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— Zoé…

— Silence ! »

Le moment était délicat. Zoé qui se tenait accroupie auprès du tractible, se redressa lentement et fit un tout petit pas en direction de Grand-Père. À quoi pensait-il avoir affaire ? À un animal ? Un ennemi ? Un reflet bizarre de lui-même ?

Elle tendit les bras, paumes offertes : des mains vides, sans armes, sans griffes.

Hayes devait avoir au moins un télésenseur à proximité, car il avait lui aussi assisté au mouvement. « Restez à plus de trois mètres, Zoé. Sinon je le fais détaler. Si l’un d’entre eux bouge, je veux que vous alliez près de l’abri, où nous pourrons vous protéger. Compris ? »

Elle ne comprenait que trop bien. Elle comprenait qu’elle accomplissait sa destinée, que le temps et les circonstances de sa vie avaient conspiré pour l’amener à cet endroit. Pendant un moment d’extase, elle fut l’axe autour duquel tournaient les étoiles.

Elle avança avec assurance de quelques pas. Le mineur se cabra comme un mille-pattes effarouché. Ses yeux noirs roulèrent dans leurs orbites. Zoé ralentit mais sans s’arrêter. Elle gardait ses mains devant elle, toujours à distance prudente de l’animal.

Mais assez près pour sentir son odeur. Assez près pour voir de la vapeur s’élever de son bas-ventre dans l’air nocturne. Quatre milliards d’années d’évolution non terrienne avaient façonné cet ensemble de cellules, cette bête. Elle le regarda. Et, aussi incroyable que cela paraisse, il la regarda. À une distance insensée de sa planète de naissance, le miracle était arrivé : l’argile avait pris vie. La vie regardait la vie. La première lumière, pensa Zoé.

Le mineur fut très rapide. Il leva la branche qu’il tenait avant que Zoé puisse réagir.

Non, pas comme ça, pensa-t-elle. Ce n’est pas ainsi que ça doit se passer…

« Zoé ? »

La voix de Hayes, distante, sans rapport avec la réalité.

Pas le temps de reculer, de s’abriter derrière les tractibles. Qui s’étaient mis en mouvement, mais si lentement. Encore des défaillances ? Serrant fermement sa massue, le mineur leva son avant-bras supérieur. Elle vit avec une précision glacée la trajectoire descendante.

L’impact brouilla tout. Elle tomba dans la nuit venteuse.

Seize

Bien qu’il eût prié pour ne jamais se retrouver dans cette situation, endiguer une contamination biologique de la station orbitale d’Isis constituait la première tâche à laquelle on avait formé Kenyon Degrandpré. La crise et ses milliers de détails l’accaparaient tout entier. Cela valait d’ailleurs bien mieux que de se laisser aller à envisager les conséquences à long terme de la contamination.

Il convoqua les cinq directeurs de la station, dont celui du Service Médical, Leander (en remplacement de Corbus Nefford, en quarantaine), et Sullivan, celui d’Aliments & Biota. Un assemblage hétéroclite de hérauts des Trusts – tous compétents et sans lien avec les Familles, sinon lointain et ténu. Comme celui de Degrandpré : son arrière-grand-père maternel appartenait aux Corbille. Mais sa naissance, non déclarée, ne pouvait donc être prise en compte.

Il avait déjà paré au plus pressé : circonscrire le module de quarantaine. La station était restée jusqu’à présent une zone stérile, isolée d’Isis par le vide complet entourant son enceinte extérieure. Il y avait désormais une brèche ouverte dans cet environnement, comme un trou percé dans une pomme par un ver dangereux.

Le service des contagieux était devenu une zone de biomenace de niveau cinq, encerclée de zones décrétées de niveau quatre – les chambres médicales extérieures, comme celle dans laquelle Corbus Nefford se trouvait en ce moment pris au piège – puis par des zones préventives de niveau un, deux et trois : le service d’ingénierie et un espace de maintenance utilisé pour les préparatifs de lancement des assembleurs Turing.

