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Vue d’en haut, la colonie des mineurs ressemblait tout à fait à leurs représentations dans les sims : un espace dégagé de terre battue couvert d’un ensemble de tertres en boue et en enduit. Les restes noircis de feux de cuisson criblaient le sol. Hayes fit une fois le tour de la colonie avant de descendre en une lente spirale, cherchant à repérer d’éventuels prédateurs qu’auraient attirés les piles de déchets des mineurs. Mais le ciel était dégagé. Sur une impulsion, Zoé se laissa tomber devant Hayes. Il ne la réprimanda pas, et elle prit soin de rester dans son périmètre de sécurité.

Elle tenait à voir les mineurs.

Seules des images fixes étaient parvenues sur Terre par la liaison à particules jumelles. Elle avait donc vu de nombreuses photographies et même les images d’une télé-autopsie d’un mineur victime de quelque prédateur et dont le cadavre, récupéré par les tractibles, avait été disséqué par des télésenseurs chirurgicaux. Il en restait encore quelques morceaux dans la collection de boîtes à gants de Yambuku : des échantillons congelés de tissus bleus et rouges. Zoé avait écouté les enregistrements des vocalisations des mineurs et les avait analysés pour tenter de mettre en évidence une grammaire interne, avec des résultats pour le moins ambigus. Elle connaissait les mineurs aussi bien qu’il était possible à un observateur externe. Mais elle ne les avait jamais vus in vivo.

Hayes semblait comprendre son excitation, son impatience. Sa libellule planait à proximité, comme pour la protéger. « Ne vous approchez pas trop, Zoé, et n’oubliez pas vos indicateurs. »

Il n’y avait pas d’espèce vertébrée plus largement distribuée sur Isis que les mineurs. On en avait trouvé sur les deux principaux continents et sur plusieurs des archipels : leurs colonies étaient assez complexes pour être détectables depuis l’orbite.

Ils construisaient des tertres et excavaient du calcaire ; ils disposaient d’une technologie sommaire – lames de silex, feux, éperons – et d’un langage – si toutefois c’en était un – tout aussi sommaire. Ils semblaient communiquer par le biais de vocalisations, mais peu fréquemment, presque jamais à des fins sociales : ils signalaient mais ne conversaient pas.

Toute tentative d’étude plus poussée s’était heurtée à la toxicité de la biosphère d’Isis, à l’impossibilité d’interagir avec eux sinon par l’intermédiaire de télésenseurs ou de tractibles… et à la difficulté de déterminer ce qu’il se passait à l’intérieur des profonds tunnels des tertres où ils passaient une bonne partie de leurs journées.

Zoé franchit la cime des arbres au milieu d’une cacophonie de chants d’oiseaux. Des branches supérieures pendait une multitude de fleurs semblables à d’immenses orchidées bleues ; non pas la floraison des arbres, mais celle d’une espèce rivale, un parasite saprophyte dont les organes staminés jaillissaient des corolles en doigts roses saupoudrés de pollen cuivré.

Elle descendit encore plus bas, sous la canopée, dans un espace d’ombre mouchetée de lumière où des plantes qui ressemblaient à des fougères se déployaient à partir des fissures humides séparant les racines apparentes des arbres. Pas trop bas, lui rappela Hayes, un triraptor ou un lézard solaire pourrait surgir d’une souche ou d’un trou et broyer son télésenseur entre ses mâchoires. Ses ailes bruissant doucement, elle plana dans la pénombre généreuse qui s’étendait entre deux énormes araucarias et porta son attention sur la colonie.

C’était une colonie ancienne et bien établie. Le dernier recensement sommaire lui attribuait près de cent cinquante mineurs, qui tiraient leur subsistance des bosquets d’arbres fruitiers à l’ouest, de l’abondant gibier, et du ruisseau d’eau claire – presque une rivière à la saison des pluies – qui descendait des montagnes de Cuivre. À l’ouest se trouvait une prairie de mauvaise broussaille où ils rassemblaient leurs excrétions et enterraient leurs morts. La colonie proprement dite était un ensemble de tertres mi-roche, mi-argile rouge, chacun d’au moins cinquante mètres de large et couvert de buissons et de mycélium fongique.

Les trous des mineurs, étroits et sombres, étaient renforcés d’une substance comparable à du béton qu’ils produisaient en mélangeant de la craie ou de l’argile avec leurs propres déjections liquides.

Deux mineurs se trouvaient dans la clairière, penchés sur leur travail tels des cloportes décolorés. L’un s’occupait du feu collectif qu’il alimentait de feuilles mortes séchées. L’autre grattait un morceau de bois pour fabriquer un épieu, qu’il retournait de temps à autre au-dessus des flammes. Ils bougeaient peu. Zoé se demanda s’ils s’ennuyaient. Des silex et des éclats rocheux jonchaient le sol dur.

« Pas vraiment beaux, comme animaux », dit Hayes.

Elle avait oublié qu’il se trouvait près d’elle et sursauta au son de sa voix : trop proche, trop intime. Son télésenseur fit un écart dans la pénombre.

Les yeux noirs d’un des mineurs pivotèrent pour la regarder un instant. Plus de quinze mètres le séparaient d’elle.

« Ils le sont, pourtant », murmura Zoé (mais pourquoi murmurer ?). « Beaux, je veux dire. Mais pas d’une beauté abstraite. Ils sont magnifiquement fonctionnels, magnifiquement adaptés à ce qu’ils font.

— C’est une façon de voir les choses. »

Elle haussa les épaules, encore un geste pour rien. Les mineurs étaient vraiment magnifiques, et peu lui importait que Hayes s’en rende compte ou pas.

Ils avaient été formés par une évolution plus forte, plus rude. L’un d’eux se redressa dans la lumière, et elle put apprécier la polyvalence qu’Isis avait construite en lui, comme une espèce de couteau suisse vivant. Debout, il atteignait une hauteur d’un mètre cinquante. Sa tête grise et bombée se détachait d’un manchon de chair qui évoquait le cou d’une tortue. Ses yeux, noirs et d’une grande sensibilité, roulaient dans des orbites rotatives. Ses membres supérieurs, ceux qui, munis de doigts en forme de pelle, lui servaient à creuser, pendaient de hautes épaules. Un bras de manipulation, de taille plus réduite, tenait le nouvel épieu de ses pouces à jointures multiples enroulés autour du bois. Ses plaques ventrales en cartilage se dilataient et se contractaient quand il bougeait, lui donnant l’apparence de quelque chose de trop flexible pour sa taille, comme un mille-pattes géant.

Il ouvrit sa gueule en forme de bec et émit une série de clics discrets à laquelle son congénère ne prêta aucune attention. Se parlait-il à lui-même ?

« C’est Grand-Père, l’informa Hayes.

— Pardon ?

— Le mineur à l’épieu. Nous l’appelons Grand-Père.

— Vous avez donné des noms aux mineurs ?

— Seulement à quelques-uns, les plus reconnaissables. Lui, c’est Grand-Père, à cause de ses moustaches. Ses longues antennes blanches et courbées. À Yambuku, tout le monde est déjà venu ici par télésenseur, souvent plusieurs fois, et Grand-Père nous rend la politesse de temps à autre.

— Il vient à la station ? » Pourquoi cela ne figurait-il pas dans les rapports ? À cause du triage d’informations de Degrandpré, supposa-t-elle, qui avait sacrifié des données zoologiques au profit de statistiques de production.

« Tous les trois ou quatre jours, un peu avant le crépuscule, il rôde autour du périmètre de la station. On dirait qu’il se renseigne sur nous ; il observe les tractibles lorsqu’ils sont en activité, par exemple.