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Non. Ne pas penser à ça.

Elle dénicha une autre lampe luciole et en pressa la base. À son infini soulagement, elle vint à la vie.

Encore une heure de perdue.

Ne pas penser à ça. Ne pas penser à ça.

Elle était en train d’imaginer avec force détails ce qu’elle ferait en arrivant à Yambuku : enlever sa membrane, prendre une douche chaude, se laver les cheveux, manger, boire de l’eau gazeuse dans de grands verres de cristal – lorsqu’elle parvint à un embranchement.

Le premier. Ou bien ?… Difficile, dans ce petit arc de lumière, d’estimer le temps, de séparer les événements véritables des produits de son imagination. Elle avait prévu une telle situation, mais l’avait-elle déjà rencontrée ? Elle n’en savait rien. Aucune importance, se dit-elle, applique ta stratégie. Le chemin de gauche montait-il, ou devait-elle préférer celui de droite ?

Difficile à dire.

Elle s’arrêta pour rechercher quelque indice. N’y avait-il pas un souffle de vent d’un côté ou de l’autre ? Non. Partout le même air confiné et puant qui suffisait à peine à remplir ses poumons. Pas un bruit. Elle se dit que le tunnel de droite avait l’air de monter un peu ; c’est donc celui qu’elle choisit.

* * *

Courir dans les bras de Theo.

« L’une de mes enfants a survécu. »

Courir dans les bras de Tam Hayes…

Elle se réveilla dans la douleur. Les membres raides et une douleur lancinante à la tête. Pressée de tous côtés. Et aveugle…

Non, ce n’était que l’obscurité.

L’obscurité.

Elle s’était endormie.

Elle maudit sa désinvolture – elle avait perdu un temps précieux – et chercha une autre lampe luciole. Pendant que ses doigts tâtonnaient, elle garda les paupières bien fermées, parce qu’elle n’y verrait rien même en les ouvrant, et qu’elle pouvait ainsi s’imaginer avoir choisi cette obscurité, ces ténèbres, oublier qu’elles lui étaient imposées par le poids de l’argile et de la roche qui l’entouraient. L’obscurité chaude du sommeil, peut-être. Mais il ne fallait plus qu’elle s’endorme.

Elle alluma la lampe.

Voilà qui était mieux. Bien qu’il n’y eût rien à voir sinon ce tunnel interminable, la lumière était une bénédiction.

Elle rampa sur quelques mètres – ou peut-être de nombreux mètres : elle n’avait plus de points de repère, plus de temps ni d’espace. Elle pouvait tout aussi bien avoir déjà couvert une grande distance que se trouver à quelques pas du cul-de-sac d’où elle était partie.

Mauvaise pensée.

Devant elle le tunnel s’élargit. Un changement, enfin. Un espoir soudain l’enivra. Elle essaya de garder la tête froide, mais c’était un espoir de même nature que la panique, incontrôlable, une force immense que ne bloquait plus son thymostat.

Le thymostat aussi constituait une espèce de membrane, songea Zoé, comme la combinaison. Une barrière supplémentaire entre elle et le monde. Qui éliminait les virus de la panique et ceux de l’espoir, de l’amour et du désespoir. Un barrage désormais perdu. Elle était nue et contaminée.

Le tunnel s’élargit encore et devint une chambre. Que remplit le bruit de sa respiration laborieuse. Elle tendit la main pour braquer la lampe. Leva les yeux et vit…

Une impasse.

Un autre cul-de-sac.

Elle laissa couler ses larmes durant quelques précieuses minutes. La combinaison, pensa-t-elle stupidement, les recyclerait.

Elle repartit à reculons, en sanglotant par intermittence, jusqu’à la bifurcation.

Combien lui restait-il de lampes ? La mémoire lui manquait, elle dut s’arrêter et les compter du bout des doigts. Une, deux, trois, quatre. Cela signifiait que plusieurs heures s’étaient écoulées depuis qu’elle avait quitté la chambre où on l’avait abandonnée. Elle supposa qu’elle pourrait même en calculer la durée exacte si elle avait l’esprit un peu plus clair et si elle n’avait pas gaspillé tant de temps à dormir.

