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Que. Dalle.

« Je respecte sa volonté. »

On respectait ma volonté.

Et devant un prof en plus !

Mais… Mais moi, certains soirs, juste pour avoir de quoi bouffer, y fallait que je me batte ! Moi, y avait des matins, je ne savais même pas si mes… non, rien… Moi, le mot respect, il était tellement vide que je comprenais même pas pourquoi on l’avait inventé ! Je croyais que c’était un truc à la con pour finir une lettre. Genre mes respects monsieur le président avec la signature en bas et tout ça et là… là… ce petit gars, là… ce petit Franck Mumu qui devait peser dans les cinquante kilos tout mouillé, qu’est-ce qu’y faisait ? Y mettait une prof au taquet devant moi et il la forçait à me regarder d’un air suppliant ?

Oh, mon Dieu. Ça c’était grand.

Ça, c’était quelque chose…

Pardon ? De quoi, les ploucs ? Vous voulez encore nous emmerder ? Oh, ben, non. Non, merci. Y se trouve que Billie n’y tient pas tellement et que quelqu’un respecte sa volonté.

Ah, ça…

Ça, ça m’a mise au monde…

D’ailleurs dès que la mère Guillet a tourné les talons, moi qui n’ouvre jamais la bouche dans une salle de classe, je me suis mise à hurler. À hurler comme une bête sauvage. Soi-disant pour décapsuler, mais en fait, et je m’en rends compte seulement maintenant, ce n’était pas du tout une histoire de stress qui retombait ou de pression à évacuer, c’était le cri du nouveau-né.

J’ai hurlé, j’ai ri et j’ai vécu.

Alors, tu sais, petite étoile, je vais vraiment tout tenter pour te convaincre de nous aider encore une fois, mais si tu ne veux pas, t’inquiète, le Francky, je le sauverai quand même.

S’il le faut, je le prendrai sur mon dos et j’irai jusqu’au bout du monde en serrant les dents. Oui, s’il le faut, je me le trimbalerai jusqu’à la lune et on finira aux urgences de la planète Mars, mais en attendant, pas de souci, toi et tous les autres, vous pouvez compter sur moi pour que ma volonté soit faite.

J’avoue, j’ai un peu fait durer le plaisir jusqu’ici mais rassure-toi : la suite ira plus vite. Note, j’ai pas trop le choix, vu que les nuits sont courtes en ce moment et que je ferais mieux de me grouiller si je veux tout débobiner avant que tu disparaisses.

Mais là, tu comprends, c’était important parce que c’était la première saison. Genre la mise en place et tout ça. Après ce seront juste des épisodes plus ou moins réussis qui s’enchaîneront jusqu’à toi.

En plus, tu les connais déjà…

T’étais là…

Si…

T’étais là.

Bon, des fois, c’est vrai, t’étais distraite, mais je le sais, que tu étais avec nous. Je le sais.

Pour le premier épisode, je me suis appliquée parce qu’on ne radine pas avec notre rencontre. Le cœur de notre amitié est enfermé dans cette scène. Tout y est, d’ailleurs, tout… Notre façon d’être, de ne pas être, d’en baver, de papoter, de nous aider et de nous aimer. Comme je l’ai dit à Francky un jour, nous c’est les vases communicants sauf que c’est de la vraie vase à l’intérieur, donc oui, c’était important pour moi de bien te raconter nos débuts dans la vie…

Et puis ça va, hein ? Y en a bien qui te pondent des bouquins en six volumes sur leur enfance et encore quatre de plus sur leur première capote, moi, je te plie le truc en une scène, admets que c’est correct.

*

Je ne dis pas que tout a été plus facile ensuite, mais on était deux, donc si, je le dis : tout a été plus facile ensuite. En récré, déjà, on nous appelait Camille et Perdican. Hé ? ça nous posait, non ?

Justement parce que nous n’avions pas voulu le répéter, notre exploit est devenu un genre de truc mythique et ceux qui étaient absents ce jour-là parce qu’ils étaient malades ou je ne sais quoi, d’après les autres, c’était comme s’ils avaient raté une épreuve olympique où la France aurait topé l’or.

