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C’est dans ces cas-là qu’une maman ça doit être bien… Une maman méchante qui te fait les gros yeux ou une gentille qui t’aide à ramasser les rouleaux d’essuie-tout et les balais avant de te pousser vers la sortie.

C’était ce que j’étais en train de penser sur le chemin du retour. Qu’il fallait que je sois ma propre mère. Au moins pour une journée dans toute ma vie. Que je fasse pour moi ce que j’aurais fait si j’avais été ma fille. Même chiante. Même pleureuse. Même si Michael m’avait lâchée entre-temps.

Allez, je pouvais bien essayer quand même…

J’avais fait des trucs tellement plus durs…

Je marchais tête baissée, je scritchais les trottoirs avec mes talons pointus, je me faisais la mère et la fille à tour de rôle en m’énervant toute seule.

J’étais soûlée. J’étais mauvaise. J’étais grossière en interne.

J’avais pas l’habitude de l’autorité. Et putain, qu’est-ce qu’elle venait me faire la morale maintenant, celle-ci ? Après tout ce qu’elle m’avait imposé comme souffrances ? Tous ces chatons en miettes que j’avais dû enterrer en secret, tous ces cadeaux des fêtes des mères que j’avais été obligée de rater tellement ça m’aurait détruite d’offrir quelque chose de joli à ma belle-mère, toutes ces maîtresses qui avaient cru pendant des années que j’avais deux mains gauches et qui m’avaient regardée comme une demeurée. Toutes ces connes qui avaient confondu ma tendresse et ma pauvreté…

Tous ces chagrins… Tous ces petits chagrins à la queue leu leu.

Merde, c’était trop facile de venir m’expliquer la vie aujourd’hui…

Dégage, souillon.

Dégage.

Ça, tu sais faire.

Je fronçais les sourcils et je me jetais des regards de vipère dans les vitrines.

Je me disais non, non, non et si, si, si.

Non.

Si.

Non.

Si je ruais ainsi dans mes brancards, ce n’était pas pour faire mon ado rebelle, c’était parce que ce que je me demandais là, c’était trop dur pour moi. Beaucoup beaucoup trop dur… Je voulais bien tout le reste, mais pas ça.

Pas ça.

J’avais prouvé que j’étais capable de prendre le risque d’aller en taule pour Franck, mais ce que ma Dame Pluche exigeait encore de moi aujourd’hui, c’était pire que la prison comme danger.

C’était pire que tout.

Parce que je n’avais et je n’aurais jamais que ça au monde entre le quart monde et moi.

C’était mon seul rempart. Ma seule sécurité. Je ne voulais pas y toucher. Jamais. Je voulais le conserver intact jusqu’à ma mort pour être sûre et certaine de ne jamais repiquer aux humiliations des cheveux qui grattent et des plis de peau qui commencent à sentir le hamster mort.

Toi, l’étoile, tu ne peux pas comprendre. Tu dois penser que j’invente des phrases à grandes emmanchures pour faire genre comme dans un livre.

Que je me la joue Camille. Toute seule et dépecée face au monde entier.

Personne ne peut comprendre. Personne. Y a que moi qui peux. La Billie de son cimetière à petits chats…

Donc je t’emmerde.

Je vous emmerde tous.

C’est niet.

Jamais je ne toucherai à mon assurance vie.

Je suis rentrée, j’ai encore évité le regard de Franck qui révisait dans notre chambre et je me suis changée.

J’étais en train de regarder une émission débile quand ce crétin d’Aymeric de La Porte du Garage à Saint-Pierre est rentré de son école de commerce avec sa raquette de tennis dans le dos.

Genre pour faire trop cordial, il a lancé comme ça :

– Et alors ? Qu’est-ce qu’on mange de bon, ce soir ?

– Rien, j’ai dit en continuant de me revernir les ongles avec une couleur un peu plus classe que la précédente, ce soir, j’invite mon ami Franck au restaurant.

– Aaaah ouiiii ? il a fait en continuant de galocher le calot brûlant qu’il avait toujours sous la glotte, et que lui vaut cet honneur ?

– On a un truc à fêter.

