Mais elle en avait ! Elle en avait même plusieurs : les lampes lucioles attachées à la ceinture à outils qu’elle avait utilisée pour réparer les tractibles.
Qu’elle était stupide, oui, stupide de dépérir ainsi dans le noir alors qu’elle pouvait voir ! Elle fouilla sa ceinture presque craintivement ; elle en avait perdu en se débattant, effectivement. Il lui en restait quelques-unes, chacune de la taille d’une balle de revolver et munie d’un activateur sur sa base. Elle en détacha une qu’elle activa du pouce.
La lueur émise, quoique faible, fut la bienvenue. L’ordre était restauré, l’endroit où elle se tenait retrouvait contours et dimensions – c’était un creux arrondi de terre battue et luisant d’humidité. Le sol était recouvert de pousses pâles, presque translucides, entre lesquelles rampaient de petits insectes à mandibules. Sur une paroi s’agrippait le nid fin et léger d’une créature qui ressemblait à une araignée, une masse de fils de coton auxquels adhéraient des corps d’insectes momifiés.
La lampe luciole durerait une heure ou deux. Du bout des doigts, elle en dénombra sept autres sur sa ceinture. Il lui faudrait être prudente.
Bien sûr, elle ne pouvait pas rester ici. C’était d’ailleurs impossible même si elle l’avait voulu. Elle n’avait ni eau, ni nourriture. Sa combinaison disposait d’une réserve d’eau et recyclerait aussi son urine, mais c’était une boucle ouverte qui, en l’absence de réapprovisionnement extérieur, ne lui permettrait de tenir qu’un jour ou deux. Il lui fallait donc retourner là où elle avait campé, y trouver des vivres et si possible un tractible en état de marche ; puis rentrer à Yambuku.
Les ressources, pensa Zoé. Peut-être n’avait-elle pas les idées très claires : sa tête l’élançait atrocement là où le mineur l’avait assommée ; en la tâtant elle sentit une belle bosse qui sous la membrane gonflait sa tempe. Les ressources : de quoi disposait-elle qui pourrait lui servir ? Télémesure, communication… la perspective de parler à Tam Hayes était si séduisante qu’elle faillit en pleurer. Mais quand elle interrogea son protocole de com, elle n’obtint pas de porteuse, rien de Yambuku, ni sur la bande large ni sur l’étroite, ce qui signifiait soit que son équipement était endommagé, soit que le leur l’était ; ou bien que le monticule des mineurs bloquait les ondes radio.
Elle se demanda ensuite à quelle distance de la surface on l’avait emmenée. Elle n’avait pas la moindre idée de la profondeur maximum de ces tunnels. En fait, personne n’en savait rien. À l’aide de tractibles téléopérés, on avait mené quelques expériences d’imagerie sismique à proximité de monticules de mineurs, assez pour deviner que les terriers étaient très étendus et interconnectés de manière complexe. On aurait pu creuser pendant des siècles, pendant des kilomètres… Mais non, il ne fallait pas penser à ça. Elle ne pouvait pas se le permettre. Une boule de panique se logea dans sa gorge. La lumière du jour pouvait se trouver à un kilomètre ou à quelques petits centimètres au-dessus de cette chambre close. Elle n’avait aucun moyen de le savoir et elle s’interdit d’y penser.
Elle retint un instant son souffle pour tendre l’oreille. Était-elle seule ? Un unique tunnel, à peu près large comme ses épaules, ouvrait sur ce cul-de-sac. La lampe luciole n’éclairait rien au-delà d’un mètre, et elle ne voyait du tunnel que sa section circulaire et sa pente douce qui s’élevait d’une vingtaine de degrés. Écoute. Elle se tint immobile et s’efforça de calmer la pulsation du sang dans ses oreilles. Écoute. Mais le silence était absolu. Un mineur ne pourrait sûrement pas traverser ces tunnels sans faire de bruit, ne serait-ce que celui de ses griffes sur le sol tassé et dur comme de la pierre. Mais aucun bruit de ce genre ne lui parvenait. Très bien.
