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Tout le monde devait être très occupé, là-bas. Seuls les canaux de télémesure standards étaient actifs. Même d’ici, les dommages étaient évidents. La partie la plus profonde de la chaîne sous-marine de capsules avait implosé quelques minutes seulement après avoir été isolée par une alerte biologique. Il y avait nécessairement un lien entre ces deux événements… mais lequel ? Sans la capsule, répondre à cette question s’avérerait difficile. Non que quelqu’un cherchât activement une réponse : l’avant-poste travaillait d’arrache-pied à restaurer sa stabilité compromise par le largage du laboratoire endommagé. Degrandpré se demanda si ce largage était vraiment nécessaire ou si Freeman Li cherchait à cacher quelque chose. Ses ingénieurs l’assuraient du caractère d’autopréservation de l’opération. Pourtant…

Mais la question la plus urgente était de déterminer si le risque biologique avait été circonscrit… ou s’il pouvait se répandre.

Degrandpré fit apporter du café à toutes les personnes présentes dans la salle, puis attendit avec une impatience non dissimulée que Li – au moins, c’était un terrien – trouve du temps pour une communication directe.

Cette attente lui procurait un sentiment d’impuissance. L’affaire allait rendre fous de rage ses supérieurs sur Terre, quoi qu’il advienne par la suite. Il n’aurait d’autre choix que d’envoyer un rapport étiqueté de rouge aux Familles et d’accepter toutes les responsabilités qu’il ne saurait pas esquiver. Et d’ici là…

D’ici là, il ne pouvait que prier pour que le problème soit circonscrit.

Un cadre junior lui apporta son café. Malgré le goût de cendres macérées dans l’eau de la boisson synthétique, il en avait vidé deux tasses quand Li apparut enfin sur l’écran, son uniforme des Trusts en désordre et taché de sueur. Sa peau était aussi classiquement sombre que celle de Degrandpré était classiquement pâle : sur Terre, on les aurait trouvés séduisants. Pas dans les colonies kuipers, où un brun muwallad était la couleur de peau à la mode.

« J’exige une évacuation totale de la station océanique », attaqua Li.

Degrandpré cilla. « Vous savez bien que vous ne disposez pas de l’autorité pour…

— Directeur, je suis désolé, mais le temps presse. Ce qui a emporté la Capsule Six a d’abord affecté les hommes, puis les systèmes électriques et enfin l’intégrité structurelle de la capsule, tout ça en moins d’une heure. Je refuse de perdre d’autres hommes.

— D’après notre télémesure, le problème a été circonscrit. Si vous avez des preuves du contraire, je vous prierai de me le faire savoir.

— Avec tout le respect que je vous dois, je n’ai pas la preuve de quoi que ce soit ! Je ne suis certain que d’une chose, c’est qu’un de mes laboratoires est au fond de l’océan avec les cadavres de deux de mes hommes. Au moment de l’accident, ils avaient des plaques bactériennes dans leur boîte à gants. Je ne sais pas s’il y a un rapport ou non, mais presque toutes les boîtes à gants de la station contiennent ce genre d’organisme. S’ils représentent une menace…

— Ça, vous n’en savez rien.

— Non, justement, et c’est bien pour ça que…

— … Que vous suggérez d’abandonner une ressource de très grande valeur, à cause d’un accident et de vos conjectures personnelles.

— Nous pourrons toujours revenir occuper la station.

— Au prix d’énormes dépenses en ressources et en heures de travail.

— Directeur… Vous voulez vraiment prendre ce risque ? »

Ce salaud essayait de se protéger au cas où d’autres ennuis surviendraient. Degrandpré imaginait Li en train de témoigner lors d’une enquête des Trusts : Malgré ma demande d’évacuation formulée en termes non équivoques…

« Donnez-moi juste les faits et les données dont vous disposez, Dr Li, et nous partirons de là. »

Li se mordit la lèvre mais se garda bien de discuter. « Si vous avez passé notre télémesure en revue, vous en savez autant que moi. Ce matin, la capsule a tout d’un coup connu un problème. Aucune communication de l’équipage, rien que la sirène d’alarme. J’ai ordonné qu’on ferme les cloisons. Les systèmes électriques de la capsule ainsi que ses équipements vitaux sont tombés en panne peu après, pour une raison inconnue. Une heure plus tard, la coque a perdu son intégrité et s’est effondrée sous la pression. Voilà tout ce que nous savons.

— Avez-vous récupéré des débris ?

— Nous manquons de tractibles ou d’équipements de sortie pour ça.

— Très bien. Préparez la navette pour une évacuation, mais attendez mon ordre. Entre-temps, essayez de ramasser une partie au moins de ce qui flotte à la surface. N’amenez rien de substantiel en deçà de la zone de quarantaine, mais archivez des échantillons pour les boîtes à gants.

— Pour mémoire, je recommande avec la plus grande fermeté qu’on évacue immédiatement la station et que l’enquête soit effectuée par télémanipulation.

— C’est noté. Je vous remercie de votre opinion. Et de vous conformer à mes instructions. »

Il abandonna le contrôle de la salle à un subordonné.

Après avoir enregistré le rapport initial et délégué le nettoyage, Degrandpré, en l’absence d’autres alertes, confia la responsabilité de l’affaire à son assistant, avec la consigne de l’appeler si la situation se détériorait.

L’horloge lui apprit qu’il n’avait pas mangé depuis presque dix heures, comme d’ailleurs, par déférence, les autres personnes présentes dans le poste central. Il fit procéder à un changement d’équipe et livrer des repas par tractible à tous ceux qui restaient de garde.

Il se rendit ensuite au mess de la direction, où il trouva Corbus Nefford qui dînait paisiblement de poivrons braisés et de riz basmati. Les jardins ne fournissaient qu’un nombre limité d’épices et la station orbitale en biosynthétisait quelques autres ; pourtant le plat de Nefford dégageait une odeur surprenante de basilic et d’ail frais.

Le médecin le dévisagea avec un plaisir non dissimulé.

« Joignez-vous à moi, Directeur. »

Les membres las, Degrandpré s’assit face à Nefford. « Je suppose que vous êtes au courant ?

— Pour l’incident sur la station océanique ? Un peu.

— Parce que je préférerais ne pas en parler.

— La crise est passée ?

— Oui. » Prenait-il ses rêves pour la réalité ? « La crise est finie.

— Deux pertes humaines ?

— Vous me semblez aussi bien informé que moi. Maintenant, Corbus, soit vous changez de sujet, soit vous vous taisez et vous me laissez manger. » Le tractible de service attendait sa commande. Malgré sa faim, il demanda quelque chose de léger : une salade avec des rubans protéiques.

Le médecin rabroué resta silencieux quelques instants, le temps de trouver de quoi relancer la conversation : « De nouveaux algogènes de Turing arrivent de la Terre, ai-je cru comprendre.

— Vous êtes une vraie fontaine à bonnes nouvelles. J’ignorais que vous vous intéressiez à l’ingénierie.

— Uniquement parce que mon avenir en dépend, Directeur. Et peut-être bien le vôtre.

— Des nouveaux algogènes de Turing ? Je ne me souviens pas avoir autorisé d’échange d’algorithmes génétiques… à moins que ce ne soit ceux de l’année prochaine ?

— Des algos tout neufs, semble-t-il, mais arrivés avec une étiquette prioritaire, d’après l’ingénierie.

— Nous avons déjà suffisamment de mal à tenir le calendrier de maintenance. Il va falloir modifier nos quotas, sauf s’il s’agit d’une correction du rendement.