– Aaaah bon ? Et peut-on savoir quoââ si ce n’est pas trop indiscret ?

– La perspective de ne plus jamais voir ta sale gueule d’hypocrite, petit trou du cul.

– Oooh ! Mais quelle chaaance !

(Ben oui, parce que je m’étais dégonflée. J’avais dit : « C’est une surprise » à la place.)

Merde… le ciel devient de plus en plus clair… Il faut vraiment que je me dépêche au lieu de te faire ricaner bêtement avec l’autre crétin.

Allez, boucle ta ceinture, ma titine with diamonds in the sky parce que je vais mettre le turbo, là…

J’ai plus le temps de fignoler alors je te fais la fin de la saison 3 en a-ziiiiiit-vance ra-ziiiiiiit-pide.

J’ai donc invité Franck dans une pizzeria tenue par des Chinois et, tandis qu’il crevait la croûte de sa calzone, j’ai pris nos vies en main pour la deuxième fois de nos vies.

Je lui ai raconté la promesse secrète que je m’étais faite quand on était encore tout minots sur la passerelle du pont des Arts.

Comment j’avais pas osé la lui dire à voix haute, mais qu’elle existait toujours dans ma tête et que le moment était venu pour moi de la tenir…

Je lui ai dit qu’on allait se casser d’ici. Que c’était trop moche, que son cousin était trop con et qu’on n’avait pas fait tout ce chemin pour revoir de la laideur et se fader un nouveau genre d’abruti. Mieux habillé, je ne dis pas, mais aussi débile que les mecs des Prévert.

Je lui ai dit qu’il devait nous trouver un endroit où vivre, mais à l’intérieur de Paris. Même un truc tout petit. Qu’on y arriverait. Que notre chambre ici était petite aussi et qu’on s’était déjà prouvé qu’on se respectait. Que moi, j’avais toujours vécu dans des caravanes et que ça me faisait pas peur de rapprocher encore les murs. Que ça, c’était dans mes cordes. Qu’en matière de logement, j’étais à toute épreuve.

Je lui ai dit que mon moment préféré de la journée, c’était le soir, quand je le voyais de dos, qui dessinait au lieu d’apprendre des lois à la con que personne ne respectait jamais.

Oui, que c’était la seule chose belle que j’avais vue depuis qu’on était ici : ses dessins. Et surtout, son visage enfin détendu quand il était penché dessus. Son visage de Petit Prince que j’aimais tant quand j’étais gamine et que je l’apercevais au loin dans la cour. Ses cheveux en pétard et son écharpe claire qui m’avait fait tellement rêver à un moment où j’en avais eu tellement besoin…

Je lui ai dit qu’il devait me prouver qu’il avait du courage, lui aussi, et qu’il ne pouvait pas continuer à m’expliquer le sens de la lumière en me demandant de larguer les amarres avec ma famille et faire exactement le contraire.

Je lui ai dit qu’il aimait les garçons et qu’il avait raison parce que c’était bien d’aimer qui on aimait, mais que, et il fallait qu’il l’imprime une bonne fois pour toutes dans sa petite tête dure, qu’entre son père et lui, c’était mort pour la vie.

Que c’était pas la peine qu’il se fasse chier à devenir avocat pour se faire pardonner sa sexualité vu que ça ne changerait rien du tout. Que son père ne le comprendrait jamais, ne l’accepterait jamais, ne lui pardonnerait jamais et ne s’autoriserait plus jamais à l’aimer.

Et qu’il pouvait me faire confiance sur ce point parce que j’étais la preuve vivante que les parents pouvaient faire ça aussi : débrayer.

Et que j’étais aussi la preuve vivante qu’on n’en mourait pas pour autant. Qu’on se démerdait autrement. Qu’on trouvait d’autres solutions en chemin. Que lui, par exemple, il était mon père, ma mère, mon frère et ma sœur et que ça m’allait très bien. Que j’étais très contente de ma nouvelle famille d’accueil.

Là, déjà, je crois que je chialais ma larmichette et que sa calzone était presque froide, mais j’ai continué, parce que je suis comme ça, moi : ou pute ou porte-avions.