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Elle ne craignait pas la contamination. Son biostat était capable de digérer, d’empoisonner, de dissoudre, de cautériser ou bien de tuer n’importe quelle substance étrangère qui se hasarderait à pénétrer dans son corps. Si elle frissonnait, c’était en pensant à ces aventuriers qui avaient péri, ici ou sur la surface de la planète, à leurs moyens de défense aussi fragiles qu’un cerf-volant en pleine tempête. Elle n’avait pas peur non plus de ce qu’elle pourrait trouver dans la station. Comme elle s’y attendait, le moindre reste humain avait été nettoyé par les tractibles d’intendance et réintroduit dans le cycle azoté. Si l’on songeait à son passé, la propreté de la station semblait quasi surnaturelle.

Propre, mais sinistre. On trouvait partout des traces de vie, presque comme si celle-ci avait changé d’avis et abandonné les lieux sans crier gare : des vêtements laissés là où ils étaient tombés, des défileurs désuets éparpillés sur les bureaux, et même des documents papiers qui flottaient dans les courants d’air de la ventilation. Des tractibles en manque cruel d’énergie se pressaient dans ses jambes comme des chiots abandonnés.

Son inspection initiale de cette portion de la station restée pressurisée l’amena enfin dans les différents niveaux du jardin solaire.

Bien que les tractibles agro n’aient jamais cessé leurs efforts, il ne restait pas grand-chose. Les cuves aéroponiques d’herbes et d’épices avaient dû tomber en panne à un moment critique. Tout ce qu’ils avaient récolté dernièrement se réduisait à une moisson de poussière. Les seuls survivants des niveaux les plus étendus et les plus complexes étaient les choux et les plants de tomates, qui avaient continué à pousser, année après année, survivant à la sécheresse et aux pannes de courant, s’ensemençant dans les lits d’amalgame lavés en permanence. Les micronutritifs s’étaient faits de plus en plus rares, aussi avaient-ils poussé jaunes, maigres et fragiles… mais ils avaient poussé.

La persistance de la vie, pensa Jasmin. Comme elle pénètre à l’intérieur des choses.

* * *

La vraie nature sauvage s’étendait dessous, à la surface de la planète.

Jasmin ne fut pas la première à y poser le pied, même sans tenir compte des équipes de recherche originelles. On réservait ce privilège à des gens plus jeunes et plus photogéniques, plus précisément à Jak et Elu Reys, des paléontologues jumeaux originaires de Mars qui eurent l’air de deux anges fragiles en respirant pour la première fois cet air isien, riche d’odeurs étranges et inconnues. Un moment historique, dûment enregistré et relayé au public terrien.

Jasmin quitta la navette après les autres, à la fois par égards et par préférence personnelle. Elle n’était pas une scientifique, mais un sauveteur. On l’avait chargée de déterminer si l’on pouvait bâtir une nouvelle station à partir des restes usés par les intempéries de Yambuku, ou si mieux valait repartir de zéro. Nous avons au moins un avantage, songea-t-elle. Nous pouvons marcher en plein air, nous pouvons vraiment toucher la planète. Nous sommes tellement augmentés que nous pouvons boire son eau, au prix d’un léger filtrage pour en éliminer les toxines indigènes. Nous pourrions, si besoin était, construire des cabanes de rondins et vivre comme des pionniers.

Elle se contenta pour l’instant de descendre la rampe de la navette dans la prairie de cosses rubicondes qui s’étalait sous le ciel chaud de midi. Une rafale de vent lui ébouriffa les cheveux. Dans une seconde d’euphorie, elle fut tentée d’arracher ses vêtements et de partir en courant, nue, vers les récifs d’arbres qui s’étendaient au-delà de la crête. Elle était aussi impulsive que sa pauvre renégate d’ancêtre.

Personne n’avait encore prononcé une parole. Le seul bruit était celui du vent, qui transformait l’herbe en une houle lente, un vent frais qui soufflait d’ouest.

Jasmin Chopra ferma les yeux, et il lui sembla entendre des voix dans ce vent – le murmure d’une conversation sans paroles. Nous sommes ici, pensa-t-elle, et le vent chuchota Nous sommes ici. Étrange comme tout cela semble familier, pensa-t-elle, et le vent dit Nous vous connaissons. Nous nous souvenons de vous.

Bizarre.

Elle s’avança dans la prairie jusqu’à voir un bout de l’ancienne station du Trust. Yambuku s’élevait derrière la cime des arbres. Le dôme par lequel entraient et sortaient les navettes était fendu et couvert de plantes grimpantes. La nature l’avait récupéré.

Un écho fragile de la présence humaine sur Isis. La biosphère est forte, pensa Jasmin. Il nous reste beaucoup à apprendre.