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Parce que ce n’était pas moi, la fille hyper vulgaire qui traînait au marché, ce jour-là. Habillée en pouf, montée sur échasses et maquillée comme une voiture volée. Non, c’était pas la Billie dont on avait envie de respecter la volonté, c’était… un genre de pute…

Eh oui, il faut dire les choses comme elles étaient, petite étoile… Ces années passées dans la plus merdique des salles d’attente, ce n’était pas à la Camille de Perdican qu’elles me faisaient penser, mais plutôt à la Billie Holiday de sa mère…

Bien sûr que je faisais la pute, bien sûr… Je le savais… Mais quoi ? J’avais découvert qu’avec mon corps, je pouvais obtenir une certaine tranquillité, de quoi bouffer et même… même… en cherchant bien, un peu d’affection. Alors… J’aurais été bien conne de m’en priver, non ? Je ne les aimais pas des masses, tous ces garçons qui me permettaient de vivre loin des Morilles, mais je ne prenais pas les pires non plus… Et puis… entre pute chez les riches et pute chez les pauvres, y a pas une si grande différence que ça, si ? Après, c’est juste une question de nombre d’habits… Les miens, y tenaient dans un sac Auchan et y en avait d’autres, c’était dans des beaux dressings, mais bon… à chacune sa jauge et ses profits, pas vrai ? Moi, je faisais comme je pouvais et, en attendant de pouvoir faire autrement, je faisais avec mon cul.

J’étais obsédée par mes dix-huit ans. Pas parce que ça m’aurait permis de passer mon permis et de rouler en Mini (ha ha) ou d’aller jouer au casino (ha ha ha), mais parce que je savais que je serais plus détendue pour aller voler dans les magasins. Là, si je me faisais choper, c’était forcément mon père qu’on aurait appelé et ça, non. Ça, c’était retour direct à la case enfer. Du coup, je ne piquais que des petits trucs et c’était plus long pour moi que pour d’autres de me faire respecter.

Voilà. C’était ça, ma vie et c’était ça, mes grands projets d’avenir…

Donc oui, que Franck Mumu ait fait semblant de ne pas m’apercevoir c’était classe de sa part…

Depuis, je lui ai reparlé plusieurs fois de ce jour-là, de cet instant tellement étrange où j’ai connu la honte et le soulagement dans la même seconde et il continue de me jurer qu’il ne m’avait vraiment pas vue. Mais moi, je sais que si, et je le sais à cause de Claudine…

Encore plus tard, un matin, je l’ai croisée dans un café. J’achetais des clopes et elle des timbres fiscaux. Bien sûr, elle m’a souri et tout, mais j’ai vu dans son regard le chemin décevant que j’avais parcouru depuis le temps de nos répétitions.

Oui. Je l’ai vu. Ce fut rapide et bien vite camouflé, mais moi, à cause de mon enfance en self-défensive, je suis très forte pour détecter les moindres pensées secrètes dans le regard des gens qui m’envisagent. Très très forte… Elle m’a embrassée comme si de rien n’était, elle m’a dit en riant qu’elle n’était pas d’accord pour me payer ma drogue, mais qu’elle voulait bien m’offrir une Chupa Chups et un truc à gratter si je voulais et que je n’avais qu’à les choisir et là… là, elle a dû le voir, sous mes cils de pétasse chargés à mort au mascara chouré, que j’étais déjà au bord des larmes tellement ça faisait longtemps que personne ne m’avait fait de cadeau… Oui. Elle l’a vu, mais au lieu de faire genre : Oh, ma petite chérie… Oh que la vie est dure avec toi… et Oh que tu es méconnaissable dans ce déguisement qui te va si mal et qui te vieillit tant, elle a ajouté un truc qui voulait dire exactement la même chose, mais en bien plus beau…

Oui, au moment de nous séparer dans la rue, elle a fait celle qui venait juste de s’en souvenir et elle m’a lâché comme ça :

– Dis donc, ma petite Billie… Il faudrait que tu passes à la maison un de ces jours parce que j’ai une lettre pour toi… Et même deux, je crois…

– Une lettre, j’ai fait, mais une lettre de qui ?

Elle était déjà loin quand elle a ajouté en criant à moitié :

– De ton Perdicaaan !

