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— Ils sont donc curieux de nous.

— Eh bien, celui-là, oui. Peut-être. À moins que nous ne bouchions le chemin de son emplacement de pêche préféré. Mieux vaut éviter de tirer des conclusions hâtives du comportement d’un seul individu. »

Zoé fit décrire un cercle irrégulier à sa libellule pour essayer d’attirer une nouvelle fois l’attention du mineur. Grand-Père fixa aussitôt ses yeux sur elle.

Le sentiment d’être vue était presque effrayant. Sur sa chaise, dans la cabine de contrôle, Zoé frissonna.

« En parlant de crépuscule, reprit Hayes, les insectivores nocturnes se mettent en chasse dès que les ombres s’allongent. Il faudrait songer à rentrer chez nous. »

Mais j’y suis déjà, se dit Zoé. Je suis chez moi.

Cinq

On avait surnommé Hayes « le moine de Yambuku », en partie parce qu’il était l’un des plus anciens sur Isis, mais aussi parce qu’il était toujours en train de travailler. Il s’occupait avec diligence des corvées administratives, même s’il considérait qu’elles le détournaient de son objectif : il appréciait par-dessus tout les moments rares – comme celui-ci – qu’il pouvait passer dans le labo sans autre préoccupation immédiate que la micro-anatomie des cellules isiennes.

À la base de ce que la vie avait accompli sur Isis, il y avait l’ADN. À l’instar des formes de vie terrestres, les organismes isiens se servaient de ces molécules à longue chaîne pour enregistrer et altérer de l’information héréditaire. Mais l’ADN était une molécule encodable, une page vierge, et sur des pages identiques, la Terre et Isis avaient écrit deux histoires différentes.

On n’avait trouvé aucune preuve d’une quelconque extinction en masse sur Isis. Au début de son histoire, le système stellaire isien avait connu les événements violents que connaît toute jeune étoile. Des météores, en s’écrasant sur Isis, lui avaient amené eau et molécules organiques. Mais un événement inconnu – ou peut-être la présence, dans le système externe, d’une énorme géante gazeuse deux fois plus grosse que Jupiter – avait ensuite emporté au loin une grande partie de sa roche et de sa glace, au moins aussi loin que l’équivalent isien de la ceinture de Kuiper. Au moment de l’apparition de la vie, Isis était un monde bien plus tranquille que la Terre primitive.

La vie sur Isis était un fleuve plus long et plus profond, à l’histoire lente et d’une exfoliation complexe, ponctuée de vagues de prédation et de parasitisme plutôt que de périodes glaciaires ou d’impacts cométaires. L’écologie isienne était une détente armée en développement. Munie d’armes redoutables et de défenses ingénieuses.

Ce qui faisait entre autres de la planète une vaste et nouvelle pharmacopée. L’essentiel du financement de l’exploitation de Yambuku provenait d’ailleurs des collectifs pharmaceutiques chapeautés par le Trust des Travaux. Cela n’allait pas sans poser quelques problèmes : il fallait ainsi justifier auprès des comptables du Trust tout ce qui sortait de Yambuku. Nulle place, ici, pour la science pure, on le faisait clairement comprendre aux employés d’origine kuiper. Hayes était particulièrement apprécié des Trusts, présumait-il, précisément parce qu’il n’était pas reparti chez lui pour y publier aussitôt une dizaine d’articles dans des revues scientifiques indépendantes ; un comportement qui, pour les Trusts, revenait à offrir à qui en voulait ce pour quoi ils avaient payé.

Il termina sa microdissection d’une entité bactérienne qui se développait sur les joints extérieurs, enregistra ses résultats et nettoya la boîte à gants au profit de l’équipe de l’après-midi.

Il leva les yeux lorsque Elam entra dans le labo. À force, il avait appris à reconnaître le bruit de ses pas. L’équipage de Yambuku comptait seize personnes, la plupart sur la base d’une rotation annuelle ; quelques-uns pourtant, principalement Elam Mather et lui, y vivaient depuis presque cinq ans. Les Kuipers supportant bien mieux ce genre d’intimité que les Terriens ou les Martiens, ils constituaient l’essentiel de l’équipe, bien que tous soient venus sur Isis en tant qu’employés des Trusts.

« Les dernières données transmises par la station orbitale », annonça Elam, le défileur à la main. « Tu veux t’en occuper maintenant ou plus tard ? »

Il soupira et céda sa place devant la boîte à gants à Tonya Cooper, une interne en microbiologie, qui, debout près d’une paillasse, tapait du pied d’impatience. « On peut voir ça en déjeunant, non ?

— On peut. »

Elam emmena son défileur au réfectoire mais le laissa de côté pendant leur repas. La nourriture de Yambuku se résumait à des pavés nutritifs divers et peu appétissants, assemblés à partir de produits du sous-sol des jardins de la station orbitale. Elam appelait ça des « protéines comprimées » ou, avec moins de complaisance : du « compost ».

« Il faut trouver une substance plus inerte pour les joints, dit-il.

— C’est possible ? »

Il haussa les épaules. « Pose la question aux ingénieurs. Dans la situation actuelle, on passe plus de temps en maintenance qu’en recherche fondamentale. Et on prend des risques inutiles. »

Et ce sont des vies que nous risquons, songea-t-il. Yambuku semblait d’un calme sinistre sans les rugissements de Mac.

Elam afficha le planning sur son défileur. Hayes approcha sa chaise.

« Premier point, dit Elam. Tia et Kwame estiment que la combinaison d’excursion de Zoé est prête pour une promenade d’essai. Bien sûr, Zoé meurt d’impatience de sortir. Nous, nous voulons un petit tour en terrain dégagé, sous surveillance rapprochée, avec un partenaire en armure conventionnelle et un important support de tractibles.

— Alors qu’elle rêve d’aller gambader dans la forêt jusqu’à ce que l’envie de rentrer la prenne.

— Tu as tout compris. »

Il sourit. « Je peux la persuader de renoncer à une longue sortie. Et je lui servirai de partenaire pendant l’excursion.

— Mouais. » Elam lui adressa un regard perplexe.

« Ça veut dire quoi, ce “mouais” ?

— Qu’est-ce que tu sais sur Zoé ?

— L’essentiel. Qu’elle a été clonée à partir de la vieille collection de génomes et élevée par Mécanismes & Personnel.

— De la façon dont ils voient les choses, elle est plutôt un mécanisme. Rassemble toutes ces données, Tam. Mets-toi dans la peau des Trusts. Ils se foutent royalement des nuances linguistiques des mineurs ou de la taxonomie de la flore isienne. Ils l’ont envoyée ici pour une tout autre raison. »

Il ne partageait pas sa fascination pour la politique terrienne. « Encore une petite danse de Mécanismes & Personnel avec le Trust des Travaux ?

— Plus que ça, à mon avis. Ces deux factions ont toujours été rivales, mais M&P s’est laissé distancer depuis le début du siècle. Je crois qu’ils voient en Isis une chance de couper l’herbe sous le pied de la bureaucratie des Travaux. Si la technologie de sortie de Zoé fonctionne comme prévu, c’est une petite révolution qui permettra une forte expansion de la présence humaine sur la planète.

— Elam… Nous n’arrivons même pas à garder nos joints externes en bon état.

— Justement. Le dispositif de Zoé ne se résume pas à une seule nouvelle technologie. Il y en a une dizaine : des filtres osmotiques à haute efficacité, des polymères ultrafins, résistants à la tension et plus inertes, sur le plan biologique, que tout ce dont nous disposons… c’est un coup d’État.