Peut-être qu’il fait jour, se dit Zoé, et que les mineurs sont sortis chercher de la nourriture. Elle tenta en vain d’obtenir une horloge. Le coup sur sa tête avait dû détraquer son affichage cornéen.
Jaugeant le passage d’un regard soupçonneux, elle hésita pendant un temps indéterminé ; un instant, peut-être, ou une heure entière. Elle répugnait à échanger sa cellule relativement spacieuse contre le tunnel fermé et exigu. Mais la lampe luciole vacilla et faiblit. Tout, pensa Zoé, tout plutôt que de revenir à l’obscurité.
Elle cueillit une deuxième lampe à sa ceinture et actionna l’activateur. La lampe ne s’alluma pas. Elle était cassée.
Ses doigts tremblaient quand elle en saisit une autre. Elle la pressa, et une lumière scintillante en sortit soudain. Zoé soupira de soulagement.
Il ne lui restait plus que cinq lampes… qui toutes – ou aucune – pouvaient être hors service.
Maintenant, Zoé, se dit-elle. Vas-y maintenant.
Elle leva la lampe luciole de la main droite et s’allongea sur le ventre. La mousse albinos était fraîche sous la membrane. Il faudrait qu’elle progresse les bras en avant, en se tortillant plus qu’en rampant, et qu’elle pousse avec ses pieds. Et si elle se perdait dans ce labyrinthe ? Si toutes ses lampes grillaient, l’une après l’autre ? Pourrait-elle seulement, dans un espace aussi restreint, atteindre sa ceinture pour en prendre une autre ?
Non, réalisa-t-elle. Pas sans se démettre l’épaule.
Elle fit marche arrière, retira sa ceinture et se la glissa sur l’épaule afin que les autres lampes soient accessibles en cas de besoin.
Cinq lampes. Soit six ou sept heures de lumière, si toutes fonctionnaient. Et après ?
Une autre pensée à éviter. Elle l’expulsa de son esprit et se tortilla à nouveau dans le tunnel.
Il y avait juste assez d’espace pour qu’elle puisse se dresser sur les coudes et avancer centimètre après centimètre, en grattant de ses bottes et ses genoux, avec une démarche proche de celle du crabe. Elle éprouva de la reconnaissance envers la mousse pâle omniprésente qui protégeait ses genoux et ses coudes, là où la membrane vulnérable de sa combinaison pouvait se déchirer ou s’user.
La lampe luciole illumina un étroit espace circulaire, un mètre ou deux devant elle. J’ai besoin d’une stratégie, se dit-elle. (Peut-être même parlait-elle tout haut. Elle tentait de s’en empêcher, mais le fossé entre la pensée et la parole s’était amenuisé et il lui arrivait d’entendre l’écho de sa propre voix enrouée lui revenir de loin comme un murmure. Elle craignait alors de trahir sa position. Mais pour l’instant, les animaux n’étaient pas revenus.)
Une stratégie, pensa-t-elle à nouveau. Elle se trouvait dans un labyrinthe qui quelque part renfermait le Minotaure. Elle décida qu’à chaque bifurcation, elle prendrait le chemin qui montait. Si les deux montaient autant, elle choisirait celui de droite. Elle finirait bien, ainsi, par regagner la surface, ou du moins serait-elle capable (mais que cela n’arrive pas, je vous en prie) de retrouver son chemin si elle aboutissait dans un cul-de-sac.
Elle se dit que sa stratégie pourrait même lui servir si, à Dieu ne plaise, elle utilisait toutes ses lampes. Même privée de lumière, elle pourrait l’appliquer.
L’obscurité revint quand sa lampe vacilla et diminua d’intensité. Trop tôt, forcément. Avait-elle beaucoup avancé ? Impossible d’en avoir la moindre idée. Il lui semblait avoir effectué un long trajet, mais qui restait insuffisant. Elle n’avait pas rencontré le moindre carrefour. À moins que, perspective atroce, les mineurs n’aient creusé de nouveaux tunnels et bouché les anciens ; peut-être allait-elle atteindre un dernier mur et…