Trop de temps, en tout cas. Trop de temps perdu à repasser aux mêmes endroits.

Elle pensa à l’air libre. Un souvenir si vif qu’elle pouvait le goûter. Et le ciel, pensa Zoé. Oui, et la pluie. Et le vent.

Elle entendit un léger bruit à l’intersection du tunnel. Une sortie qu’elle avait ratée ? Le bruit de l’extérieur ? Mais la prudence s’imposait. Elle maîtrisa sa respiration, engagea la tête dans le tunnel adjacent.

Où les yeux noirs d’un mineur la regardèrent froidement.

Elle se cramponna à la lampe luciole quand le mineur se précipita sur elle pour la saisir par les chevilles.

Elle ne le reconnut pas. Il ne s’agissait pas de Grand-Père. Aussi absurde que puisse être ce nom. Ce n’était qu’une bête, à mi-chemin entre l’insecte et le mammifère, longue et trop agile dans les tunnels étroits, un animal au corps mince et flexible, aux grands yeux d’une mobilité écœurante, aux pinces aussi serrées que des anneaux d’acier trempé. Elle fut choquée de leur avoir trouvé la moindre ressemblance avec les humains. Ils étaient brutaux mais sans une once de malveillance : leurs esprits fonctionnaient de façon étrange, inhumaine ; quelle que fût leur motivation, elle lui restait incompréhensible. Leur royaume n’était pas le sien.

Il la traîna dans un autre cul-de-sac – ô mon Dieu, non, pas un autre, le même, celui-là même dont elle était partie : elle reconnaissait l’araignée sur le mur – où il la retourna sur le dos.

Elle se cramponnait toujours à la lampe. Une petite étincelle de santé mentale. Le mineur n’y prêta aucune attention.

Elle ferma les yeux et les rouvrit.

Le mineur se pencha sur elle. Elle supposa qu’il la regardait, même si ses yeux restaient aussi neutres que des bulles de pétrole.

Elle lui rendit son regard. Derrière sa panique, un calme austère et tout à fait inattendu, un engourdissement émotionnel porteur à la fois de soulagement et de menace. Un engourdissement prématuré… puisqu’elle allait certainement mourir dans quelques minutes.

Le mineur posa une pince ouverte sur sa poitrine, sur son sternum, entre sa gorge et ses seins.

Elle en sentit la pression – assez forte pour être douloureuse, peut-être même pour faire couler le sang.

Alors, détachant les lambeaux comme de la peau morte et pâle, le mineur se mit à découper la membrane.

Dix-neuf

Tous les chemins mènent à Rome, songea Kenyon Degrandpré, et lui qui se trouvait à la limite de la diaspora humaine, il était devenu Rome incarnée : de ces chemins, marchant d’un pas ferme en rangs serrés, arrivaient toutes les mauvaises nouvelles du monde.

Chaque nouvelle crise appelait une solution inédite. Les protocoles d’urgence du manuel s’étaient révélés lamentablement inadaptés.

L’évacuation de Marburg, par exemple. Son chef avait de toute évidence eu raison de l’ordonner. Tout aussi incontestablement, Degrandpré ne pouvait sacrifier une plus grande partie de l’espace – limité – de la station orbitale à la quarantaine interminable de quinze individus, peut-être tous porteurs de micro-organismes virulents. Il avait résolu le problème en hébergeant les évacués dans un hangar technique vacant qui servait d’habitude au lancement d’assembleurs Turing. Des quartiers rudimentaires, froids et inconfortables, mais il avait ordonné qu’on y livre une semaine de vivres et d’eau et qu’on l’équipe de nattes ; il estimait s’être montré généreux. Il avait aussi fait doubler les joints d’étanchéité des portes d’accès et classé jusqu’à nouvel ordre l’endroit en zone de biomenace de niveau cinq.