Les kilomètres de phrases hyper ornementées que la morveuse aux caravanes savait sur le fil du rasoir, la colère de Franck Mumu qui expliquait d’une voix de killer comment l’amour ça vous déchirait une femme et nos super beaux costumes sur mesure, c’était devenu énorme. Je n’ai pas eu de meilleures notes pour autant ni Franck plus d’amis, mais bon, au lieu de nous insulter, on nous ignorait. Alors merci Alfred de Musset, merci.

(Même si, j’insiste, t’étais pas obligé de buter la petite Rosette pour servir ta cause.) (Si tous les cocus en faisaient autant, y aurait plus grand monde d’intéressant sur cette planète…)

*

Franck et moi, on n’est pas devenus inséparables parce que trop de choses nous séparaient encore : son père totalement barré qui avait transformé son chômage longue durée en crise de paranoïa aiguë et qui passait toutes ses journées sur Internet à échanger des informations top secrètes avec ses amis légionnaires de la chrétienté, sa mère qui gobait des kilos de médocs pour oublier qu’elle vivait avec un barjot pareil, mon père à moi qui n’avait pas besoin d’un ordinateur pour avoir l’impression d’être un genre de légionnaire en service commandé et mon éponge de belle-mère avec toute sa clique de rats, de rates et de ratons qui ne faisaient que de gueuler toute la journée. On avait beau essayer de faire les fiers, tout ce merdier, ça nous plombait bien le cul quand même…

Pardon pour ma grossièreté. Toute cette fatalité, ça nous plombait bien nos ailes de mignons petits pioupious largués dans les mauvais nids quand même…

En plus, moi, parce que j’étais plus faible que lui, j’essayais toujours de rentrer dans des groupes et de me faire aimer des autres, alors que lui, c’était un solitaire. Lui, c’était le héros de la chanson de Jean-Jacques Goldman : il marchait seul sans témoin sans personne, que ses pas qui résonnent et la nuit qui pardonne et tout ça.

Sa solitude, c’était sa béquille, comme moi, mes bandes de filles à la con.

Une fois ou deux, au début, j’avais essayé de venir lui parler pendant la récré ou de m’asseoir à côté de lui à la cantine mais, même s’il était toujours gentil avec moi, je sentais que je le troublais en surface alors j’ai pas insisté.

On ne se parlait que le mercredi midi parce qu’il allait déjeuner chez Claudine et que, du coup, je ne prenais pas le car pour faire un bout de chemin avec lui.

Au début, elle m’invitait à rester, mais comme je répondais toujours non, elle aussi a fini par ne plus insister.

Je ne sais pas pourquoi je refusais. Toujours cette histoire de cadeau trop beau et bien remballé, je crois… J’avais peur, si je revenais dans cette maison, d’abîmer des choses. Ces vacances de Pâques, c’était mon seul beau souvenir et je n’étais pas encore prête à le sortir de sa vitrine.

Là, tu ne t’en rends pas trop compte parce qu’y a que moi qui jacte vu que Francky comate et que j’ai appris à l’ouvrir entre-temps, mais à l’époque, j’étais très peureuse.

Très, très peureuse…

C’était pas comme si j’avais été vraiment tabassée dans mon enfance, genre au point de finir en première page du magazine Détective ou quoi, mais j’étais tout le temps un petit peu tapée.

Tout le temps, tout le temps, tout le temps…

Une petite claque par-ci, une petite claque par-là, un petit gnon par en dessous, un petit coup de pied dans les jambes quand je me trouvais dans le passage ou quand je m’y trouvais pas, des mains toujours levées pour faire genre attends que j’t’en colle une et tout ça, et ça m’avait… comment dire ?

Un jour, je me souviens, j’avais lu en cachette, dans une brochure du CDI, un truc sur l’alcool qui disait que, bien sûr, il ne fallait pas boire, mais que si tu prenais genre une grosse cuite un soir, c’était comme de jeter un seau d’eau sur un plancher : c’était pas top, mais bon, après tu passais un coup de serpillière vite fait, le plancher séchait et on n’en parlait plus, alors que l’alcoolisme, même bien caché et même sous contrôle, c’était comme un goutte-à-goutte et que, petit à petit, goutte d’eau après goutte d’eau, à la fin t’avais forcément un trou dans le bois. Et même dans le plus solide…