écoutes pas, hein ? dit Tómas Ottósson Zoëga en se calant dans son fauteuil. Il était en train de parler de l’augmentation des coûts, je crois. J’en étais bien loin car je me remémorais cette visite aussi étonnante qu’envoûtante chez sa femme dans leur palais. J’étais en train de le cocufier, lui là, assis en face de moi dans son bureau.

– Si, excuse-moi, dis-je, c’est que… ma mère est malade chez elle, à Reykjavík, et je pensais à elle. Excuse-moi.

Le bureau était dénué de tout faste et contre un mur il y avait deux larges armoires en chêne avec des vitrines qui conservaient, à ce que m’a dit Bettý plus tard, seulement une partie de la collection d’armes de Tómas. Je m’efforçai de ne pas trop lorgner à l’intérieur.

Jamais de ma vie je n’avais vu autant d’armes réunies.

– Il s’agit évidemment d’un travail à durée déterminée, mais pour cela j’ai besoin de toute ton énergie, donc si tu as une autre tâche en cours, je veux que tu t’en débarrasses, dit Tómas. Disons que tu travailleras pour moi et mon entreprise pendant au moins un an. Tu auras ton bureau ici. Nous avons aussi des bureaux à Reykjavík, où tu auras une place. Nous possédons un petit appartement, un pavillon mitoyen ici, à Akureyri, qui est à ta disposition. Tu feras la navette entre les deux. Voilà, l’entreprise est…

J’étais en face de lui sur ma chaise et je l’approuvais de la tête car je trouvais ça convenable, mais mon esprit vagabondait dans toutes les directions. Je réfléchissais pour savoir comment un homme comme lui pouvait en arriver à agresser une femme comme Bettý. Comment un homme comme lui, bien plus âgé qu’elle, pouvait mériter d’avoir une femme comme Bettý. Et qu’en pensait Bettý elle-même ? Comment faisait-elle pour vivre avec un homme comme Tómas ? Je voyais bien qu’ils n’avaient rien en commun. Elle si jolie, si féminine et quelque part si solitaire, si vulnérable, bien que féroce comme une bête sauvage si l’envie lui en prenait. Lui n’était qu’un tas d’hormones masculines agressives et incontrôlées.

– … donc, plus tôt tu t’installeras ici, en ville, mieux ce sera. Bettý et moi avons l’intention d’inviter quelques amis ce samedi et je veux que tu viennes. C’est elle qui a insisté et je suis d’accord. Il faut que tu fasses connaissance avec ces gens. Tu auras à travailler avec eux par la suite.

Il appuya sur une touche et appela quelqu’un. Nous nous levâmes. La réunion était finie. La porte s’ouvrit et un homme entra. Tómas lui demanda de me faire visiter le pavillon et de m’assister jusqu’à ce que je retourne à Reykjavík en fin de journée.

Léo me fit faire le tour de l’entreprise tout en me parlant. Cela dura près de deux heures. Il m’invita ensuite à déjeuner à la cantine à l’étage. Il y avait évidemment du poisson au menu, mais il était meilleur que celui que j’avais mangé dans les restaurants de Reykjavík.

Après le déjeuner, il me conduisit au pavillon et me le fit visiter. Cette maison n’était pas moins vaste que tout ce qui appartenait à Tómas Ottósson Zoëga. Elle faisait plus de deux cents mètres carrés, avec son mobilier en cuir, une petite salle de remise en forme, une grande cuisine dernier cri et un vaste coin télévision avec un home cinéma. Il me sembla que la télévision à elle seule pouvait coûter un million de couronnes6.

Léo sourit en me tendant les clés de la maison. Il me tendit aussi les clés de la voiture en me montrant une jeep qui se trouvait à l’entrée et il me dit qu’il fallait que je m’en serve quand je serais ici, à Akureyri. Et il prit congé en me rappelant que mon avion décollait vers quatre heures.

Je restai dans la maison, au milieu de la pièce, à me demander si cette richesse avait des limites lorsque le téléphone sonna. C’était Bettý.

– Comment ça s’est passé ? demanda-telle.

– Bof, fis-je. Nous avons tout passé en revue. Il veut que j’utilise ce pavillon ici à Akureyri où je suis en ce moment et où je vois une télévision qui vaut un million de couronnes.

– C’est pas super, ça ? Tu ne veux pas utiliser la maison ?

– Je croyais que je pourrais peut-être travailler seulement à Reykjavík. Dans mon propre bureau. Il m’a offert une place dans ses locaux ici. Et il y a aussi un détail…

– Oui, dit-elle, l’air indifférent, sans me laisser finir ma phrase. Tu fais ce que tu veux. Il t’a parlé de l’invitation pour samedi ?

– Qui il y aura ?

– Ses amis, dit-elle, et j’entendis à son ton que ce n’étaient pas vraiment ses amis à elle.

– Et il faut se mettre sur son trente et un ?

– Ça peut pas faire de mal. Quand est-ce que tu reviens à Reykjavík ?

– En fin de journée, en avion.

– Je suis seule à l’hôtel.

Je me tus.

– Je ne vais dans le Nord que demain, dit-elle. Est-ce que tu peux passer chez moi ? Nous pourrons…

– Bettý, fis-je en lui coupant la parole.

– Oui.

Je me tus. C’était trop précipité. Ça s’était fait trop rapidement. Malgré ça, il y avait quelque chose d’excitant dans son caractère décidé. Je savais très bien ce qui se passerait si j’allais la voir à l’hôtel. Elle ne me donna guère le temps de réfléchir à notre affaire. Peut-être que je ne voulais pas non plus y réfléchir beaucoup. Peut-être qu’elle le savait. Elle avait lu en moi comme dans un livre.

– Quoi ? dit-elle. Tu m’entends ?

– Vers les huit heures, dis-je.

– Alors, au revoir ! dit-elle, et je vis devant moi son joli sourire et l’éclat de ses yeux marron.

Nous nous quittâmes.

7

Quand je suis au lit dans le noir et qu’aucun bruit ne me parvient du couloir ou des autres cellules, je pense le plus souvent aux moments passés avec elle. Ces moments où nous étions ensemble et où elle me parlait d’elle. Je ne sais plus ce qui était vérité et ce qui était mensonge. Je ne crois plus rien, mais à l’époque, quand elle parlait de ses désirs et de ses passions, j’écoutais et je sentais combien elle m’attirait, je sentais combien nous avions de choses en commun, et même une expérience commune dont nous pouvions parler sans entraves et sans façons quand nous commencions à mieux nous connaître. Quand mon intérêt se transforma peu à peu en un amour irrépressible pour elle et pour tout ce qui la concernait.