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Je lui ai donc demandé s’il y avait un problème avec le thymostat de Zoé.

Il a souri et m’a répondu qu’il n’en savait rien.

Apparemment, Zoé a un équipement sanguin inédit, dont la plus grande partie est groupée autour de l’aorte abdominale dans des glandes assemblées en sacs. Des appareils si nouveaux que les instruments de Shel n’arrivent pas à les lire, d’autant plus que M&P n’en a pas transmis les caractéristiques. Il n’a pu faire mieux que de rechercher les principaux neurotransmetteurs et les substances chimiques régulatrices dans les métabolites de Zoé. Il semblerait qu’elle ait une sérotonine, une dopamine, une noradrénaline et une substance P un peu spéciales, et qu’elle soit négative à la plupart des inhibiteurs de recaptage ordinaires. Mais ces appareils qui régulent son sang sont si inhabituels que Shel a été incapable de déterminer si cela signifie un fonctionnement correct ou une défaillance majeure.

Shel a suggéré que nous en parlions à Avrion Theophilus dès son arrivée. (J’ai menti en disant que je m’en chargerai, et je lui ai conseillé de ne pas souffler mot de cette affaire jusqu’à nouvel ordre. Tu devrais peut-être surveiller pendant quelques jours les rapports qu’il envoie à la station orbitale.)

Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Cela veut dire, j’en ai bien peur, que Zoé est libérée de son thymostat, peut-être pour la première fois de sa vie. En termes kuipers, cela fait quasiment d’elle un nouveau-né. Elle se retrouve face à toute une batterie d’émotions nouvelles et complexes, et elle n’en comprend aucune. La Zoé Fisher dont tu tombes manifestement amoureux, Tam, est une Zoé Fisher toute neuve. Fragile. Qui a sans doute peur. Et qui essaye de toutes ses forces d’effectuer le boulot pour lequel on l’a formée.

Je ne peux pas te dire ce qu’il faut faire. Je n’en ai pas la moindre idée.

Le seul conseil utile que je puisse te donner est : garde les yeux ouverts.

Surveille tes arrières.

Je ferai pareil. Je sauvegarde ce mémo dans mon espace mémoire personnel pour éviter qu’il se balade dans le cyberespace de Yambuku. Si tout se passe bien, nous en discuterons à mon retour.

ELAM

PS : Évidemment qu’elle t’aime, imbécile ! On est beaucoup à t’apprécier. Moi y compris. T’es trop bouché pour t’en apercevoir, ou trop bien élevé pour l’admettre ?

Simple curiosité.

Hayes lut le message.

Puis il le relut, entouré du silence de ce qui avait été la cabine d’Elam, tandis que la nuit roulait sur les longues vallées et les collines boisées.

Quatorze

Lorsque apparut sur son défileur une lumière rouge lui signalant qu’on le convoquait au module de quarantaine de la navette, Corbus Nefford en fut presque scandalisé. Jamais une crise médicale n’avait éclaté à bord de la station orbitale alors qu’il était de garde au service de santé, et il espérait bien qu’il n’y en aurait jamais.

Il est vrai qu’on ne pouvait rien augurer de bon de cette convocation de priorité maximum, envoyée sans la moindre explication par Ken Kinsolving, le toubib qui avait pris le quart de jour à la quarantaine, à l’intérieur du périmètre bouclé du terminal de la navette. Il ne devait pourtant s’agir que d’une gastrite ou d’une migraine nerveuse d’un membre d’équipage, devant laquelle Kinsolving paniquait. Toute autre alternative était inenvisageable.

Il y avait pourtant un garde stationné devant le sas du module de la navette, et derrière…

Derrière, c’était le chaos.

Deux infirmiers, assis avec un capuchon de télésenseur sur la tête, murmuraient des paroles pressantes dans leurs microphones. Kinsolving, un homme décharné vêtu de blanc médical, désigna une baie de contrôle libre à Nefford. « Rios et Soto sont morts, annonça-t-il sans ambages. Raman est comateux et Mavrovik a encore des éclairs de lucidité. Nous avons besoin d’aide pour les soins palliatifs et le prélèvement des tissus. S’il vous plaît, Directeur. »

Kinsolving, en tant que médecin junior, n’était pas habilité à s’adresser à Corbus Nefford sur un ton si brusque, mais il s’agissait après tout d’un cas d’urgence. Nefford se tortilla pour s’insérer dans la chaise du télésenseur. Il avait pris du poids depuis sa dernière utilisation de ce genre d’appareils.

Mais il fallait bien faire ce qui devait être fait. Ce pour quoi on était formé, et bénie soit cette formation qui prenait le dessus et l’empêchait de succomber à la panique. Il imagina son thymostat détectant de subits torrents d’adrénaline et s’activant pour lui rendre son calme sans pour autant émousser sa concentration. Des agents pathogènes, se dit-il effaré, des agents pathogènes isiens à bord de la station : le cauchemar qu’il avait espéré ne jamais avoir à affronter…

Le capuchon du télésenseur s’activa et il se retrouva soudain à l’intérieur de la salle de quarantaine, en compagnie des victimes. Ses bras étaient devenus ceux d’un tractible médical et ses yeux, les senseurs améliorés de celui-ci. Il s’orienta sans perdre un instant. La chambre de quarantaine était petite à en devenir claustrophobe : elle n’avait pas été conçue pour servir de salle d’hôpital. Les tractibles et les télésenseurs se disputaient l’espace au sol ; le télésenseur de Kinsolving roula à ses côtés.

Il identifia l’équipage de la navette, couché sur des lits de camp. Mavrovik, Soto, Raman et Rios. Deux hommes, deux femmes. Les seuls survivants du désastre océanique, un pilote et trois membres du personnel de l’avant-poste, qui étaient parvenus à s’enfuir en navette juste avant l’effondrement final.

Ils avaient manifestement emmené quelque chose avec eux, malgré une quarantaine qui durait depuis maintenant – combien déjà ? – pas loin d’un mois, sans qu’aucun symptôme ne se soit manifesté. Les organismes pathogènes isiens n’attaquaient-ils pas presque aussitôt ? On n’avait jamais entendu parler d’un agent infectieux isien à longue période d’incubation. C’était une menace presque trop terrible pour être envisagée.

Il suivit le télésenseur médical de Kinsolving jusqu’au lit du pilote de la navette, Mavrovik. Kinsolving avait posé une transfusion et des hémostats sur le bras du pilote. Nefford y adjoignit un drain pulmonaire afin d’évacuer le sang et les humeurs des poumons. On avait déshabillé et sanglé Mavrovik sur une couchette, dont l’oreiller absorbait les flots putrides de sueur jaunâtre qui dégoulinaient de son crâne rasé.

Kinsolving avait obtenu une homéostasie temporaire. Nefford brancha ses propres moniteurs sur le pilote tandis que le médecin de l’équipe de jour lui passait le contrôle. Il profita du premier moment de calme pour demander : « Depuis combien de temps sont-ils malades ?

— Les premiers symptômes évidents se sont manifestés il y a trois heures, à peu près. Sans réel avertissement. Leurs gaz sanguins étaient bien un peu inhabituels, mais sans sortir des limites normales. »

Nefford se tourna pour regarder deux tractibles hisser sur des chariots les corps bientôt rigides de Rios, une femme, et de Soto, un homme, et les transporter hors de la pièce. Le périmètre de quarantaine disposait d’une chambre froide équipée pour les autopsies, qui bien entendu s’effectuaient de A à Z à l’aide de tractibles et de télésenseurs. La morgue était maintenue en parfait état de marche, même si elle n’avait encore jamais servi.