Cela posait un autre problème, dû à la très faible redondance à bord de la station. Les restrictions en poids et en taille imposées par les lancements Higgs réduisaient la marge d’erreur au minimum. Même au summum de son efficacité, seules une ou deux pannes critiques séparaient la station de l’arrêt total. Sans l’atelier d’usinage, et avec un accès restreint aux lanceurs Higgs…

Mais ce problème-là pouvait attendre un peu.

Solen, de l’ingénierie, prit la parole : « Nous travaillons à déménager les activités cruciales aussi loin que possible de la zone contaminée. Dieu merci, les fermes sont situées à l’opposé de l’espace de quarantaine. Nous sommes en train de mettre en place, à l’extérieur du périmètre agricole, une clinique temporaire qui se chargera des blessés. Si quelqu’un tombe malade, il devra se rendre directement au périmètre de quarantaine. »

Degrandpré se représenta la station en esprit : un collier de dix perles grises qui tournaient dans le vide. Ou plutôt, neuf grises et une noire : contaminée, contagieuse. Il faudrait qu’il rapproche ses propres quartiers des fermes.

Les algogènes de Turing devraient patienter, ce qui entraînerait, inévitablement, un retard supplémentaire dans le projet d’interféromètre de Mécanismes & Personnel. Le grand plan visant à utiliser Isis comme base pour d’autres lancements Higgs dépendait de la stabilité de l’avant-poste isien, qui devait être défendu coûte que coûte. Sans la station orbitale, se dit Degrandpré, les Trusts perdraient les étoiles, au moins dans un avenir prévisible.

Pour l’instant, la contagion le préoccupait pourtant moins que la peur. La contamination de l’espace de quarantaine pouvait difficilement être dissimulée aux plus de mille cinq cents membres d’équipage de la station, qui n’avaient tous que trop conscience d’être enfermés dans une boîte métallique, sans réel espoir de fuite. Un lancement Higgs d’urgence, lui apprit Solen d’un ton mielleux, sauverait dix à douze personnes, cela dépendait de leur masse totale.

« Motivez vos équipes, ordonna Degrandpré, mais sans leur faire peur. Soulignez bien qu’il s’agit de précautions extraordinaires prises malgré l’absence de toute contamination en dehors de la chambre de quarantaine.

— Ils le savent bien, Directeur, intervint Leander, le médecin. Mais ils n’ont pas oublié la leçon des stations au sol, et ils se disent qu’il n’y a aucun moyen sûr d’endiguer une contamination.

— Rappelez-leur qu’il s’agit ici d’un seul organisme, non de toute la biosphère isienne.

— Un seul ? C’est vrai ?

— Qui sait ? Le maintien de l’ordre passe avant la vérité. »

La réunion se poursuivit à un rythme soutenu, en suivant l’ordre du jour préparé par Degrandpré. Pour l’instant, tout allait bien : la contagion était enrayée, l’approvisionnement en eau et en nourriture assuré, et les autres activités essentielles se maintenaient à un niveau acceptable. La station restait un milieu sûr.

Mais ce qu’il s’était passé en quarantaine les avait privés de leur sentiment de sécurité. Nous avons toujours été fragiles, se dit Degrandpré. Mais jamais à un tel point.

Lorsque les directeurs se retirèrent, Degrandpré retint la responsable des communications.

« Je veux que tous les messages sortants, y compris les messages de routine concernant l’entretien, passent d’abord par mon bureau pour y être approuvés. Inutile d’alerter prématurément les Trusts. »

La directrice des communications, une terrienne osseuse du nom de Nakamura, se dandina, mal à l’aise. « Voilà qui est très inhabituel », répondit-elle pour lui faire comprendre, supposa-t-il, qu’elle ne le couvrirait pas si les Trusts venaient à se plaindre.