Выбрать главу

Restaient les hauteurs… Eh bien, elle n’avait nullement l’intention de pousser plus loin que la zone d’activité des mineurs, là où dans les collines la rivière de Cuivre courait en canaux étroits et rapides au milieu de rochers pointus. De plus, elle avait confiance en la sûreté de son pied.

Qu’y avait-il d’autre à redouter ?

Des dizaines de milliers d’événements, se dit Zoé. Sans parler de son propre état d’esprit.

Non qu’elle éprouvât un quelconque malaise. Au contraire. Son humeur avait été inégale, mais elle se sentait maintenant étonnamment bien et solide, à marcher ainsi au soleil en balançant les bras, à jouir d’une liberté qu’elle n’avait plus connue depuis la crèche. La piste se dirigeait vers l’est en suivant une petite arête qui, quand elle s’éleva, lui permit de voir la canopée, inclinée vers l’ouest, dense et fermée comme un secret bien gardé. Tout ceci l’émut – elle n’avait pas de meilleur mot – d’une façon qu’elle n’aurait jamais cru possible, comme si en sortant de Yambuku, elle s’était débarrassée d’une membrane protectrice au lieu d’en revêtir une. Elle avait les nerfs à fleur de peau : la simple vue du ciel bleu lui donnait envie de pleurer de joie.

Elle s’efforçait de trouver la cause de ces sautes d’humeur. Aucune explication ne lui venait pourtant à l’esprit… à moins qu’elle ne soit plus aussi bien régulée. Était-ce possible ? Les thymostats n’étaient guère que de simples machines homéostatiques : elle n’avait jamais entendu parler d’une défaillance de biorégulateur. Et puis, sa télémesure médicale ne l’aurait-elle pas mis en évidence ?

On s’en fiche, lui souffla une partie perfide d’elle-même. Elle était vivante – vraiment vivante, pour la première fois depuis des années – et Dieu qu’elle aimait ça !

Elle aimait ça autant qu’elle en avait peur.

Elle s’arrêta bien avant la tombée de la nuit, à l’un des emplacements listés dans la mémoire des tractibles comme bivouac possible. L’arête s’était élargie en un plateau rocheux, avec des touffes de plantes grasses et vertes qui perçaient la couche arable entre des blocs de roche glaciaire. Dresser la tente ne présenta aucune difficulté – le matériel était assez intelligent pour effectuer seul l’essentiel du travail – mais la planter s’avéra plus ardu. Elle ancra son abri comme on le faisait autrefois, en glissant les piquets dans les failles rocheuses et les trous de terre. Elle demanda un rapport météorologique à Yambuku, mais rien n’avait changé depuis le matin : ciel dégagé, vents faibles. Isis se montrait sous son jour le plus doux.

Elle fit son rapport à Dieter après un repas pris à la hâte. Rien de bien neuf, lui apprit-il, sinon cet Avrion Theophilus, le mystérieux représentant de Mécanismes & Personnel, qui descendait par la prochaine navette.

Theo à Yambuku, pensa Zoé.

Étant donné son humeur, elle se dit que cela devrait la rendre heureuse.

Elle se demanda pourquoi ce n’était pas le cas.

Le soleil passa derrière les montagnes de Cuivre. Zoé avait terminé le laborieux processus d’ingestion de nourriture à travers sa combinaison et elle se préparait pour un nouvel assaut de la citadelle Sommeil quand une alarme surgit sur son affichage cornéen. La voix de Yambuku était cette fois celle de Lee Reisman, qui avait relevé Dieter. « Nous avons un animal de grande taille dans votre périmètre », l’informa Lee. Puis : « Oh ! C’est un mineur ! »

Elle fut aussitôt sur ses gardes. « Est-ce qu’il s’approche de la tente ?

— Non… D’après les télésenseurs, il reste sans bouger à une centaine de mètres de votre position. Les tractibles sont en place pour l’intercepter, mais…

— Laissez-le tranquille pour le moment, dit Zoé.

— Hein ? Ce n’est pas vraiment le moment idéal pour un premier contact.

— Je veux juste l’observer. »

Elle sortit de la tente avec sa vision augmentée dans la pénombre de plus en plus épaisse. Les rochers de schiste irradiaient comme des braises la chaleur emmagasinée durant la journée. Elle avait cru que le mineur serait difficile à voir, elle le repéra pourtant aussitôt et régla l’amplificateur de ses lentilles en conséquence.

Le visiteur n’était pas un inconnu, puisqu’il s’agissait de celui qu’Hayes avait appelé « Grand-Père ». Elle reconnaissait ses moustaches blanches et les vrilles sous ses yeux.

Elle regarda Grand-Père et Grand-Père la regarda.

Impossible, bien entendu, de lire la moindre émotion sur ce visage, malgré tous les efforts de l’esprit humain. Nous nous projetons sur les autres animaux, se dit Zoé, nous croyons lire des expressions sur le visage des chats et des chiens… mais le mineur restait aussi impénétrable qu’un homard. Les yeux, se dit-elle. Toute créature plus grosse qu’un scarabée s’exprime d’abord par ses yeux, mais ceux du mineur n’étaient que de simples ovales noirs dans un lit de chair anguleuse. Des bulles d’encre. Des fenêtres à travers lesquelles une espèce de quasi-conscience l’observait avec calme.

« Grand-Père », murmura-t-elle. Le plus curieux.

Grand-Père cligna des yeux – éclair argenté sur une obscurité chatoyante. Puis il se détourna et s’éloigna à grands pas.

Treize

Ce que Hayes n’avait pas dit à Zoé, c’est qu’une série de défaillances des joints d’étanchéité avait occupé l’essentiel de sa journée. Il ne pouvait s’empêcher de souhaiter que Mac Feya soit encore là pour lui donner un coup de main, lui qui avait toujours été doué pour rafistoler les joints. À part celui qui l’avait tué.

Lee, Sharon et Kwame étaient des ingénieurs plus que compétents, mais leur charge de travail trop lourde réduisait déjà leur temps de sommeil à son minimum. La situation était pour l’instant stabilisée : les joints défectueux avaient été remplacés et mis dans des boîtes à gants à fins d’analyse. Hayes avait suivi de près le déroulement des opérations. Dieter Franklin l’emmena dans son laboratoire observer les métamorphoses adaptatives des bactéries qui se nourrissaient des joints, la densité croissante de la matière fibrillaire présente dans le corps de la cellule, les microtubules enroulés comme de l’ADN là où, un mois auparavant, il n’y avait que quelques rares fils. Autre nouveauté, ces corps granulaires à la surface de la cellule. Ils synthétisaient et excrétaient des molécules à grande polarité qui minaient leur environnement. Dieter désigna l’écran : « L’organisme que nous avons étudié il y a six mois était différent.

— Même génome implique même organisme, dit Hayes.

— Même génome, mais qui s’exprime d’une manière complètement différente.

— Sensible à l’environnement, donc.

— Pour le moins. On peut aussi dire qu’il essaye de faire un trou dans la station pour se glisser à l’intérieur. »

Comme tous les membres du clan de la Pierre Gamma, Dieter avait toujours tendance à exagérer. « S’ils grandissent, c’est parce que nous les nourrissons.

— Ils meurent aussi vite qu’ils grandissent. »

Pas faux. Hayes avait eu sa part de sorties de nettoyage, à brosser les surfaces exposées de la station pour les débarrasser des couches de bactéries décomposées. Des bactéries kamikazes ? « Je ne crois pas qu’ils cherchent à nous tuer, Dieter. Pas au sens propre.