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Une orpheline comme moi qui, comme moi, crevait d’amour…

Oui, aujourd’hui, je la jouerais avec plus de tendresse…

Quant à Franck, c’est simple, il a mis le feu à la salle 204, bâtiment C, du collège Jacques-Prévert en deuxième heure de la matinée, ce jeudi d’avril de l’année je ne sais plus combien.

Affirmatif, brigadier Pimpon : le feu.

Il a virevolté, il a sautillé, il m’a taquinée, il m’a tourné autour, il a transformé le bureau de la prof en margelle de puits, il a soulevé sa chaise avant de la reposer d’un coup sec, il s’est appuyé au tableau, il a joué avec une craie, il s’est adressé à mon ombre qui s’était réfugiée entre l’armoire des dictionnaires et la sortie de secours, il s’est précipité vers les fayots du premier rang et leur a parlé comme s’il les prenait à témoin, il…

Il fut ce cavaleur, ce gamin, ce petit noble de province qui avait encore sur lui le parfum des cocottes de Paris, ce dadais, ce couillon, ce grand garçon cassant et délicat.

Et amoureux… Et fier… Et bluffeur… Et sûr de lui… Et blessé peut-être…

Oui… Blessé à mort…

Aujourd’hui que j’ai vieilli et que etc., c’est une question que je me pose aussi…

Comme Franck, Perdican devait souffrir plus qu’il n’était capable de le montrer…

Bref, tout ça pour dire que lorsque vint le moment de songer à mon Malabar plutôt qu’à ma virginité, j’entends par là, quand ces mots qui l’angoissaient tellement la veille sortirent à gros bouillons de son cœur enfin débridé (on disait ça chez nous pour les mobylettes… si tu veux qu’elles aillent genre 4 km/heure plus vite et qu’elles te pètent encore plus les oreilles, tu les débrides) quand ce fut mon tour, disais-je, de l’écouter avec bien plus d’attention que ne l’avait fait Camille en son temps parce que je savais combien il lui en coûtait de les dire, oui, quand il m’a balancé comme ça (pardon d’avance pour les erreurs, je l’ai longtemps su par cœur, mais j’ai sûrement perdu deux-trois trucs en cours de route), en me regardant droit dans les yeux et la main déjà posée sur la poignée de la porte de notre classe :

« Adieu, Camille. Retourne à ton couvent. Et lorsqu’on te fera encore de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, vaniteuses, menteuses, curieuses et dépravées ; et le monde entier n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a dans ce monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux… On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux, mais on aime. Et, quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Hé…

Même toi, tu t’es laissée prendre, hein ?

Alors, tu penses bien… le mot phoque, il a glissé là-dessus comme un pet sur la banquise…

Personne n’a ricané, personne.

Et personne n’a applaudi, non plus. Personne.

Et tu sais pourquoi ?

Non ? Si, bien sûr. Tu le devines, n’est-ce pas ?

Allons…

Ben, ils n’ont rien dit parce qu’ils l’avaient grave dans le cul, cette bande de petits pédés !

Ha ! Ha ! Ha !

Pardon, petite étoile, pardon… J’ai honte… C’était juste pour entendre mon rire dans la nuit… Pour me donner du courage et dire bonjour aux chouettes…

Pardon.

Je recommence :

Personne n’a applaudi parce qu’ils étaient tellement sous le choc que leurs crétins de cerveaux ne trouvaient plus le bouton « bras » sur la télécommande.

Le pire, c’était celui de la prof. Alors lui, il avait carrément fondu dans la boîte…

Sérieux, ça a duré longtemps, longtemps… 1… 2… 3… on aurait même pu compter les secondes comme un arbitre de boxe. Nous, on ne bougeait pas. On ne savait plus trop si on avait le droit de ressortir pour aller nous changer ou si on devait retourner à nos places avec nos déguisements et puis il y a eu une petite détonation dans le fond et, bien sûr, tous les autres ont suivi.

Tous. Fous. Déchaînés.

Comme un énorme pétard qui nous aurait sauté à la gueule.

Et… Oh…

Que c’était joli…

Mais le plus beau, pour moi, c’était maintenant :

Quand la cloche a sonné et qu’ils se sont tous barrés en récré, la prof est venue vers nous pendant qu’on remballait nos accessoires et elle nous a demandé si on était d’accord pour la rejouer devant ses autres classes. Et même d’autres profs et le directeur et tout ça.

Moi, je ne disais rien.

Je ne disais jamais rien à l’école, je me reposais.

Je ne disais rien, mais je ne voulais pas. Pas parce que j’avais eu le trac, mais parce que la vie m’avait appris à ne pas lui en demander de trop. Ce qu’on avait vécu là, c’était cadeau. Maintenant, voilà. Il était déballé et basta. Laissez-nous tranquilles avec. Je ne voulais pas prendre le risque de l’abîmer ou de me le faire chourer. J’avais si peu de jolies choses à moi et celle-ci je l’aimais tellement que je ne voulais plus jamais la montrer à personne.

Mme Guillet nous faisait ses petits yeux de Chapoté, mais au lieu de me flatter, ça m’a rendue un peu triste. Elle était bien comme les autres, tiens… Elle ne savait rien. Elle ne voyait rien. Elle ne comprenait rien. Elle n’avait aucune idée de… du chemin qu’on avait dû parcourir, tous les deux, pour pouvoir leur fermer leurs grandes gueules et les savater à la régulière…

Et maintenant ? Qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’on était des petits chiens savants ? Ben, nan, ma grande… Ben, nan… Moi, avant d’en arriver là, j’étais dans un caveau et lui, dans un caisson. Aujourd’hui, on vous a prouvé qu’on était libres quand même, très bien, c’est plié, bonjour chez vous, mais ne comptez pas sur nous pour venir vous manger des susucres dans la main. Parce que pour nous, c’était pas une scène, vous savez…

C’était pas du théâtre, c’était pas des personnages. Pour nous, c’était Camille et Perdican, deux petits gosses de riches bien trop bavards et super égoïstes, mais qui nous avaient pris par la main quand on était dans la merde et qui venaient de nous la rendre sous vos applaudissements, alors circulez avec vos envies de spectacles, circulez. On ne joue plus et on ne jouera jamais plus pour la simple et bonne raison qu’on n’a jamais joué.

Et si vous ne l’avez pas déjà compris, c’est que vous ne le comprendrez jamais, alors… sans regret…

– Vous ne voulez pas ? elle a répété, toute déçue.

Franck m’a regardée et je lui ai fait un minuscule non de la tête. Un signe que lui seul pouvait voir. Un code. Un frémissement. Un truc de frères indiens.

Du coup, il s’est tourné vers elle et il lui a dit comme ça, genre définitif et super détendu du slip :

– Non merci. Billie n’y tient pas et je respecte sa volonté.

Et ça, vraiment, ça, ça m’a percutée de plein fouet.

Ça, j’ai encore la marque et je ferai jamais rien pour la cacher.

J’en suis trop fière…

Parce que sa gentillesse, sa patience, la gentillesse de Claudine, sa grenadine périmée depuis 1984, ses Pépito, son Banga, ses mains toutes chaudes sur ma nuque pendant qu’elle arrangeait ma robe, le silence de tout à l’heure, les applaudissements de folie, la prof qui m’avait encore jamais calculée autrement que pour m’humilier ou m’aligner des zéros et qui maintenant se tortillait devant moi pour aller faire sa belle devant le dirlo, tout ça c’était bien agréable, je ne dis pas, mais ça comptait que dalle comparé à la phrase qu’il venait de prononcer…