Et je pleure.

Mais là, je peux, hein ?

Oui.

Là, je peux.

Parce que c’est de la bonne larme ça, madame…

J’ai attendu plusieurs jours avant d’aller la voir.

Je ne sais plus ce que je m’inventais encore comme raisons, mais la seule de réglo, c’est que j’avais peur. J’avais peur de retourner chez elle toute seule, j’avais peur d’y retourner tout court et surtout, j’avais peur de ce que Franck avait à me dire. Est-ce qu’il allait me demander si c’était bien moi, la roulure qu’il avait aperçue l’autre jour devant le marchand de poulets ? Est-ce qu’il allait me demander combien de mecs il fallait que je suce pour avoir un beau blouson en cuir comme celui-là ? Est-ce qu’il allait me dire qu’il était déçu et qu’il préférait ne plus jamais me revoir tellement je lui faisais honte ?

Oui, j’avais peur et j’ai attendu au moins cinq jours avant d’oser frapper à sa porte…

J’y suis allée en mode Billie d’autrefois, c’est-à-dire à pied, en jean et sans maquillage. Bien sûr, c’était sûrement qu’un détail pour elle, mais pour moi, non. Pour moi, c’était comme un retour heureux en enfance heureuse.

Je ne me souvenais même plus de la tête qu’avait mon visage sans toutes les saloperies que j’y plâtrais pour me cacher derrière. Oui, j’avais peur d’aller chez Claudine, mais en me faisant une queue-de-cheval, ce jour-là, je me suis souri dans la glace. Pas parce que je me trouvais belle, mais parce que j’avais l’air d’une gamine et… oh… que ça m’avait fait du bien, ce petit sourire imprévu.

Que ça m’avait fait du bien…

*

C’était vraiment mon nom sur les enveloppes… Mademoiselle Billie chez madame Claudine Truc et tout ça.

Mademoiselle Billie…

Purée, ça m’a fait bizarre… C’était la première fois de ma vie que je recevais une lettre… Des lettres, même ! La première fois… Avec un vrai timbre, une vraie enveloppe et une vraie écriture d’être humain.

Bien sûr, je ne suis pas restée. Je ne voulais pas les ouvrir devant elle et même, je crois que je ne voulais pas les ouvrir du tout. Elles aussi, je voulais les ranger direct dans ma vitrine et les garder non déballées pour toujours.

Je les ai mises dans ma poche et j’ai marché.

J’ai marché sans savoir où j’allais. Enfin, ma tête ne savait pas, mais mes jambes, si. Comme elles sont plus intelligentes que moi, de détour en détour, elles ont fini par me conduire jusque dans mon caveau de Camille…

J’ai poussé la vieille porte, je m’y suis faufilée et je me suis rassise sous le petit autel comme autrefois.

L’oubli, le calme, le silence, les dessins du lichen, le chant des oiseaux, le vent qui secouait les chaînes rouillées et tout ça, ça m’a fait tellement de bien aussi… Ça me rappelait la petite Billie qui ne couchait pas encore à tour de bras et qui voulait ressembler à une fille beaucoup plus noble qu’elle… Ça me rappelait un moment de ma vie où j’apprenais par cœur et facilement des sentiments qui étaient beaux et qui me faisaient croire que j’avais du potentiel pour la suite.

Si y avait eu un psy dans les parages, il aurait sûrement fait tout un discours comme quoi j’étais recroquevillée là-dedans comme dans le ventre de ma mère ou je ne sais quelle connerie dans le genre, mais y avait pas de psy. Y avait juste les lettres de Franck Mumu et c’était quand même vachement plus efficace…

J’étais bien. Je me suis oubliée et je me suis même un peu endormie.

Au bout d’un moment, j’ai fini par les ouvrir dans l’ordre de leur arrivée. La première était écrite sur une copie simple à grands carreaux et elle disait :

Salut Billie. J’espère que tu vas bien, moi je vais bien. Tu sais, je n’ai plus trop le temps d’aller voir ma grand-mère le week-end et je pense que ça lui manque alors j’ai décidé de t’écrire chez elle toutes les semaines comme ça, toi t’iras la voir pour moi. Merci de me rendre ce service. J’espère que ça ne t’embête pas trop. Bisou, F.